Quatre kamikazes ont détoné leurs explosifs, vendredi 20 mars, lors de la prière, dans deux mosquées, à Sanaa, fréquentées par des fidèles chiites, faisant 142 morts et 351 blessés. C'est Da'ech qui a revendiqué les attaques, ses premières au Yémen. Al-Qaïda, qui se bat à la fois contre les partisans du président Hadi et les Houthis, a affirmé qu'elle ne visait pas les mosquées dans ses opérations. Au moins 142 personnes ont été tuées, vendredi 20 mars, à Sanaa dans les premières attaques revendiquées au Yémen par Da'ech, qui a frappé des mosquées fréquentées par des chiites, dont des miliciens houthis, qui se sont rendus maîtres de la capitale, en septembre 2014. Le président du Yémen, Abd Rabbo Mansour Hadi, a affirmé, samedi 21 mars, que les attentats suicide, revendiqués par Da'ech, visaient à enfoncer le pays dans le chaos. Le président yéménite a promis de combattre l'influence de l'Iran chiite au Yémen et s'est élevé contre "l'extrémisme chiite" ainsi que "l'extrémisme sunnite". Sauf que le président Hadi, considéré comme le président légitime par la communauté internationale, voit son pouvoir marginalisé et a pris refuge à Aden, la capitale du sud, après sa fuite de Sanaa. Dans une première réaction aux attentats de Sanaa, le porte-parole des Houthis, Mohammed Abdelsalam, a dénoncé, samedi 21 mars, une "guerre claire contre le peuple et sa révolution populaire", le terme utilisé par la milice pour désigner la prise de Sanaa. "Il est désormais impératif d'achever les étapes de la révolution", a dit sans explication le porte-parole du mouvement, soutenu par l'ex-président Ali Abdallah Saleh auquel des officiers et soldats de l'armée sont restés fidèles. Mais des sources militaires ont indiqué que 1.200 membres des forces spéciales pro-Saleh étaient arrivés dans une vingtaine de véhicules blindés dans une base militaire à Taëz, ville située sur le chemin d'Aden, distante de seulement 180 km. Des centaines de personnes ont manifesté devant la base pour demander le retour des forces à Sanaa. "Les explosions à Sanaa vont être prises désormais comme des excuses pour ouvrir de nouveaux fronts, en attaquant Taëz et Marib, dans l'est du pays", estime un analyste politique, Bassem al-Hakimi, alors que les Houthis, outre Sanaa, ont étendu leur influence sur l'ouest et le centre du pays. Le Yémen est au bord de la guerre civile avec une grave crise politique, un territoire morcelé et des violences impliquant plusieurs groupes militaro-religieux, dont la milice chiite des Houthis, qui contrôle Sanaa, et le réseau sunnite Al Qaïda, implanté dans le sud-est du pays. Rendant le conflit encore plus complexe, le groupe terroriste Da'ech, qui sévit dans plusieurs pays arabes, loin des frontières yéménites, y est apparu pour revendiquer les attentats de Sanaa, les plus sanglants jamais commis dans la capitale yéménite, et en promettre d'autres. Une évolution de la situation à la syrienne ? Cette démonstration de force de Da'ech, dans un pays où le groupe jihadiste le mieux implanté est Al Qaïda dans la péninsule Arabique (AQPA), intervient deux jours après une attaque en Tunisie également revendiquée également par Da'ech. C'est une vraie surprise de voir se produire à Sanaa une attaque coordonnée et très meurtrière, assumée par un groupe dont on ignorait jusqu'à présent l'existence. Il y a déjà eu, le 7 janvier, une attaque contre l'académie de police de Sanaa, dont on ne sait pas qui l'a opérée. AQPA n'a pas assumé l'attaque. Si Da'ech est capable de mener ce type d'attaques coordonnées qui requièrent une logistique, des candidats et la préparation des cibles, cela veut dire que des éléments sont présents à Sanaa depuis des semaines, voire des mois. Le chaos yéménite marqué par le délitement sécuritaire a pu faciliter la structuration de cellules jihadistes opérationnelles. Depuis la prise en main de Sanaa par les Houthis, en septembre 2014, les membres d'AQPA concentrent leurs efforts sur la ligne de front du sud dans les zones où ils sont forts. Cela a pu laisser des éléments livrés à eux-mêmes à Sanaa. On peut imaginer que des militants déçus par l'incapacité d'AQPA à se positionner contre les Houthis aient basculé vers Da'ech ou alors que des cellules ont été montées par des combattants revenus de Syrie. Mais le nombre de Yéménites en Syrie est très faible, à peine plus d'une centaine. La troisième hypothèse mise en avant par certains Yéménites, qui ont une appétence pour les théories conspirationnistes, est que des officiers des renseignements, pilotés par tel ou tel camp, ont facilité l'émergence de Da'ech. L'ONU a condamné ces attentats, tout comme Washington et la France s'est alarmée de "la catastrophe absolue" qui frappe au Yémen, appelant l'ONU à agir pour "éviter la partition" alors que le pays à majorité sunnite est dominé, au nord, par les Houthis, et, au sud, par les pro-Hadi. Pour Mathieu Guidère, professeur d'islamologie à l'université de Toulouse, en France, "le Yémen évolue vers une situation à la syrienne et à l'irakienne avec une guerre civile à caractère confessionnel, opposant sunnites aux chiites".