C'est une chance d'avoir rencontré dans sa vie une illustre personnalité de la facture de René Vautier, celui qui vient de nous quitter à l'âge de 86 ans, laissant derrière lui des films légendaires, un parcours militant et une histoire dont il a participé largement à l'édifice. Cela s'est passé à Cannes en 2005, en marge du festival, loin des feux et des starlettes, quand la section régionale du parti communiste organisa une rencontre-débat avec le réalisateur, suite à la projection de son film mythique «Afrique 50». C'était une manière de démontrer à l'intelligentsia niçoise que le cinéma n'est pas seulement une compétition, des stars, des prix et un tapis rouge. C'est beaucoup plus sérieux que cela puisse paraître sur les écrans, grands et petits. C'est aussi l'histoire d'hommes et de femmes qui se sont sacrifiés pour que le cinéma soit aussi une arme, un outil efficace de dénonciation, un moyen de riposte de grande envergure. René Vautier l'avait largement prouvé. A soixante-quinze ans, l'homme gardait toujours sa haute taille, ses longs cheveux pendants blanchis par l'age et les épreuves subies à longueur de décennies, son éternel sourire lancé comme un défi à ceux qui ne l'aimaient pas, plutôt désapprouvaient ses positions politiques, ses volte-faces professionnelles, son cinéma engagé provoquant toute une république coloniale. Son emprisonnement délibéré contredisait les valeurs même de la république française vue comme un modèle de démocratie, cependant décidée à fermer les bouches dénonciatrices d'un colonialisme à outrance. Vautier avait osé prématurément, bien avant les mouvements d'indépendance locaux, crier sa colère en ouvrant le diaphragme de sa caméra pour saisir des images insolites, dérangeantes, vraies, brutes et insupportables, dévoilant les atrocités et exactions extra-racistes d'une France coloniale ignorant même ses sujets. Difficilement développé et passé sous le faux titre d'un film pornographique, monté dans la clandestinité et commenté par Vautier lui-même à défaut d'un commentateur qui s'est désisté sous la peur, «Afrique 50» a subi la foudre de la censure française des décennies durant, car jugé traitant un sujet «allant à l'encontre des intérêts de la République». Cela ne découragea nullement le cinéaste René Vautier à aller encore de l'avant en durcissant davantage ses positions politiques et idéologiques. Son ralliement au F.L.N. (Front de Libération National) algérien n'est que la réponse extrême à sa marginalisation injuste. Dans le maquis, Vautier va initier de jeunes combattants pour l'indépendance, non pas au maniement des armes, mais au fonctionnement de la caméra, perçue elle-aussi comme une arme, efficace et porteuse. Parmi les maquisards se trouvaient ceux qui vont décider plus tard du sort du cinéma algérien notamment Mohamed Lakhdar Hamina et Ahmed Rachdi, cinéastes formés dans le maquis grâce à l'école buissonnière de Vautier, qui comprit très tôt ce qu'est la force des images en temps de guerre, lui qui paya au prix fort son engagent dans la bataille des images en l'absence encore de la télévision. La consécration viendra avec le film de fiction «Avoir vingt ans dans les Aurès», hymne à la guerre de libération en temps d'indépendance, qui n'ignore pas les sacrifices mais aussi les malentendus.