Travailler en commun pour monter une œuvre d'art qui fasse, de plusieurs palettes réunies, une seule homogène (par sa multiplicité même), est chose rare» dans la pratique socio-culturelle au Maroc. La 4ème édition de Fadae Ennass tenue cette année à Marrakech sur la place Jemaâ el Fna, a pourtant été l'occasion idoine favorisant ce genre de travail communautaire, en marge du programme prévu par les organisateurs. Le public, venu nombreux à la manifestation, a été impliqué, au cours du processus créatif, comme un élément à la fois catalyseur et symbolique. Quatre artistes peintres de renom se sont donc, par connivence, attelé à la tache, de façon intervallaire. Il s'agit de Hassan Hachachane, Rachid Taleb, Igor Loguinov et Abdellatif Zine, qui a bouclé la boucle en agissant comme régulateur de l'ensemble peint, avec des touches consonantes inédites. Au départ de la rencontre, il n'y avait que le duo Hassan Hachchane et Rachid Taleb. Ce dernier a apporté ses qualités de coloriste, l'autre ses définitions de la forme. Sur un papier kraft glacé couleur de sable, Hachchane démarcha un graphidsme figural autour du visage comme entité dramatique de l'individu face à son destin. Plus qu'un travail sur le modèle, loin de là même, Hachchane a développé une conception descriptive qui frise la confession. L'artiste a fait parler aux traits, aux nuances comme au mouvement un langage contestataire qui mérite réflexion. Rachid Taleb a apporté au lot une plate-forme chromatique en aplats, d'obédience abstraite, et qui met en relief, par le truchement d'une lumière affinée, le rendu thématique de son coéquipier. La focalisation sur le personnage, justement localisée sur la toile, donne à la vision un équilibre et une continuité attestés. La dualité de l'œuvre allait après s'élargir aux deux autres artistes susmentionnés : Zine et Loguinov. Dans une 3ème étape allait intervenir le peintre russe Igor Loguinov (qui vit au Maroc), pour déployer, à partir de ce qui avait été réalisé, un geste orchestral décliné en un demi-cercle couvrant presque l'étendue des œuvres accolées les unes aux autres. Cet arc unificateur en soi va consolider la composition et rapprocher la nature du travail de chaque artiste. Igor, qui agit ici en un gestuel polychrome, rehausse sensiblement les démarches précédentes à un niveau d'harmonisation qui assure une perception panoptique parfaitement cohérente. Sollicité à juste titre comme l'organisateur principal de Fadae Ennass, Abdellatif Zine interviendra vers la fin, à coups de touches débitées en un bleu innovant, qui s'exprime en dégradés allant jusqu'au bleu outre-mer. Fort de sa maîtrise des tons et imaginatif chromatique avéré, Zine va dispatcher à la surface de toile des notes o à la fois sereines et profondes, à des fins édifiantes. L'artiste a pensé à insérer dans tout le corpus peint des taches similairement colorées, sortes de clés musicales en la mineur, qui servent l'apport de chaque artiste en agissant comme des compléments qui enrichissent la composition. C'est un surplus d'harmonie, qui va chercher sa connotation dans l'établissement d'un lien symbolique entre les générations (Zine étant le plus âgé du groupe et relevant de la première génération de l'histoire de l'art au Maroc). Une fois l'œuvre définie dans son essentiel, les artistes ont procédé chacun à une sorte d'évaluation des effets obtenus. Hachchane placera à titre accessoire ici et là quelques-uns de ses graphiques (œil, bouche, poils de cheveux...) ; Taleb travaillera à foncir des zones de l'espace qui lui a été dévolu ; Igor se contentera de magnifier les tonalités de son geste syncrétique... Percue sur le plan esthétique, l'œuvre (5mx1m) réalisée et signée par les quatre artistes affiche une véritable symbiose, la concordance inopinée d'énergies créatives sans aucun doute exemplaires.