En tant que cinéaste, plasticien, calligraphe, comédien et dramaturge, Tayeb Saddiki incarne la culture par excellence. Pendant très longtemps, il incarnait également la fierté de la culture marocaine, celui qui a rendu surtout le théâtre marocain célèbre à l'étranger. Militant par le théâtre, il étudia chez les plus prestigieux des professeurs: Jean Vilar en France et André Voisin au Maroc. Cela suffit de faire de lui une figure de proue jamais égalée. La maîtrise de la langue française, langue de Molière, et sa culture encyclopédique le prédestinaient à un sort distingué. A plus de 70 ans, Tayeb Saddiki est toujours sollicité par les médias. Sa seule présence dans une émission suffit à inculquer à cette dernière un caractère attrayant où se mélange la révélation spontanée à l'humour grinçant. Saddiki a toujours su utiliser les médias pour redorer son image de marque. Tantôt adroit, tantôt méprisant, Saddiki est très à l'aise devant la caméra. Souvent, ses interlocuteurs ne souhaitaient que d'éviter d'être ridiculiser par ce ténor du théâtre à la corpulence imposante. Ce n'est pas pour rien qu'on le compara souvent à Orson Welles, et il est le Welles marocain. Beaucoup de similitudes rapprochent les deux hommes. Ses vastes connaissances théâtrales et culturelles en général, sa maîtrise de l'histoire en particulier, le rendent au-dessus de tout soupçon. Or cette facilité de traiter avec les médias, Tayeb Saddiki l'a acquise au fil des années. A peine sorti de l'adolescence, il côtoyait déjà les planches. A la veille de l'indépendance, il est déjà acteur-apprenti chez Jean Fléchet parmi les comédiens de la première heure avec lesquels il joue dans "Le poulet" et "Le puits", des films à sketches où il se sentait très à l'aise. On retient l'image d'un jeune comédien prêt à endosser ces personnages ridicules, bébétes, naïfs et de surcroît bouffons censés amuser les foules savourant en plein air les premières image-chocs du cinéma marocain. Saddiki participait à sa manière à vulgariser le cinéma. Un personnage analogue est composé par Tayeb Saddiki dans "Le médecin malgré lui" (1955) de Henri Jacques, entouré approximativement par la même équipe. Là aussi, il continue ses "singeries" habituelles, son allure et son visage dénonçant ses traits bédouins l'aidaient à amplifier au mieux ses grimaces. Il reprenait incessamment ses rôles des films cités plus haut où il incarnait un débile mental. Cela n'empêche que c'est par le cinéma que Saddiki est venu au monde de l'art et c'est au cinéma qu'il va acquérir une image mettant en valeur son physique et ses traits. Dans des films tels que "Pour une bouchée de pain" et "Les enfants du soleil", il tenait des rôles qui sonnaient vrais, sans maniérisme et sans réajustement. Saddiki développait un jeu spontané presque indépendemment du sujet traité. Chômeur, escroc, arnaqueur, fainéant, il ne trouvait aucune difficulté à s'adapter aux circonstances et faisait à chaque fois preuve d'une habile interprétation. Mieux encore, il incitait ses compères à donner le meilleur d'eux-mêmes. Reconnaissant en lui un adroit directeur d'acteurs, Jean Fléchet l'engagea comme assistant et conseiller artistique dans "Le collier de beignets". Le résultat fut surprenant. Dans "Zeft" qu'il a réalisé lui-même, il reprenait presque paresseusement les poncifs du théâtre. Il n'arrivait pas à concevoir une oeuvre purement cinématographique car toute la puissance d'El Harraz est là. Son passé combien glorieux d'homme de théâtre a pesé lourd sur le film franchement adapté de sa pièce "Sidi Yassine Fi Tariq". Déçu et décevant ses admirateurs et peut être par respect à ses derniers, il ne renouvela plus l'expérience. Le théâtre ne pouvait perdre un homme de si grande valeur. Tant pis pour le cinéma.