Un cinéma social existe-il au Maroc ? s'il existe, quelles sont ses spécificités ? Quels sont ses auteurs ? Quand et comment a-t-il pris naissance ? Il est vrai que durant la période qui a suivi l'indépendance, les premiers films à caractère social sont produits. Le film de moyen métrage : « L'enfant maudit » (1956), réalisé par Mohamed Ousfour est certes le premier du genre. Qui ne se souvient des péripéties désastreuses que vécut le fameux El Oufir, cet « Outsider » hors du commun, un hors-la-loi né, que rien ni personne n'arrête, devenu un ennemi public N° 1 à Casablanca et dont l'histoire semblait fasciner tellement Ousfour. Admirablement campé par Mohamed Lagnous, L'Enfant Maudit » avait inauguré un genre propre aux cinématographies naissantes. Peu de temps après, le cinéaste français résidant au Maroc, Jean Flechet, emprunta la même voie. Encore un autre moyen métrage intitulé « Le collier de beignets » (1957), sous-titré « Brahim », qui, à l'opposé du film d'Ousfour, est réalisé dans des normes professionnelles : le support, le cadrage, le développement, le récit… tout confirme l'authenticité d'une œuvre dont la fiction est supportée par des acteurs venus du théâtre notamment Hassan Skalli, Hammadi Ammor, Larbi Doghmi, Tayeb Sadiki, Bachir Laâlej… l'histoire à caractère social, mettant l'accent sur la situation des jeunes chômeurs durant cette période des vaches maigres, ne sert que de prétexte pour dissimuler un discours idéologique à la limite de la propagande. Tout au long du film on fait inlassablement référence au nouveau système politique, présenté comme garantie suprême des droits de l'individu marocain récemment libéré du joug du colonialisme. Et ce n'est pas un hasard que Hassan II, alors Prince Héritier, chargea son ami Ahmed Réda Guedira d'accompagner et de présenter le film au festival de Berlin en 1957, annonçant à la même occasion l'émergence d'un Maroc nouveau sous des auspices promotteurs. N'empêche que le film de Flechet est sincère dans ses propos, en particulier en ce qui concerne la situation économique du pays au bord du gouffre et dont la richesse ne profite nullement au citoyen autochtone. Le chômage généralisé n'est que le résultat d'une politique coloniale à outrance ignorant délibérément le Marocain en tant qu'individu social. Un autre français d'origine allemande, Jacques Severac, installé au Maroc depuis les années 30, participa très tôt à l'élaboration d'un cinéma social. Severac avait consolidé fortement le cinéma colonial depuis « La rose du souk », en même temps, il fut le premier à filmer la place Jamaâ El Fna à Marrakech, comme il fut le premier à confier aux Marocains leurs premiers rôles à l'écran, notamment aux futures comédiennes Leïla Atouna et Leïla Farida. En 1961, c'est un cinéaste fatigué qui se livre à un nouveau genre. Jacques Severac a voulu se racheter avec un film typiquement marocain intitulé : « Les enfants du soleil », tourné à Casablanca et Marrakech et prenant comme héros les enfants cireurs de chaussures dont regorge la capitale économique tout au lendemain de l'indépendance. Ce film est produit grâce aux capitaux purement casablancais et représenta le Maroc au festival de Cannes en 1962 où la presse française lui consacra de longs articles touchée par la sincérité du propos. « Les enfants du soleil » reprit les acteurs du film cité plus haut notamment Hassan Skalli, Bachir Laâlej, Tayeb Seddiki afin d'encadrer cette bande d'enfants prématurément abandonnée par leurs familles et s'adaptant à des conditions sociales qui ne doivent pas être les leurs. C'est une sorte des « Mistons » que nous livra Severac quelques années après le film de François Truffaut mais dont la toile de fond est marocaine. Plus tard, c'est sous la houlette de Hakim Noury que le cinéma social va s'épanouir au Maroc, avec les couleurs locales d'un Maroc socialement très en deça de ses ambitions. Ce genre de cinéma, prenant une identité locale reconnue trouva toujours un terrain fertile pour renaître ou ressusciter.