Plusieurs fatwas datent aussi de cette période, toutes prises dans un esprit libéral et qui parfois soulèvent une vive résistance dans les rangs des conservateurs. Il autorisait, par , les Musulmans à recourir aux services des étrangers ou des schismatiques, et aussi à consommer la chair des bêtes abattues par des non-musulmans, surtout la nourriture juive, sans aller cependant, comme ça se fait de nos jours, jusqu'à autoriser le prêt à intérêt. C'est aussi à cette époque que parurent ses travaux d'exégèse coranique qu'un de ses principaux disciples, le Saiyid Rashid Ridâ, un Syrien originaire de Tripoli, fit apparaître dans la revue qu'il fondait en 1898, le Manâr, avec l'ambition de continuer la grande tradition du lieu indissoluble. Cheikh Mohammad Abdouh qui, en 1901, était allé à Constantinople, entreprenait, en 1903, un voyage en Algérie et en Tunisie, dans le but de renseigner sur la situation des Musulmans en Afrique du Nord. Mais déjà, cependant, le nombre de ses adversaires grandissait. Jamais il ne cumula la charge de grand mufti avec celle de recteur d'al-Azhar, dont il encourageait par ailleurs les réformes. En janvier 1905, il démissionnait du Conseil d'administration de cette université à la suite d'un discours du Khédive le mettant directement en cause. Il n'était peut-être pas loin de la disgrâce quand il mourut à Alexandrie le 11 juillet 1905. Avec lui disparaissait un des hommes qui firent le plus, à la veille du monde d'aujourd'hui, pour inciter les Musulmans à s'ouvrir largement à la civilisation européenne, tout en restant fortement attachés à leur religion et pour les exhorter à chercher le secret de leur émancipation non dans les aventures de la violence, mais dans un puissant effort sur eux-mêmes. Bien d'autres noms encore mériteraient d'être cités, mais il serait difficile de ne pas évoquer une autre personnalité, celle d'al-Kawâkibi, originaire d'Alep, sur lequel les renseignements d'ordre biographique sont rares, mais dont les deux œuvres, l'une sur la nature du despotisme, la seconde sur les décisions d'un congrès inter-islamique fictif qui se serait tenu à la Mecque, devaient orienter, dans un sens quelque peu différent, le réformisme musulman sur la fin du siècle dernier (voir N. Tapiero, les idées réformistes de Kawakibi, Paris, 1956). Si Jamal-Al-Dine Al-Afghani peut être considéré comme le théoricien par excellence du panislamisme révolutionnaire et le Cheikh Abdouh comme celui d'un réformisme conservateur, Al Kawakibi apparaît comme l'un des précurseurs de l'arabisme politique. Sa critique, fort vive, du califat (Khilafat Ottoman), défendu par Al-Afghani et ménagé par Abdouh, s'accompagne de cette idée que la réforme du califat, installé au Hedjaz et, au-delà d'elle, celle des autres pays musulmans doivent avoir pour premiers artisans des éléments arabes. Une autre de ses idées maîtresses réside dans le désir de voir se constituer, à la Mecque, une association islamique internationale avec des ramifications dans tous les pays musulmans, pour la défense de la propagation de la foi, mais dont les attributions, en principe exclusivement religieuses et éducatives, sont cependant en fait difficiles à circonscrire. Beaucoup moins récitent à l'égard de l'Occident que ses deux illustres prédécesseurs, al-Kawakibi enfin prêchait, avec plus de complaisance, à ses coreligionnaires l'esprit de tolérance, de libéralisme et de non-violence qui devait animer leur apostolat. (Fin)