Les raisons de son retour à Constantinople, en 1892, restent elles aussi mal éclaircies. Le Sultan Abd-al-Hamid voulut peut-être s'en servir, ou faire cesser ses attaques contre le Shâh ou, plus simplement, le retenir par méfiance, dans une captivité dorée. Les relations entre le Sultan et le Saiyid ne tardèrent pas à s'altérer à la suite d'intrigues mal connues mais que l'on peut aisément supposer. Le Shâh de Perse Nadir Al-Dine était assassiné en 1896 avec son Premier ministre. Le meurtrier, un certain Mirzâ Rizâ Kirmâni, se présentait comme un ancien disciple d'Al-Afghani et comme appartenant à un groupe de « jeunes Persans » qui, sous la direction du Saiyid, menaient une action contre le Shâh. Jamal Addine mourut peu de temps après le 9 mars 1897, empoisonné, ce qui paraît peu vraisemblable. Sa mort, en Turquie, poussa quelque peu inaperçue et sa tombe, quand Ahmad Amine la visita en 1928, était complètement abandonnée. Ni l'absolutisme hamidien, ni le laïcisme Kémalite ne pouvaient trouver leur maître à penser dans celui qui fut le théoricien par excellence du panislamisme révolutionnaire. C'est dans une voie bien différente, ennemie de toute violence, que le Cheikh Abdouh, après un court passage à Tunis, dans son exil de Beyrouth, orienta le réformisme. Il donnait à la madrassa Sultaniya un enseignement de théologie musulmane qui devait être le point de départ de la Risâlat al-tawhid. Il publiait, d'autre part, en 1886, une traduction arabe de la Réfutation des matérialistes et sans doute aussi, vers la même époque, la traduction d'une histoire de l'Afghanistan dans laquelle Al-Afghani exaltait l'esprit de résistance des Afghans contre la pénétration britannique. Fort importants aussi et non moins caractéristiques de ses préoccupations politiques sont les deux mémoires qu'il composait en 1886, sur la situation intérieure de la Syrie. Le premier adressé au Shaïkh Al-Islam à Constantinople, traitait essentiellement d'un problème qui, depuis longtemps, lui tentait à cœur : celui de l'enseignement religieux, de la nécessité de donner aux Musulmans une meilleure formation morale et d'organiser, à l'exemple des Chrétiens, un corps de missionnaire. Le second mémoire, adressé au gouverneur de Beyrouth, mettait l'accent sur l'urgence des réformes qu'il convenait d'introduire en Syrie si l'on voulait que ce pays, plus ou moins menacé d'éclatement minoritaire, ne retirât pas à la Porte sa confiance. Il faisait paraître aussi plusieurs articles sur des problèmes d'actualité dans les Thamart al-founoun, journal qu'avait fondé à Beyrouth un groupe de Cheikhs pour défendre les intérêts de la communauté sunnite. Plusieurs des problèmes qui agitaient l'Egypte, en particulier celui de la réforme des tribunaux religieux, continuaient de l'intéresser. Les raisons qui, en 1888, ramenèrent le cheikh Abdouh en Egypte sont différemment expliquées. On veut voir, dans ce retour, le résultat d'une intervention de Lord Cromer, alors tout puissant, auprès du Khédive. On soutient parfois aussi que le Sultan Abd-al-Hamid, quelque peu inquiet de l'activité du Cheikh à Beyrouth, insista pour obtenir son départ. Des amitiés puissantes dans l'entourage du Khédive agirent dans le même sens. Le Khédive (Al Khadiwi) Tawfiq ne lui redonna jamais pleinement sa confiance. Cheikh Abdouh qui eut souhaité reprendre une activité de professeur fut nommé juge dans les tribunaux indigènes. L'avènement de Abbas Hilmi, en 1882, et la reprise du mouvement nationaliste portèrent Abdouh en premier rang des charges officielles. Le 3 juin 1899, il était nommé grand mufti d'Egypte. Plusieurs de ses œuvres maîtresses vivent alors le jour. Sa Risalat-al-Tawhid parue en 1897, par certains côtés d'inspiration mû'tazilit, se proposait de montrer que la religion musulmane, contrairement aux affirmations de ses contradicteurs, était rationnelle, tolérante et libérale. Sa petite brochure sur l'Islam et le Christianisme en face de la science et de la civilisation, en 1901, affirmait que l'Islam avait été pour l'Europe un facteur de progrès par l'influence qu'il avait eue sur les origines de la réforme et de la renaissance. (La Risalat-al-Tawhid a été traduite en français par Bernard Michel et Moustapha Abd-Al-Razik sous le titre : Exposé de la religion musulmane, Paris, 1915). (A suivre)