Pour la première fois en Egypte, le résultat du scrutin présidentiel égyptien qui s'ouvre mercredi est incertain en raison du grand nombre d'indécis et de la liberté inédite de choix qui s'offre aux électeurs. Des islamistes aux anciens membres du régime Moubarak, les 12 candidats en lice ont vu leurs positions changer dans les sondages quasi-hebdomadaires menés par le Centre Al-Ahram pour les études politiques et stratégiques, financé par le gouvernement, et l'institut indépendant Bassira. Selon le dernier sondage de Bassira du 16 mai -réalisé par téléphone auprès d'un échantillon de 2.200 personnes à travers l'Egypte-, le dernier Premier ministre de Hosni Moubarak, Ahmad Chafiq, arrive en tête avec 19,3% des intentions de vote, suivi de l'ancien ministre des Affaires étrangères du raïs et ex-patron de la Ligue arabe, Amr Moussa (14,6%), et de l'islamiste modéré Abdel Moneim Aboul Foutouh (12,4%). Mais ces chiffres pourraient être bouleversés par le choix réalisé au dernier moment dans l'isoloir par les électeurs encore indécis, qui sont 33% selon le sondage de Bassira. «Les derniers sondages convergent, mais le candidat (arrivant théoriquement en tête) a un nombre d'intentions de vote inférieur à celui des indécis», souligne Magued Osmane, qui dirige Bassira. M. Chafiq, ex-chef d'état-major de l'armée de l'air, arrive également en première position dans un sondage du 19 mai du «Centre gouvernemental d'information et de soutien à la prise de décision», avec 12% des intentions de vote, suivi par Amr Moussa (11%). Le Centre Al-Ahram, qui mène des enquêtes en face à face, place en revanche depuis des semaines l'ancien patron de la Ligue arabe en tête de ce premier scrutin présidentiel depuis la chute en février 2011 de Hosni Moubarak sous la pression de la rue. Néanmoins, dans son dernier sondage du 20 mai, Amr Moussa perd 9 points, à 31%, suivi de près par Ahmad Chafiq, tandis que le candidat des Frères musulmans Mohammed Morsi et Aboul Foutouh arrivent respectivement en 3e et 4e positions. Selon tous ces sondages, quatre candidats sont ainsi au coude à coude, mais le nationaliste arabe Hamdeen Sabbahi semble aussi progresser ces derniers jours. De fait, il est très probable qu'un deuxième tour soit organisé, aucun candidat ne semblant en mesure de réunir 50% des voix dès le premier. Mais le duo final est difficile à prédire. Les indécis «vont changer complètement les résultats», reconnaît Sahar Ammar, responsable des sondages au Centre gouvernemental d'information. Cette situation pourrait favoriser M. Morsi, qui bénéficie du large réseau de militants des Frères musulmans, qui ont aidé la confrérie à prendre le contrôle du Parlement ces derniers mois. En raison des fluctuations dans les sondages et de leurs contradictions, les sondeurs ont été la cible de critiques, notamment de la part de certains candidats, qui les ont accusés d'incompétence. L'équipe de campagne de M. Morsi les a ainsi comparés à des «astrologues». Les sondeurs soulignent pour leur part que les changements dans les résultats reflètent le caractère inédit de cette élection libre, dans un pays longtemps dirigé par un parti unique, et le paysage politique fragmenté depuis la révolte de janvier-février 2011. «Au sein de chaque courant, il existe une rude compétition entre les candidats, les courants politiques ne parviennent pas à se décider sur un candidat», souligne Ahmed Nagui Kamha, responsable des sondages au centre Al-Ahram. «C'est la première fois que les Egyptiens élisent un président. Ils avaient l'habitude de choisir entre Moubarak et Moubarak», ajoute Magued Osmane, qui dirigea un temps le centre gouvernemental de sondages sous Moubarak et fut ministre après sa chute. «Avant, il n'y avait pas beaucoup de différences dans la rhétorique, maintenant c'est très différent», dit-il en faisant allusion aux programmes des candidats. D'autres facteurs ont joué dans l'évolution des positions des candidats, selon lui. M. Chafiq, contraint à la démission pendant la révolte contre M. Moubarak, a par exemple gagné de la sympathie, notamment des électrices, depuis que sa femme est morte le mois dernier. Il a aussi bénéficié des heurts meurtriers de début mai au Caire, ayant fait de la sécurité son cheval de bataille.