Les Egyptiens sont appelés à voter, mercredi et jeudi pour le premier tour d'une élection historique qui doit désigner un nouveau chef d'Etat après la chute de Hosni Moubarak, emporté en février 2011 par le séisme du Printemps arabe. Cette présidentielle s'annonce cruciale pour définir la voie que prendra le pays, après une campagne dominée par les islamistes vainqueurs des récentes législatives et des candidats issus de l'ancien régime qui veulent incarner le retour à la stabilité. Le pluralisme politique et la vitalité des débats ont tranché avec les élections jouées d'avance sous l'ancien pouvoir, mais le climat a également été marqué par une grave crise économique et la montée de l'insécurité. Pays le plus peuplé du monde arabe avec 82 millions d'habitants, l'Egypte a été, après la Tunisie, le deuxième Etat de la région à voir son président tomber l'an dernier sous la pression d'une révolte populaire. «Cette élection est définitivement l'événement politique le plus important pour l'Egypte depuis la révolution» de janvier/février 2011, estime Moustafa Kamel Sayyed, professeur de sciences politiques à l'université du Caire. Parmi les personnalités données favorites on trouve l'ancien chef de la Ligue arabe et ex-ministre des Affaires étrangères de M. Moubarak, Amr Moussa, le dernier Premier ministre du raïs, Ahmad Chafiq, un islamiste indépendant, Abdel Moneim Aboul Foutouh, et le candidat des Frères musulmans Mohammed Morsi. MM. Moussa et Chafiq ont axé leur campagne sur leur expérience et le retour à la stabilité. Ils ont cherché à se démarquer de M. Moubarak, qui attend pour le 2 juin le verdict de son procès, mais ont régulièrement été brocardés comme des «revenants». M. Aboul Foutouh promet un islamisme modéré, mais il doit compter sur une coalition hétéroclite comprenant des fondamentalistes salafistes et des jeunes militants pro-démocratie laïques. M. Morsi bénéficie du solide soutien du réseau des Frères musulmans, mais certains s'inquiètent de voir la confrérie, qui domine déjà le Parlement, s'arroger la présidence. D'autres candidats disposant de beaucoup moins de moyens espèrent cependant faire un score honorable, notamment Hamdine Sabahi (gauche nassérienne), l'islamiste Selim al-Awa ou le jeune militant des droits sociaux Khaled Ali. La douzaine de candidats au total ne comprend pas de représentant de la communauté chrétienne copte (6 à 10% de la population) et aucune femme. La mouvance des «jeunes de la révolution», qui avaient initié la révolte anti-Moubarak, n'a pas de candidat propre et se disperse sur plusieurs noms. Le premier tour sera suivi d'un second les 16 et 17 juin si aucun candidat n'obtient la majorité absolue. L'armée, qui dirige le pays depuis la chute de M. Moubarak, a promis de rendre le pouvoir aux civils avant la fin juin, une fois le nouveau président élu. Les rues d'Egypte se sont depuis des semaines couvertes d'affiches et de banderoles électorales, tandis que les candidats sillonnent sans relâche le pays, des plaines du delta du Nil aux bourgades de Haute-Egypte. Les Egyptiens ont pu suivre le premier grand duel télévisé de leur histoire entre présidentiables, opposant Amr Moussa et Abdel Moneim Aboul Foutouh. «C'est une expérience totalement nouvelle pour nous. Regarder deux personnalités chercher à nous convaincre de voter pour elles, personne n'aurait pu l'imaginer il y a seulement deux ans», affirme Saber Mohammed qui a regardé le débat sur le téléviseur d'un café au Caire. La campagne a été marquée par de multiples rebondissements qui lui ont souvent donné un caractère chaotique, et parfois violent. Une dizaine de candidatures ont ainsi été invalidées pour diverses raisons techniques ou juridiques par la commission électorale. Parmi elles, l'ancien chef des services secrets de M. Moubarak, Omar Souleimane, le candidat initial des Frères musulmans, Khaïrat al-Chater, et un salafiste à la percée inattendue dans l'opinion, Hazem Abou Ismaïl. De violents affrontements entre partisans de M. Abou Ismaïl et des agresseurs en civil, suivis par des heurts avec l'armée aux abords du ministère de la Défense au Caire, ont fait début mai entre une dizaine et une vingtaine de morts selon les sources. Le retrait de l'armée une fois le nouveau président élu doit refermer une période de transition mouvementée sous la houlette du Conseil suprême des forces armées (CSFA) du maréchal Hussein Tantaoui. Le poids politique et économique considérable de l'armée égyptienne devrait toutefois lui permettre de continuer à peser dans la vie du pays. L'absence de Constitution fait que les pouvoirs du prochain président, qui sera élu pour quatre ans, restent imprécis. La Constitution en vigueur sous M. Moubarak a été suspendue et la prochaine n'a pas commencé d'être élaborée.