Propos recueillis par Mouhamet NDIONGUE À l'occasion du séminaire international célébrant le 60e anniversaire de la convention entre le Maroc et le Sénégal, nous avons eu l'honneur de nous entretenir avec Son Excellence Mme Seynabou Dial, ambassadrice du Sénégal au Maroc. Ce séminaire, organisé à Rabat, offre un cadre privilégié pour examiner l'évolution des relations bilatérales entre les deux pays, riches d'une histoire de coopération, de solidarité et de proximité culturelle. Il réunit diplomates, responsables institutionnels et représentants de la société civile autour de réflexions portant sur les perspectives de coopération Sud-Sud, l'intégration régionale et les défis du développement économique et social en Afrique. Maroc Diplomatique : Cet événement commémore les 60 ans de la Convention entre le Maroc et le Sénégal. Quelle est, selon vous, la portée de cette célébration ? Mme Seynabou Dial : C'est avec un sentiment profond de fierté que je prends part à cette commémoration, qui marque six décennies d'une relation exceptionnelle entre le Royaume du Maroc et la République du Sénégal. Il ne s'agit pas simplement de célébrer un accord juridique signé en 1964 ; nous célébrons une alliance durable, fondée sur des valeurs humaines, spirituelles et culturelles communes. Cette convention symbolise un socle sur lequel s'est construite une coopération dense, active et résiliente au fil des époques. La relation entre nos deux pays est portée par une proximité sincère, renforcée par des actions concrètes dans des domaines variés, allant de la formation à la diplomatie, en passant par le commerce, l'agriculture ou encore les infrastructures. Elle a su s'adapter aux mutations du contexte géopolitique et économique, tout en demeurant fidèle à l'esprit de solidarité africaine. Cet anniversaire est l'occasion non seulement de faire mémoire, mais aussi de réaffirmer notre engagement commun en faveur d'une coopération tournée vers l'avenir, inclusive et porteuse de progrès pour nos peuples. Je tiens également à souligner l'importance du Haut Patronage accordé à ce séminaire par Sa Majesté le Roi Mohammed VI et Son Excellence le président Bassirou Diomaye Faye. Leur engagement personnel est un signal fort en faveur du renforcement de nos liens, et témoigne d'une vision partagée pour une Afrique unie, souveraine et prospère. Cet événement nous engage aussi à réfléchir aux moyens de réactualiser cette convention afin qu'elle réponde mieux aux réalités contemporaines, en particulier aux aspirations de la jeunesse, aux défis climatiques et à la transformation numérique. Lire aussi : [Vidéo] À Rabat, la CDG plaide pour un partenariat repensé avec le Sénégal L'Initiative Atlantique lancée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI offre une nouvelle dynamique à la coopération régionale. Quel est votre regard sur cette initiative, notamment en ce qui concerne l'axe Dakar-Agadir et la connectivité maritime ? Cette initiative, à mon sens, est visionnaire. Elle s'inscrit dans une démarche structurante qui dépasse les logiques bilatérales pour proposer une nouvelle architecture de coopération interafricaine et transatlantique. En favorisant une meilleure intégration des économies africaines situées sur le littoral atlantique, elle ambitionne de créer un espace de solidarité, d'échanges et de complémentarité, à même de répondre aux aspirations de développement inclusif et durable des peuples. La mise en place d'un corridor maritime reliant Dakar à Agadir constitue une avancée stratégique, tant sur le plan logistique qu'économique. Elle permettra d'optimiser les chaînes de valeur régionales, de fluidifier les échanges commerciaux et de connecter plus efficacement nos marchés. Le Sénégal, dont le port autonome de Dakar est l'un des hubs les plus performants d'Afrique de l'Ouest, se tient prêt à jouer un rôle actif dans cette dynamique. À travers cette coopération maritime, c'est toute une vision de co-développement qui se dessine, fondée sur la mutualisation des ressources, la complémentarité des compétences et le renforcement des interconnexions. Il s'agit aussi, au-delà des infrastructures, de créer des passerelles entre nos peuples. La mer n'est plus une barrière, elle devient un trait d'union. Le développement de cette liaison maritime doit s'accompagner d'un soutien accru aux PME, à la logistique verte, à la formation des professionnels du secteur portuaire et aux initiatives entrepreneuriales transfrontalières. Le Sénégal y apportera son expertise, ses plateformes et sa volonté politique, convaincu que ce projet sera porteur d'opportunités partagées et d'intégration régionale renforcée. Quels secteurs vous semblent prioritaires pour renforcer les relations économiques et sociales entre le Maroc et le Sénégal dans les années à venir ? La relation entre nos deux pays est particulièrement riche et multidimensionnelle. Si les fondations sont solides, il est nécessaire d'identifier des axes prioritaires pour approfondir et diversifier notre coopération dans un monde en pleine mutation. Le premier secteur stratégique est sans conteste l'éducation et la formation. Le capital humain est au cœur de tout développement durable. Nos deux pays doivent continuer à investir dans la mobilité académique, la reconnaissance mutuelle des diplômes, la création de programmes conjoints dans les filières d'avenir – comme l'intelligence artificielle, la cybersécurité, ou encore l'agriculture durable. Il faut également renforcer les partenariats entre universités et centres de recherche, tout en encourageant les jeunes à s'engager dans des projets de coopération transversale. Un autre pilier fondamental concerne les infrastructures régionales. Qu'il s'agisse de corridors routiers, de télécommunications, d'énergie ou de transport maritime, nous devons favoriser l'émergence de projets conjoints structurants. Ces projets sont essentiels non seulement pour relier nos économies, mais aussi pour désenclaver des zones périphériques, faciliter l'accès aux services de base et accroître notre attractivité vis-à-vis des investisseurs. Enfin, le développement du secteur privé commun est capital. Il faut stimuler les investissements croisés, accompagner les startups africaines, faciliter les flux commerciaux en levant les barrières administratives et encourager les partenariats public-privé. Nous disposons d'une jeunesse entreprenante, d'un tissu économique dynamique et de complémentarités sectorielles évidentes. Le Sénégal et le Maroc peuvent, ensemble, se positionner comme des pôles d'innovation et de croissance pour toute l'Afrique de l'Ouest et du Nord. Vous avez évoqué l'importance du capital humain. Comment ce facteur peut-il renforcer concrètement la coopération maroco-sénégalaise ? Les relations humaines sont le ciment de toute coopération durable. Le lien entre le Maroc et le Sénégal va bien au-delà des accords étatiques ; il s'incarne dans les échanges quotidiens, les histoires de vie, les parcours d'étudiants, les coopérations artistiques, les projets communautaires. Cette dimension humaine donne à notre partenariat sa profondeur et son authenticité. Il est donc essentiel de favoriser les interactions entre citoyens : forums culturels, jumelages entre villes, programmes de mobilité des jeunes, stages professionnels, séjours linguistiques, festivals... Ces initiatives permettent de briser les préjugés, de créer des ponts interculturels et d'ouvrir des perspectives de collaboration sur le long terme. Il est également nécessaire de capitaliser sur les diasporas sénégalaises au Maroc et marocaines au Sénégal, qui sont de véritables relais de coopération, d'échanges économiques et de transmission culturelle. Leur rôle doit être davantage reconnu et valorisé dans les politiques publiques. Enfin, sensibiliser les jeunes générations à la richesse de notre partenariat, les impliquer dans les processus décisionnels et leur offrir des espaces d'expression sont des leviers puissants pour construire un avenir commun. Un dernier mot, Madame l'ambassadrice ? C'est pour moi un privilège de pouvoir représenter le Sénégal au Maroc et de participer à cette commémoration hautement symbolique. Soixante ans de coopération, c'est un héritage précieux, mais aussi une responsabilité collective. Le Maroc et le Sénégal ont démontré que la fraternité africaine n'est pas un simple slogan, mais une réalité concrète, fondée sur la confiance, l'entraide et l'action conjointe. L'avenir de notre continent dépend de notre capacité à dépasser les logiques nationales pour bâtir une Afrique solidaire, innovante et tournée vers l'intégration. Je suis profondément convaincue que les liens entre le Sénégal et le Maroc continueront de s'intensifier et d'inspirer d'autres pays africains. Ensemble, nous devons poursuivre notre marche vers un développement durable, équitable et résolument africain.