«Dhen ssir issir», «Lfahem yafhem», «Lflouss kaddir trik f labhar», «Dhen lou 7al9ou yansa lli khalkou», «El makssi bdyal ennass âaryane», «Jouïi f karchi ou ânayti f rassi», etc. Que de proverbes marocains très familiers dans le quotidien qui évoquent directement ou indirectement le phénomène de la corruption dans la langue populaire (darija) imagée, soit pour le fustiger avec beaucoup d'ironie, à mots couverts, usant de métaphores et d'ellipses, soit pour constater que c'est un mal qu'on subit et dont il ne reste que la parole pour s'en défendre. Il en est de même en amazigh où le parler quotidien est truffé de proverbes et dictons qui condensent en quelques mots une éternité de mémoire de jeu social où le fléau de la corruption est présent et tient un des premiers rôles clef de l'exercice du passe-droit. «Des proverbes contre la corruption» est le titre du livre recueil qui vient de paraître et qui fait un peu, mais de manière plutôt inédite, le tour de la question. Il est conçu et réalisé par Hakima Lebbar, psychanalyste et galeriste, sous la houlette de l'Association Marocaine de Lutte contre la Corruption Transparency-Maroc. Le livre, édité par Tarik Editions (Casablanca), rassemble des proverbes marocains de la tradition orale, donc en darija, et qui sont un riche réceptacle de l'expérience collective et de la mémoire populaire. Parallèlement, un chapitre est consacré à des proverbes de tradition orale amazighe d'une grande finesse et surtout sans équivoque pour pointer de manière particulièrement caustique le mal, rassemblés par le linguiste Driss Azdoud. Transcrits en tifinagh et traduits en français, on peut y trouver des proverbes comme «La vermine n'envahit jamais le sel», «Mieux vaut de laurier (amer) se nourrir que par son ventre se laisser asservir», etc. L'inédit dans le livre c'est qu'en même temps qu'il se soucie uniquement de proverbes sur la corruption, il s'occupe aussi d'en montrer d'autres, inventés, véhiculant un message clair condamnant le phénomène social à l'instar de ceux qui sont conçus par l'écrivain dramaturge et parolier zejjal Ahmed Tayyeb Laâlej, auteur d'expressions qui ont fait florès dans le passé par le biais du théâtre. «L'invention» d'un proverbe consiste uniquement à créer une expression qui annonce un message tout en épousant la structure particulièrement lapidaire et rythmée du proverbe. Car, pour accéder au statut de proverbe proprement dit, il faudrait que la population, l'homme de la rue, se l'approprie. «L'objectif n'est pas de créer de nouveaux proverbes (un proverbe ne devient tel que par l'appropriation collective qui en est faite) mais de formuler des messages populaires qui dénoncent la corruption et qui s'inscrivent en faux face à des expressions usuelles», note Hakima Lebbar dans l'introduction du livre. Pour l'histoire, la question d'invention est déterminée par l'idée de vouloir renverser la vapeur contre des proverbes populaires utilisés dans le quotidien de tous les jours «banalisant ou encourageant» carrément la corruption. Cet exercice d'invention de proverbes fustigeant la corruption sera au centre d'intéressants ateliers d'écriture dans deux collèges à Kénitra et Béni Mellal. Le résultat est parfois d'une perfection à couper le souffle comme le travail effectué avec les élèves sous l'encadrement des artistes calligraphes Smaïl Bourquiba et Mohamed Qarmad. D'autres «proverbes», rassemblés dans un chapitre intitulé «Expressions proposées sous la forme syntaxique du proverbe», constituent des textes transcrits notamment dans le livre d'or d'expositions itinérantes soit par des militants comme Hakima Lebbar, Zakia Iraqui, Khalid Jamaï, ou encore des poètes comme Taha Adnane, Fatima Chahid ou tout simplement des visiteurs des expositions dont des enseignants et des élèves, cadres, un gardien de voitures, une femme de ménage, etc. Ce serait là la concrétisation de l'un des objectifs des promoteurs du projet qui est de «rassembler le plus grand nombre de citoyens autour d'un projet collectif contre la corruption en utilisant les dialectes et les proverbes». D'autre part, le livre rassemble une vingtaine de textes sur la corruption écrits par des écrivains, poètes, journalistes, enseignants chercheurs en arabe et en français. Il montre des œuvres d'art plastique (peintures, sculptures, installation) d'artistes marocains associés aussi au projet et qui ont réalisé des œuvres en s'inspirant d'un proverbe de leur choix. On dénonce, critique, fustige avec de l'ironie, de l'humour en évitant le fatras du discours moralisateur. Parallèlement aux œuvres d'arts plastiques ou l'installation de casseroles «El Gamila» de Karim Alaoui avec expressions contre la corruption gravées sur des plaques aluminium et collées sur les casseroles pour signifier celles qu'on traîne, il y a le travail des calligraphes avec les élèves déjà cités. Dans le collège Al Qods de Béni Mellal, avec plus de méthodologie, une liste du jargon d'appellation des billets de banques et pièces de monnaie et des pratiques est établie par les élèves de 7ème et de 8ème années fondamentales. En lisant les proverbes créés par les élèves, on observe certains secteurs ciblés comme l'exercice de la médecine ou la justice.