Sous son manteau blanc, la neige raconte l'Histoire climatique et géographique des montagnes marocaines, entre héritage glaciaire et défis contemporains. A l'écriture de ces lignes, un grand nombre de zones de montagnes marocaines ont enfin revêtu un beau manteau de neige blanche. Une métamorphose qui advient après plusieurs jours de froid intense. «La situation météorologique du Maroc entre le mardi 14 et le samedi 18 janvier 2025 a été marquée par l'influence d'une dépression centrée sur le bassin méditerranéen, accompagnée de masses d'air froid polaire. Cette dépression a entraîné une intrusion d'air froid sur le pays, provoquant une baisse notable des températures, atteignant en moyenne 3 à 8 degrés en dessous des normales saisonnières», explique la Direction Générale de la Météorologie (DGM). Si cette situation engendre des difficultés pour certaines populations de montagne, justifiant le déploiement de la campagne Riaya 2024-2025, le retour des neiges est également une bonne nouvelle pour les touristes locaux et internationaux.
Neige et paysages Mais, bien au-delà du simple fait d'influencer le cycle hydrique ou le tourisme hivernal du pays, la neige a tout au long des âges façonné aussi bien notre géographie que nos paysages. Pendant les périodes glaciaires du Quaternaire, les sommets du Haut Atlas étaient recouverts de glaciers. Présents il y a environ 20.000 ans, ces mastodontes de glace atteignaient des altitudes de 2.500 mètres et creusaient les vallées en forme de U, notamment celles qu'on peut observer aujourd'hui à Oukaïmeden ou autour du Jbel Toubkal.Une étude publiée en 2016 dans «Quaternaire International» confirme d'ailleurs que «les glaciers du Haut Atlas central ont laissé derrière eux des moraines et des cirques, traces directes de leur présence passée». Ces amas de roches, transportés par la glace, sont encore visibles aujourd'hui et racontent une époque où les montagnes marocaines étaient bien différentes. Même aujourd'hui, après la disparition des glaciers, la neige continue de transformer les reliefs marocains.
Littoral et sommets Chaque hiver, la neige s'accumule sur les sommets du Haut Atlas et du Moyen Atlas avant de fondre au printemps. Ce cycle, combiné au gel et au dégel, fragilise les roches et les fait éclater en petits morceaux. Si la neige est aujourd'hui un phénomène exclusivement réservé aux zones d'altitude, certaines périodes glaciaires que notre pays a connues (il y a plusieurs millénaires) ont permis des chutes de neige dans des zones plus basses, y compris sur les côtes littorales. Les auteurs d'une étude publiée en 2021 dans «Earth Sciences Reviews» indiquent que «les refroidissements extrêmes ont favorisé des épisodes neigeux exceptionnels dans des régions comme le littoral méditerranéen du Rif». Aujourd'hui, les températures douces des côtes marocaines rendent de telles chutes de neige impossibles. De même, le nombre de jours de neige par an, aussi bien que la superficie totale couverte par la poudreuse ainsi que les volumes de chutes enregistrés sont en constante régression.
Trace indélébile «La neige que les nouvelles générations connaissent actuellement n'a rien à avoir avec celle que nous avons vue et vécue durant les années 60 et 70. Je me rappelle de routes dans le Moyen Atlas où la neige accumulée dépassait 1m 50», témoigne un octogénaire de la région de Fès, notant que les conditions de vie des populations de montagne «étaient beaucoup plus difficiles à l'époque au vu de l'enclavement, du froid et de l'intensité des épisodes de chutes de neige». S'il est actuellement très probable que la tendance de régression des neiges s'installera durablement, le passage de milliers de saisons froides sous nos latitudes, depuis la nuit des temps, a tout de même laissé une trace indélébile, même si celle-ci demeure souvent invisible au commun des mortels. Les auteurs d'une étude publiée en 2018, dans Geomorphologie, expliquent qu'un grand nombre de formations naturelles dans les montagnes marocaines sont «des archives vivantes qui racontent l'Histoire climatique du Maroc» et aident les chercheurs à comprendre comment le climat a évolué et comment il pourrait encore changer à l'avenir.
Omar ASSIF 3 questions à Mohammed-Saïd Karrouk, climatologue «Une circulation atmosphérique devenue méridienne et ondulatoire a permis l'arrivée d'air froid venant de Sibérie» * Quel a été l'impact de la sécheresse sur les chutes de neige au Maroc ? Au début des années 80, le Maroc a connu une sécheresse totale et généralisée pendant cinq ans. Il n'a pas plu, et les températures étaient élevées. De ce fait, la neige a disparu des montagnes, en particulier des sommets de l'Atlas. Cela a eu un impact direct sur les oasis marocaines qui sont alimentées en temps normal par des ressources hydriques qui proviennent directement de la fonte des neiges en amont. Cette période a par la suite connu un exode important des jeunes des oasis marocaines vers d'autres régions et villes du Royaume. Ce phénomène n'était cependant pas localisé puisqu'il faisait partie d'une tendance globale liée à l'augmentation de la température, avec bien évidemment des spécificités géographiques selon les régions.
* Comment le changement climatique influence-t-il la neige au Maroc ? Justement. A partir des années 80, l'augmentation du bilan énergétique de la Terre a renforcé des anticyclones comme celui des Açores, rendant les sécheresses plus intenses. Cela dit, depuis 2006, une circulation atmosphérique devenue méridienne et ondulatoire a permis l'arrivée d'air froid venant de Sibérie, favorisant des épisodes neigeux dans des régions comme l'Est de l'Atlas et même le désert du Sahara. Ces flux froids transforment la vapeur d'eau locale en neige, mais leur présence est irrégulière et occasionnelle.
* Peut-on prévoir l'évolution future des épisodes neigeux au Maroc ? Depuis 2018, une nouvelle phase de sécheresse est apparue, liée à un autre seuil thermique dépassé par la planète. La circulation méridienne, qui a marqué les années précédentes, a permis un retour d'eau sous forme de pluie et de neige, mais elle reste imprévisible. Les flux froids en provenance du Nord-Est peuvent provoquer de la neige dans des régions comme l'Atlas, mais leur impact dépend des conditions planétaires globales. On peut dire que les données disponibles indiquent qu'il y a des chances pour que l'année en cours soit humide. Le réchauffement climatique n'est pas forcément synonyme de disparition ou de diminution des tendances de chutes de neige au niveau national puisque personne ne peut prédire avec certitude l'évolution du climat et des composantes qui interagissent pour le façonner. Monde : Les chutes de neige conditionnées par les températures négatives De nos jours, les chutes de neige peuvent toucher toutes les régions d'un pays situé au Nord de l'hémisphère Nord. Dans les pays de la Méditerranée-Sud, la présence de la neige se limite à des zones d'altitude. Cette répartition reflète un phénomène qui, en plus de la présence de nuages, conditionne les chutes de neige : les températures en deçà de 0°. Au Maroc, ce genre de conditions climatiques qui favorisent les précipitations sous forme de neiges ne se trouve qu'au-delà d'un certain niveau d'altitude (500 mètres). Les montagnes du Rif situées sur l'extrême Nord du pays présentent des altitudes atteignant les 2000 mètres, ce qui leur permet de se vêtir partiellement d'un manteau de neige en période hivernale. Idem pour les chaînes du Haut et du Moyen Atlas dont le plus haut sommet (Toubkal) culmine à 4165 mètres. En Afrique Sub-Saharienne, le seuil minimal pour les chutes de neige augmente pour atteindre 2000 mètres. Il existe plusieurs pays en Asie, en Amérique Latine et en Afrique, où les chutes de neige sont totalement absentes. Phénomène : Grêle et neige, deux manifestations météorologiques aux origines distinctes Si les «précipitations» sont soit liquides (pluie), soit sous forme solide (grêle et neige), la grêle et la neige sont pourtant issues de deux phénomènes très différents. La grêle est généralement liée à des phénomènes orageux qui peuvent parfois avoir lieu même en période d'été. Le type de nuage qui peut donner de la grêle a toujours une extension verticale très haute. À titre d'exemple, l'extension verticale d'un nuage de ce genre peut atteindre treize kilomètres entre sa base et son sommet. Les mouvements qui peuvent avoir lieu au sein de ce genre de nuage peuvent amener à la condensation de gouttes d'eau à très haute altitude où les températures sont très basses. «La grêle, c'est justement l'eau qui s'est glacée très haut, et dont la chute s'est faite si rapidement que le grêlon n'a pas eu le temps de fondre. La neige, c'est un tout autre phénomène, puisqu'elle est issue d'un front nuageux dont l'extension verticale n'est pas aussi importante. Les gouttelettes d'eau se transforment en neige avant d'atteindre le sol : quand il y a une température générale négative. Un même nuage peut par exemple donner de la neige à Ifrane (car la température y est en dessous de 0°), et donner de la pluie à El Hajeb (parce que la température est au-dessus de 0°)», explique Khalid El Rhaz, ingénieur météorologue et Chef du service climat et changements climatiques à la Direction Générale de la Météorologie. A noter que l'année 2006 est la dernière à avoir connu des chutes relativement importantes de neige au niveau national.