Dans un surprenant communiqué laconique, la présidence de la république algérienne annonce l'organisation d'une élection présidentielle anticipée, le 07 septembre prochain, réduisant de trois mois l'actuel mandat du président Tebboune. Le communiqué est repris par tous les médias algériens sans le moindre commentaire ni analyse. Comme à leur habitude, les nombreuses chaînes de télévision publiques et privées (au nombre de 27), n'ont pas ouvert le moindre débat sur le sujet. Comme s'il s'agissait d'un non-évènement. Pourtant, il s'agit bel et bien d'une élection présidentielle très attendue. L'idée d'écourter le mandat de l'actuel locataire du palais d'El-Mouradia ne pouvait effleurer l'esprit du plus averti des observateurs de la vie politique algérienne. La veille de l'annonce de cette décision, des laudateurs, professionnels de la flagornerie, ont commencé à lancer des appels à Tebboune pour briguer un second mandat. Comme si la décision lui appartenait. La veille, également, le président Tebboune recevait au palais présidentiel, une délégation du Conseil de la Renaissance de l'Economie Algérienne, qui n'est autre que l'organisation patronale, et les présidents de deux chefs de partis politiques, sans ancrage aucun, dans la société et dont le rôle se limite à soutenir le président tant qu'il bénéficie des faveurs des militaires. La veille, aussi, Un nombre restreint de militaire, ceux qu'on désigne du vocable de « décideurs de l'ombre », s'est réuni, en conclave, pour étudier les voies et moyens, pour barrer la route du deuxième mandat à Abdelmadjid Tebboune. L'information a été donnée par votre serviteur, dans le soir même, sur sa chaîne YouTube.
Tout se fait dans l'anti-constitutionnalité
L'annonce de la décision d'organiser une présidentielle anticipée s'est faite à l'issue d'une réunion d'un comité qui n'a rien de constitutionnel. Ce sont les Présidents du Conseil de la Nation, de l'Assemblée Populaire Nationale, de la Cour constitutionnelle, le Premier Ministre, le Chef d'état-major de l'Armée nationale populaire, le Directeur du Cabinet de la Présidence de la République, le Ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales et le Président de l'Autorité nationale indépendante des élections. La réunion, selon le communiqué de la présidence de la république était « consacrée à l'étude des préparatifs pour les prochaines élections présidentielles ». Un fait sans précédent. Les précédentes démissions des présidents algériens se faisaient soit par une annonce solennelle faite par le président himself, soit par un communiqué de presse annonçant la remise par le président de la république de sa démission au président du conseil constitutionnel (le cas de Chadli Bendjedid en 1992 et d'Abdelaziz Bouteflika en 2019) soit dans une allocution télévisée impromptue annonçant la décision d'écourter le mandat (le cas de Liamine Zeroual en septembre 1998). Ainsi, l'on constate que sur les six présidents élus, qui se sont succédé à la tête de l'Etat algérien depuis l'indépendance en 1962, quatre ont été démissionnaires ou plutôt contraints à la démission par les décideurs de l'ombre.
La démission : le coup d'Etat militaire made in Algeria
Chadli Bendjedid, élu le 9 février 1979, a ouvert le bal des présidents démissionnaires le 11 janvier 1992 sous la pression des généraux dits « les janviéristes » qui ont délibérément violé la constitution en mettant en place un Haut Comité d'Etat pour continuer ce qui reste du mandat de Chadli. Un comité à la tête duquel ils installent Mohamed Boudiaf, un historique du mouvement nationaliste et l'un des fondateurs du FLN qui déclencha la guerre de libération nationale le 1er novembre 1954. Après 28 ans d'exil au Maroc, cet historique, autrefois banni et oublié de l'histoire, est appelé pour venir « au secours d'une Algérie sur le point de sombrer dans l'obscurantisme ». Six mois plus tard, il est assassiné en public devant les caméras de la télévision, par M'barek Boumarafi, un sous-lieutenant du DRS (le Département du Renseignement et de la Sécurité) que dirigeait le général Mohamed Mediene alias Toufik, dans une salle du palais de la culture d'Annaba (à 600 km à l'est d'Alger), alors qu'il prononçait un discours. En visite à Annaba, le président Boudiaf n'était accompagné par aucun ministre. Pas même le ministre de l'intérieur qui n'était autre que le général Larbi Belkheir, le véritable architecte du « pouvoir occulte » clé de voute du système politique algérien. L'acte était prémédité. Le deuxième président élu à avoir démissionné est le général Lamine Zeroual. Rappelé de sa retraite qu'il écoulait paisiblement dans sa ville natale, Batna, dans les Aurès, il est, d'abord, nommé ministre de la défense nationale le 10 juillet 1993. Six mois plus tard, il est désigné le 30 janvier 1994, président de l'Etat pour une durée de trois ans. Sans élections. Il écourta son mandat de président de l'Etat en appelant à l'organisation du premier scrutin pluraliste en Algérie. « Les décideurs de l'ombre » le poussent, à la dernière minute, à se porter candidat pour cette présidentielle qui s'est tenue le 16 novembre 1996. Il remporte le scrutin dès le premier tour avec un score de 61,3% des voix. Le plus faible de toutes les joutes électorales présidentielles en Algérie. Ne supportant plus les manigances des généraux du « cabinet noir » et leurs pressions dans le but de limiter ses prérogatives, Liamine Zeroual annonce, au cours d'une allocution présidentielle, l'organisation d'une présidentielle anticipée. Abdelaziz Bouteflika, successeur de Liamine Zeroual, résista à toutes les pressions et finit par faire voler en éclats le cabinet noir. Il s'entoure d'une nouvelle équipe de généraux dont le général Ahmed Gaïd Salah, à qui il fera porter la double casquette. Celle de chef d'Etat-major de l'armée et celle de vice-ministre de la défense nationale. Il lui donne tous les pouvoirs sur l'armée. Et c'est ce militaire qui jurait loyauté et fidélité à Bouteflika durant une bonne quinzaine d'années qui ira, dans la soirée du 2 avril 2019, à la résidence présidentielle de Zéralda, accompagné du président du conseil constitutionnel, l'obliger à démissionner avant d'envoyer son frère cadet Saïd Bouteflika à la prison militaire. Abdelaziz Bouteflika, n'échappa pas à la règle des coups d'Etat militaires à l'algérienne : la démission. Il en sera de même pour son successeur, Abdelmadjid Tebboune, malgré sa docilité face aux militaires.
Le seul coup d'Etat militaire assumé en tant que tel
Ahmed Benbella et Houari Boumediene sont les deux seuls présidents de l'Algérie indépendante, qui n'ont pas démissionné sous la contrainte. Le premier nommé a été dégommé par le second par un coup d'état militaire dans le sens plein du terme. Dans la nuit du 18 au 19 juin 1965, le colonel Tahar Zebiri que Benbella venait de nommer à la tête de l'état-major de l'armée à l'insu du colonel Houari Boumediene, vice-président du conseil du gouvernement et ministre de la défense nationale, ira toquer à la porte de la chambre qu'occupait le président de la république dans la villa Joly faisant face au palais du peuple où se trouvait son bureau présidentiel. Au bout de deux années et demie d'exercice du pouvoir, Ahmed Benbella est démis de son poste et ira passer 13 années d'isolement, au château Holden, à Douera, une localité située à quelques encablures au sud d'Alger. Assumant son coup d'Etat qu'il qualifia de « redressement révolutionnaire », Houari Boumediene dissout l'assemblée nationale, gèle les activités du parti du Front de Libération Nationale, le transformant en appareil du parti, sans aucun pouvoir et sans aucune influence sur les décisions politiques. Il gèle, également la constitution en décrétant « la légitimité révolutionnaire » en remplacement de « la légitimité constitutionnelle ». Un conseil de la révolution constitué de 28 officiers issus des rangs de l'Armée de Libération Nationale, sous la présidence de Houari Boumediene, dirigera en toute collégialité les affaires du pays. Il fallait attendre le 10 décembre 1976 pour que soit élu Houari Boumediene au suffrage universel, président de la république. Il décèdera, deux années plus tard, le 27 mars 1978, à l'hôpital Mustapha Bacha, d'Alger des suites d'une maladie qui reste, à ce jour, une véritable énigme. Hormis les deux premiers présidents élus, tous les autres, ils sont au nombre de quatre, ont été démis de leurs fonctions par des militaires tapis dans l'ombre qui n'osent pas assumer leurs actes ni prendre le pouvoir de manière franche. Ils ont, toujours, joué aux marionnettistes, manipulant à leur guise des pantins, derrière le rideau. Tout en déniant au peuple le droit d'élire en toute liberté et en toute démocratie son président et son parlement. Autrement dit, ils dénient au peuple algérien le droit à l'autodétermination. Ce droit si sacré qu'ils revendiquent aux autres y compris une poignée de mercenaires sans représentativité aucune, pour juste servir d'éternel alibi d'hostilité envers le voisin marocain. Dans le seul but d'asseoir leur pouvoir en appelant à la menace extérieure.