Depuis 1962, l'Algérie a connu sept chefs d'Etat (aux statuts juridiques divers) : Ahmed Ben Bella (1962-1965), Houari Boumediène (1965-1978), Chadli Bendjedid (1979-1992), Mohamed Boudiaf (1992), Ali Kafi (1992-1994), Liamine Zeroual (1994-1999), Abdelaziz Bouteflika (1999-2019) et Abdelmajid Tebboune (19 décembre 2019 – ?). Hélas, le « péché originel » lié à la fondation même de l'Etat est toujours là. Ni la « transition démocratique » avortée sous Chadli Benjdid, ni la « décennie noire », ni les deux décennies bouteflikiennes n'ont pu venir à bout de l'omnipotence des militaires. Et cela date des luttes intestines au sein du FLN dès le lendemain du référendum qui fit émerger l'Etat algérien à la surface du Globe. En effet, « après l'indépendance, les chefs du FLN entrent en conflit. Ahmed Ben Bella et Houari Boumédiène, aidés par la Wilaya I (Aurès), la Wilaya II (Constantinois), la Wilaya V (Oranie), la Wilaya VI (Sud), font la guerre contre Mohamed Boudiaf et Krim Belkacem de la Wilaya (III) et (IV). S'ensuit la crise de l'été 1962. Ahmed Ben Bella et Houari Boumediène en sortent vainqueurs et prennent Alger où ils entrent sur les tanks le 4 septembre 1962 ». C'est bel et bien cette usurpation originelle musclée du pouvoir qui s'est pérennisée en dépit d'une récurrente alternance, souvent douteuse, au Palais Mouradia, comme en témoigne les scores ridicules de la dernière élection présidentielle. Force est de constater que depuis son indépendance jusqu'à ce jour, si l'Etat a été laborieusement et violemment créé malgré les innombrables dérives idéologiques, diplomatiques, économiques et politiques, le pays de Tebboune n'a connu aucun début de commencement de l'édification d'une NATION digne de ce nom, à savoir une configuration ethnoculturelle, sociopolitique et institutionnelle consensuelle assise sur un récit commun, un destin commun et un panier doctrinal consensuel. Hormis la psittacine référence à la guerre de libération et son lot de Chouhadas, rien de notable n'est venu densifier le projet national. Rien de rien ! Oualou! Aucun semblant de vision économique crédible A cela s'ajoute le fiasco économique profondément vicié par la rente gazière qui, dûment jumelée à la démagogie tiers-mondiste et à la fausse fierté (nif) « autodéterminationniste », a plombé toute velléité entrepreneuriale. Aujourd'hui, alors que les recettes du gaz et du pétrole explosent à la faveur du conflit russo-ukrainien et des caprices de l'OPEP+, aucun semblant de vision économique crédible et internationalement reconnue n'est à l'ordre du jour. En effet, plus de 90% des besoins du pays, y compris alimentaires, sont toujours importés ; le Dinar continue à être une « monnaie de singe, au point que l'équivalent de 20 milliards de dollars sont enfouis soit dans la thésaurisation extra-bancaire soit dans l'informel ; le système bancaire reste quasiment primitif puisque l'Algérie n'arrive toujours pas à compter une première agence à l'étranger...etc. Alors que le Maroc peut légitimement s'enorgueillir de ses banques implantées dans 22 pays africains, essentiellement dans les deux zones monétaires de l'Afrique d'Ouest et centrale, et qu'elles détiennent près du tiers des agences de la zone d'Afrique de l'Ouest, l'Algérie peine à assoir même intra-muros les fondamentaux financiers d'une économie moderne. Sans aucunement prétendre que le Maroc ait triomphé définitivement de la pauvreté ou a fortiori qu'il caracole vers la prospérité, j'ai toujours affirmé, en revanche, que la chance la plus notable du Royaume n'est autre que la débilité de la nomenclatura militaire qui gouverne l'Algérie. Un seul exemple : matin et soir, les médias officiels et même officieux d'Alger vocifèrent « Makhzen marocain ! Makhzen marocain ! ». Or, ce faisant, ces « Caporaux » incultes qui semblent n'avoir jamais appris les rudiments de la science politique – le piètre niveau de leur diplomatie le prouve amplement – rendent un inégalable hommage au système marocain en croyant l'insulter ! Ils ignorent, en effet, que : 1) Le Makhzen loge au plus profond du mental collectif des Marocains ; 2) Le Makhzen n'est rien d'autre que l'Etat profond tel que choisi par les Marocains depuis plusieurs siècles ; 3) Le Maroc est une vieille NATION, un atout rhizomique et fédérateur encore inexistant en Algérie. Une telle vieille Nation est arrivée depuis lurette à assoir un CONSENSUS autour de son institution monarchique, au point qu'on peine à trouver trace de groupes ou même d'individus mettant en cause ce CONSENSUS autour de la Monarchie, celle-là même que les forces vives s'attèlent crescendo à rendre la plus constitutionnelle, la plus démocratique et la plus sociale possible. C'est, en premier, cela qui est reproché au Maroc, en vérité. Il en est jalousé et haï par une junte qui, en plus de soixante ans d'aléatoire indépendance, n'arrive toujours pas à faire émerger un ETAT-NATION authentiquement responsable, respectable et respecté. Au point que l'on peut, encore aujourd'hui, à l'exception de la reconnaissance unanime de l'Etat d'Algérie par l'ONU, comparer, à maints égards, la « République algérienne démocratique populaire » à sa propre marionnette, la fantasmatique « République arabe sahraouie démocratique ». Je l'ai écrit plus haut et le répète à satiété : « L'Etat algérien est mal né ; la Nation Algérienne est encore à l'état fœtal ». Tel est, en vérité, le péché originel de ce pays, et c'est précisément cela qui explique sa haine viscérale et cérébrale de tout ce qui est marocain. *Anthropologue & Journaliste