La réforme portée par Abdellatif Ouahbi devrait assouplir le Code de procédure pénale en renforçant le droit de la défense. Immersion dans les pistes les moins explorées d'une réforme décisive. Décryptage. Désormais, on voit le bout du tunnel. Après tant d'attente, le nouveau Code de procédure pénale sera bientôt dévoilé. Jeudi, le Conseil de gouvernement s'apprête à prendre acte des dernières nouveautés du texte de la réforme portée par le ministre de la Justice. L'Exécutif y attache beaucoup d'importance d'autant plus qu'il s'agit d'un des chantiers majeurs de la refonte du fonctionnement de l'appareil judiciaire. Ce texte, esquissé par les ministres précédents, est le fruit d'une série de consultations menées par le ministère de tutelle auprès de l'ensemble des acteurs concernés, y compris le Ministère public et le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire.
Un souffle libéral ? Le futur Code de procédure pénale devrait être, à en croire les déclarations d'intention du ministère de la Justice, imprégné d'un esprit droit-de-l'hommiste. Le ministre, qui se dit un libéral convaincu, n'a jamais caché sa volonté de raffermir les droits de la défense tout au long de la procédure pénale. Or, la volonté de renforcer les prérogatives des avocats requiert un schéma subtil qui garantit plus d'équilibre avec celles du parquet. Dans ses déclarations publiques, Ouahbi n'a eu de cesse de plaider pour le renforcement des droits des robes noires pour qu'ils pèsent plus lourd face à l'accusation publique.
Garde à vue : Ce qui peut changer Cela fait des années que les avocats revendiquent plus de droits, surtout au niveau de la garde à vue. Ouahbi a d'ores et déjà fait part de sa volonté de leur permettre d'assister aux interrogatoires de police. Jusqu'à présent, au Maroc, le droit d'assistance par un avocat demeure limité par rapport aux expériences internationales. Le suspect ne peut être mis en contact avec son avocat qu'à l'expiration de la première moitié de la garde à vue à condition d'avoir l'autorisation du Procureur du Roi. « La présence de l'avocat durant les interrogatoires est vivement souhaitable », acquiesce Omar Benjelloun, avocat au Barreau de Rabat, qui plaide pour que l'avocat intervienne dès la première heure. En outre, l'autorisation du Parquet est perçue parfois par les robes noires comme un obstacle vu les nombreuses formalités jugées suffocantes. D'où l'appel de certains à l'annuler, nous explique un avocat au barreau de Rabat sous couvert d'anonymat, expliquant que l'assistance par un avocat devrait ainsi être renforcée. La présence immédiate de l'avocat est jugée d'autant plus bénéfique à la défense qu'elle peut prévenir quelques cas d'abus comme l'extorsion de la parole par la force et par des moyens illégaux. Aussi, la défense peut-elle s'assurer dans ce cas que la personne arrêtée a été informée de tous ces droits, notamment celui de garder le silence. A cela s'ajoute la possibilité de vérifier que les procès-verbaux relatent fidèlement la transcription des interrogatoires. Pour sa part, le Conseil National des Droits de l'Homme (CNDH), qui s'est prononcé sur l'avant-projet de la réforme dès 2015, préconise que les auditions soient enregistrées. Pour ce qui est de la prolongation de la garde à vue, les avis restent partagés entre ceux qui appellent à limiter son recours le maximum possible et ceux qui plaident pour qu'elle dure le moins longtemps possible. Rappelons que la garde à vue peut durer jusqu'à 48 heures et peut être prolongée avec l'aval du Procureur du Roi pendant une durée qui varie selon la nature de l'infraction. Encore faut-il que l'aptitude physique du suspect à endurer la GAV soit attestée par un avis médical, exige le CNDH. Tous ces éléments susmentionnés vont dans le sens du renforcement de la présomption d'innocence, selon Mohammed Bouzlafa, professeur universitaire et spécialiste du droit pénal, qui plaide pour que l'avocat ait le droit de prendre des notes et de poser des questions à l'issue de chaque audition à laquelle il assiste avec la possibilité de faire des observations écrites dans lesquelles il peut consigner les questions auxquelles l'Officier de la Police Judiciaire s'est opposé.
Vers l'assouplissement de la détention préventive ? En principe, la détention préventive est une mesure exceptionnelle. Toutefois, les chiffres montrent qu'elle est muée en règle. Tout le monde, y compris le Ministère public, reconnaît qu'il y a un recours excessif à la détention préventive. Ceci est derrière les chiffres alarmants de la population carcérale dont plus de 40% est détenue à titre provisoire. D'où la volonté de la rationaliser. C'est pour cette raison que les peines alternatives ont été mises en place. Or, elles ne sont pas l'unique solution à l'engorgement des prisons, comme l'a fait savoir à maintes reprises le patron de la DGAPR, Mohamed Salah Tamek. En fait, la réforme devrait encadrer plus strictement le recours à la détention préventive. Abdellatif Ouahbi a fait savoir qu'il faut réduire la marge de manœuvre des magistrats en matière de placement en détention en exigeant que la décision soit motivée plus strictement avec plus de possibilités de recours pour les avocats. Mais le plus important, c'est de réduire la durée maximale de la détention préventive qui peut être excessive en cas de report du procès, explique Rabii Chekkouri, avocat au Barreau de Rabat, qui appelle à fixer un seuil pour le placement en détention. Force est de rappeler que l'incarcération préventive peut durer près de six mois, voire plus en cas de report du procès.
Des juges de détention et de liberté ? Pour cette raison, certains avocats, dont M. Chekkouri, jugent préférable d'ôter le pouvoir de placement au Parquet et au juge d'instruction pour le donner à un juge de détention et de liberté, à l'instar de quelques pays européens. Sur ce point, Omar Benjelloun pense qu'il est peu souhaitable que le parquet cumule à la fois le pouvoir de poursuite, de qualification et de détention. "Le risque d'exercer la conviction de condamnation et de punition dans ce cas est élevé", fait-il remarquer, appelant à ce qu'il y ait assez de juges de liberté et de détention au moment où la magistrature est en sous-effectif. En définitive, la réforme de la procédure pénale s'inscrit dans la volonté du Maroc de rationaliser son appareil judiciaire pour se conformer aux normes internationales. Toutefois, les partisans du durcissement appellent à une justice plus intraitable face à la délinquance, sous prétexte que tout assouplissement du Code pénal ne peut que conduire vers un laxisme judiciaire.
Trois questions à Omar Benjelloun : "N'oublions pas que la règle est la présomption d'innocence" * A votre avis, dans quelle mesure la présence de l'avocat pendant les interrogatoires va-t-elle servir la défense ?
Aujourd'hui, l'article 66 de l'actuelle procédure pénale permet à l'avocat de rendre visite à son client entendu par la Police judiciaire pendant la garde à vue qui dure entre 48 et 96 heures sur instruction du Parquet. Mais, ça sera une avancée majeure d'autoriser la présence de l'avocat au cours des interrogatoires de police dès la première heure, et ce, pour veiller à ce qu'il n'y ait pas d'extorsion de la parole par des moyens abusifs. A mon avis, la présence de l'avocat atténue cette probabilité. Ainsi, la Justice aura la tâche plus allégée dans la mesure où les procédures liées au soulèvement de nullité de jugement pour cause de vice de forme seront moins nombreuses, ce qui va permettre aux juges de se concentrer sur l'essentiel et sur le fond.
* Comment améliorer le régime de la garde à vue ?
Je pense que le principe de la mise en garde à vue doit être revu avec suffisamment de recul. Je trouve que la garde à vue ne doit être décidée qu'à titre exceptionnel parce qu'il s'agit d'une épreuve difficile. Rester en détention pendant 24 ou 48 heures n'est pas aisé et peut être ressenti comme une épreuve vexatoire. Cela dit, on peut imaginer la possibilité de resserrer ou recadrer le pouvoir de l'autorité du Parquet en matière de recours à la garde à vue.
Je rappelle que la détention provisoire est du ressort des procureurs et des juges d'instruction. C'est une punition avant de dire le droit. N'oublions pas que la règle est la présomption d'innocence. Il est anormal qu'on place aussi souvent les gens en détention préventive avec la possibilité de les y maintenir pendant des mois avant le jugement. Pour cette raison, il est préférable que le pouvoir de mise en détention soit dévolu à un juge de la liberté et de la détention qui ne traite que de la détention provisoire. Ce faisant, on renforce l'esprit démocratique dans notre système judiciaire. Cela implique de soustraire la décision de détention au parquet et au juge d'instruction qui gardent le pouvoir de poursuite et de qualification des infractions.
* Y a-t-il d'autres moyens que les peines alternatives pour restreindre la détention préventive ?
Je pense que l'allègement de la détention préventive ne passe pas exclusivement par les peines alternatives. Il y a d'autres moyens, dont la dépénalisation de certains crimes et délits mineurs et d'autres infractions qui n'ont pas de vocation criminelle comme les chèques sans provision... Cela passe surtout par la réforme du régime de la détention préventive. C'est la clé de la réduction de la population carcérale, dont près de la moitié est détenue à titre préventif. Aussi, les peines alternatives ne sont-elles pas une solution parce qu'on peut aboutir parfois à une justice à deux vitesses, surtout dans les cas où les personnes favorisées ont la possibilité de payer les amendes journalières.
Trois questions à Rabii Chekkouri "La création d'un juge des libertés et de la détention serait plus pertinente du point de vue de l'impartialité" * Pensez-vous qu'il faut réduire la durée maximale de la détention préventive ?
À mon avis, la durée maximale de la détention préventive doit être réduite et des dispositions particulières doivent être adoptées pour encadrer la durée de la détention postérieurement au renvoi devant la Cour ou le tribunal pour le jugement. En pratique, un certain nombre de procès connaissent des reports d'audiences pendant plusieurs mois, entraînant par conséquent une durée excessive et juridiquement non-encadrée de la détention préventive. En outre, à l'instar de certaines législations européennes, il serait judicieux d'instaurer un seuil quant à la peine encourue pour le placement en détention préventive. Autrement dit, si par exemple la peine encourue n'excède pas deux (2) ans d'emprisonnement, la détention préventive ne peut être décidée, sauf dans l'hypothèse où l'intéressé se soustrait à ses obligations de contrôle judiciaire (c'est-à-dire ses obligations dans le cadre de ses poursuites en état de liberté).
* Est-ce faisable d'enlever le pouvoir de détention préventive au Juge d'instruction pour le donner à un juge des libertés et de la détention ?
J'estime qu'il est temps de supprimer le pouvoir de placement en détention préventive conféré au juge d'instruction ainsi qu'au parquet. Créer une nouvelle institution indépendante, en l'occurrence un juge des libertés et de la détention (JLD), serait plus pertinent du point de vue de l'impartialité. Le JLD est un juge du siège qui décidera de manière indépendante et totalement impartiale le placement en détention, étant donné qu'il n'est pas une partie, c'est-à-dire qu'il n'est chargé ni d'instruire à charge et à décharge ni encore de poursuivre. Toutefois, la décision du JLD sera susceptible de recours devant la Chambre correctionnelle, dite du conseil près la Cour d'appel.
* Que doit être le rôle du parquet dans le cadre de la nouvelle procédure ?
Le rôle du parquet doit être limité aux poursuites et au contrôle de l'enquête. À mon avis, l'instruction doit devenir obligatoire pour toutes les affaires criminelles, sans exception (et non seulement lorsque la peine encourue est égale ou supérieure à 30 ans, comme cela est prévu par l'actuel Code). L'instruction obligatoire en matière criminelle mettra fin aux renvois directs par le parquet devant les juridictions de jugement, en l'occurrence les Chambres criminelles près les Cours d'appel. De surcroît, j'estime qu'il faudrait abandonner le système actuel qui donne compétence aux Cours d'appel de juger les crimes en premier et en second degré. La nouvelle législation devrait mettre en place une Cour criminelle près les tribunaux de première instance et une autre d'appel près les Cours d'appel. Et pour des raisons d'ordre pratique et organisationnel, il serait possible de penser à augmenter le quantum des peines encourues en matière criminelle. Autrement dit, les infractions susceptibles d'être qualifiées de crimes doivent être punies d'une peine supérieure ou égale à 10 ans par exemple (au lieu de 5 ans, tel que cela est prévu par l'actuel Code pénal).