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L'enregistrement vidéo des interrogatoires, comme mesure préventive contre la torture CNDH : Avant-projet de code de procédure pénale : Permettre au prévenu, placé en garde-à-vue, d'établir contact immédiat avec son avocat
Suite à la saisie du Conseil national des droits de l'homme par le ministre de la Justice et des Libertés de l'avant-projet de Code de procédure pénale aux fins de recueillir son avis à son propos, le CNDH a transmis son mémorandum au ministre, contenant les propositions du CNDH relatives à cet avant projet de code qu'il vient de rendre public. Le CNDH y rappelle, à titre d'introduction, que toute révision de la procédure pénale doit s'inscrire dans un contexte plus global de réforme pénale et porter sur l'ensemble de la législation pénale intégrant notamment le Code pénal ainsi que d'autres textes pertinents comme le projet de loi relative à lutte contre la violence à l'égard des femmes et le projet de loi sur la médecine légale. Les recommandations du CNDH portent notamment sur la prévention de la torture et la réduction des risques de détention arbitraire, la rationalisation du recours à la détention préventive, et la protection des groupes les plus vulnérables (personnes placées en garde-à-vue, femmes victimes de la violence, victimes de la traite des êtres humains, personnes en situation de handicap.... Après analyse de la législation pénale et pénitentiaire nationale, en droit et en pratique, le Conseil a conclu que les situations juridiques génératrices de risques de détention arbitraire au Maroc s'inscrivent essentiellement sous la catégorie III (relative à l'inobservation totale ou partielle au droit à un procès équitable), et que les risques de torture se situent essentiellement pendant la période de la garde-à-vue. L'article 66 du Code de procédure pénale (CPP) actuellement en vigueur, qui régit la garde-à-vue, prévoit, notamment après sa modification par la loi 35-11 promulguée par le Dahir N° 1.11.169 du 17/10/2011, des dispositions (premier et troisième paragraphes), qui sont de l'avis du CNDH, compatibles avec les principes 2, 4, 10, 12, 21(§1) et 37 de l'ensemble de Principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement. Toutefois, le CNDH a estimé, dans sa communication écrite adressée au Comité contre la torture, et à l'occasion de l'examen du 4ème rapport périodique du Maroc, que les dispositions de l'article 66 du Code de procédure pénale (qui permettent l'accès à un avocat en cas de prolongation de la durée de garde à vue) constituent une interprétation limitative des dispositions du 3ème paragraphe de l'article 23 de la Constitution. A cet effet, le Conseil a recommandé la révision de l'article 66 notamment son 8ème paragraphe afin de permettre à toute personne placée en garde à vue de bénéficier immédiatement de l'assistance d'un avocat dès son placement. Le Conseil a recommandé également de réviser l'article 66 du CPP, notamment ses paragraphes 4 et 5 afin de réduire les délais de la garde-à-vue dans le cas d'infractions du terrorisme. Le CNDH souligne par ailleurs que le Comité des droits de l'Homme a invité le Maroc à revoir sa législation sur la garde-à-vue et à la mettre en conformité avec les dispositions de l'article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi que de toutes les autres dispositions de ce Pacte. Le Comité a invité également le Maroc à modifier sa législation et sa pratique pour permettre à la personne arrêtée d'avoir un accès à un avocat dès le début de sa garde-à-vue. Dans le même sens, le Comité contre la torture a recommandé au Maroc de prendre des mesures pour permettre l'accès à un avocat dès le début de la garde à vue et sans aucune autorisation préalable. Concernant certaines restrictions pendant la garde-à-vue dans le cadre de la loi antiterroriste, le Comité contre la torture a invité le Maroc à revoir La loi N° 03-03 afin de mieux définir le terrorisme, de réduire la durée maximale de la garde à vue au strict minimum et de permettre l'accès à un avocat dès le début de la détention. Le Groupe de travail sur la détention arbitraire a estimé, par ailleurs, que «la loi antiterroriste, adoptée à la suite des attentats de Casablanca de 2003, qui est toujours en vigueur, est le cadre légal de nombreuses violations des droits de l'Homme. Cette loi doit être modifiée pour rendre les incriminations plus précises, réduire les délais de garde à vue et instituer une procédure qui garantit un procès équitable». Le Conseil constate que l'article 66-1 de l'avant projet du Code de procédure pénale n'a pas accordé aux personnes placées en garde-à-vue la possibilité de communiquer immédiatement avec un avocat. La formule proposée dans l'article précité prévoit la communication avec l'avocat avant l'expiration de la première heure du placement en garde-à-vue. Pour cette raison, le CNDH recommande de reformuler l'article 66-1 de l'avant-projet de la loi du CPP afin de permettre au prévenu, placé en garde-à-vue, d'établir immédiatement contact avec son avocat, quelle que soit la nature de l'infraction pour laquelle le prévenu est poursuivi. Dans la même logique visant à renforcer la présence de la défense lors des moments clés de la procédure, le CNDH propose d'introduire, au niveau de l'article 66-1 de l'avant-projet de loi, une disposition permettant à la personne gardée à vue de demander que l'avocat assiste à ses auditions et confrontations et ce sans aucune autorisation préalable. Le CNDH recommande, par ailleurs, de prévoir dans ce même article les garanties suivantes : Le droit de l'avocat de prendre des notes et de poser des questions à l'issue de chaque audition ou confrontation à laquelle il assiste ; L'officier de police judiciaire ne peut s'opposer aux questions de l'avocat que si celles-ci sont de nature à nuire au bon déroulement de l'enquête. Toutefois, et pour réduire la portée de cette exception, le CNDH recommande d'introduire, au niveau de l'article 66-1, un alinéa obligeant de porter l'opposition de l'officier de police judiciaire au procès-verbal ; Le droit de l'avocat de présenter, à l'issue de chaque audition ou confrontation à laquelle il a assisté -et non seulement durant la prolongation de la garde-à-vue, des observations écrites dans lesquelles il peut consigner les questions auxquelles s'est opposé l'officier de police judiciaire. Il est recommandé également que l'article 66-1 permette également à l'avocat d'adresser ses observations au procureur du Roi pendant la durée de la garde-à-vue. Le Conseil rappelle que la mise en oeuvre de ces recommandations implique, d'une part, l'abrogation de la durée maximale de communication avec l'avocat qui est fixée à trente minutes. D'autre part, et par souci de précision terminologique, le remplacement du terme «communication» par d'autres comme «entretien» ou «concertation» permettra d'une meilleure prise en compte de nouveaux rôles qui seront exercés par la défense pendant la période de la garde à vue en cas de mise en oeuvre des propositions précédemment mentionnées. Le CNDH propose par ailleurs que le même article consacre le droit de la personne placée en garde-à-vue à l'examen médical à deux moments au moins, au début de son placement et avant l'expiration de la durée initiale de la garde à vue. Il est également recommandé d'introduire les principes suivants au niveau de l'article 66-1 de l'avant-projet du code : - L'examen médical est effectué à la demande de la personne placée en garde-à-vue, ou d'un membre de sa famille; - Le médecin est désigné par le procureur du Roi ou par l'officier de police judiciaire. Le prévenu a le droit de demander un contre examen par un médecin de son choix et doit être avisé par l'officier de police judiciaire de ce droit ; L'examen médical doit être pratiqué à l'abri du regard et de toute écoute extérieure afin de permettre le respect de la dignité de la personne et du secret professionnel ; Le médecin délivre un certificat médical qui doit être versé au dossier ; L'avis médical est obligatoire sur l'aptitude au maintien en garde-à-vue et avant toute décision de sa prolongation. Dans le même cadre, le CNDH recommande à ce que l'article 66-1 prévoie une disposition concernant la compétence du mécanisme national de prévention, qui doit être établi, en matière de la visite des lieux du placement en garde à vue. Après avoir analysé la formule prévue par l'article 66-1 de l'avant-projet du code qui accorde à l'avocat le droit d'assister aux interrogatoires des prévenus muets, aveugles ou atteints d'une infirmité de nature à compromettre leur défense, le CNDH estime que cette disposition ne répond que partiellement aux exigences, plus exhaustives, des aménagements procéduraux prévus par l'article 13 (§1) de la Convention relative aux droits des personnes handicapées. En conséquence, le CNDH propose d'introduire une disposition entre les articles 82-5-1 et 82-11 de l'avant-projet du CPP afin de mettre en place des cellules spécialisées pour assister les personnes en situation de handicap à toutes les étapes de la procédure. Le CNDH constate par ailleurs que la nouvelle formule de l'avant-dernier paragraphe de l'article 80 de l'avant-projet de CPP accorde au ministère public la possibilité de retarder la communication de l'avocat avec son client, dans le cas d'infraction de terrorisme et les infractions visées à l'article 108 du CPP27, à la demande de l'officier de police judiciaire sans que ce retard puisse dépasser 48 heures, à compter de l'expiration de la durée initiale de la mise en garde-à-vue. (...) Le CNDH recommande de réduire le délai prévu à l'avant-dernier paragraphe de l'article 80 de l'avant-projet de CPP à 24h, à compter de l'expiration de la durée initiale de la mise en garde-à-vue. Dans le même sens visant à renforcer les garanties de prévention de la torture, le CNDH, recommande à ce que le premier alinéa de l'article 67-1 de l'avant-projet de CPP généralise l'enregistrement audio-visuel de toutes les auditions des prévenus placés en garde à vue quelle que soit la nature des infractions pour lesquelles ils sont poursuivis. Cette proposition tient compte du contexte marocain et notamment les conclusions tirées par le Conseil en matière de traitement des plaintes portant allégations de torture. Cette conclusion pratique est confirmée par la jurisprudence constitutionnelle comparée. Le Conseil constitutionnel français a considéré dans sa décision N° 2012-228/229 QPC du 6 avril 2012 «qu'aucune exigence constitutionnelle n'impose l'enregistrement des auditions ou des interrogatoires des personnes suspectées d'avoir commis un crime ; que, toutefois, en permettant de tels enregistrements, le législateur a entendu rendre possible, par la consultation de ces derniers, la vérification des propos retranscrits dans les procès-verbaux d'audition ou d'interrogatoire des personnes suspectées d'avoir commis un crime ; que, par suite, au regard de l'objectif ainsi poursuivi, la différence de traitement instituée entre les personnes suspectées d'avoir commis l'un des crimes visés par les dispositions contestées et celles qui sont entendues ou interrogées alors qu'elles sont suspectées d'avoir commis d'autres crimes entraîne une discrimination injustifiée ; que, par suite, ces dispositions méconnaissent le principe d'égalité et doivent être déclarées contraires à la Constitution». Le Conseil rappelle par ailleurs que le Comité contre la torture a considéré dans son Observation générale N° 230 l'enregistrement vidéo des interrogatoires comme étant une mesure préventive contre la torture. Le Comité a souligné que «Depuis l'entrée en vigueur de la Convention, l'expérience a renforcé la connaissance qu'a le Comité de la portée et de la nature de l'interdiction de la torture, des méthodes de torture, des situations dans lesquelles ces actes se produisent ainsi que de l'évolution des mesures efficaces pour prévenir la torture dans différents contextes. Par exemple, le Comité a souligné l'importance du fait que les gardiens soient du même sexe que les détenus afin de protéger l'intimité des personnes. À mesure que de nouvelles méthodes de prévention (par exemple, l'enregistrement vidéo de tous les interrogatoires) ... sont découvertes, mises en oeuvre et jugées efficaces, l'article 2 permet de s'appuyer sur les autres articles et d'élargir le champ des mesures requises pour prévenir la torture ». Toutefois, pour compenser les effets juridiques de l'impossibilité technique de l'enregistrement, prévue à l'article 67-1 de l'avant-projet de CPP, le CNDH propose de ne l'appliquer que si l'impossibilité technique survient durant l'interrogatoire. Dans ce cas la présence d'un avocat est indispensable pour compléter l'interrogatoire, sous peine de nullité. Cette proposition s'inspire partiellement de l'arrêt du 4 novembre 2010 de la chambre criminelle de la Cour française de Cassation qui a précisé que « s'il se déduit de l'article 116-1 du Code de procédure pénale que l'impossibilité technique ayant fait obstacle à l'enregistrement d'un interrogatoire, en matière criminelle, dans le cabinet du juge d'instruction, doit être mentionnée dans le procès-verbal d'interrogatoire qui en précise la nature, c'est à la condition qu'elle soit apparue avant la clôture de celui-ci. » Dans le même cadre visant à réduire les risques de détention arbitraire et à renforcer les garanties du procès équitable, le CNDH propose d'ajouter entre le premier et le deuxième paragraphe de l'article 66-1 de l'avant-projet de CPP, une disposition obligeant l'officier de police judiciaire de soumettre à la personne placée en garde-à-vue, une note écrite dans une langue qu'elle comprend. Cette note doit rappeler à la personne concernée son droit d'obtenir l'assistance d'un avocat, le droit d'obtenir une copie du dossier de garde-à-vue, ainsi que la formule selon laquelle la personne placée en garde à vue a le droit de garder le silence et que ses propos pourront être retenus contre elle. La note doit, de l'avis du CNDH, préciser, par ailleurs, les conditions matérielles de la garde-à-vue ainsi que le déroulement des interrogatoires. Dans le même cadre, en vue d'assurer une meilleure conformité de l'avant-projet de CPP avec les dispositions de l'article 14 ( §3, alinéa a) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi que les dispositions du 1er paragraphe de l'article 13 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, le CNDH propose d'introduire au niveau de l'article 66-1 les dispositions suivantes : - La personne atteinte de surdité, qui ne sait ni lire, ni écrire, doit être assistée par un interprète en langue des signes ou par toute personne qualifiée maîtrisant un langage ou une méthode permettant de communiquer avec elle ; - La personne qui ne comprend pas les deux langues officielles, doit se faire notifier ses droits par un interprète après qu'un formulaire lui a été remis pour son information immédiate. Le CNDH rappelle que plusieurs expériences comparées ont opté pour ce procédé afin de renforcer les droits des personnes placées en garde-à-vue. A titre d'exemple, en Angleterre, d'après la loi de 1984 sur la police et la preuve en matière pénale, l'officier de police responsable de la garde à vue doit, aussi rapidement que possible, consigner les motifs de la garde à vue par écrit en présence de la personne arrêtée et l'en informer simultanément. Le code C, document très détaillé de plus de 80 pages, pris en application de la loi et intitulé «Code de bonnes pratiques pour la détention, le traitement et l'interrogatoire des personnes par les officiers de police » prévoit notamment que la personne placée en garde à vue doit être informée oralement de ses droits ; recevoir une note écrite rappelant non seulement ces droits, mais aussi le dispositif permettant d'obtenir l'assistance d'un avocat, le droit d'obtenir une copie du dossier de garde à vue à la fin de celle-ci et pendant les 12 mois suivants, ainsi que la formule selon laquelle elle a le droit de garder le silence et que ses propos pourront être retenus contre elle. En vertu du même code, la personne placée en garde-à-vue reçoit une note écrite supplémentaire relative aux conditions matérielles de la garde à vue ainsi qu'à la conduite des interrogatoires. Des dispositions similaires sont prévues par l'article 63-1 du Code français de procédure pénale. Le CNDH recommande par ailleurs que toute allégation de torture formulée au cours de la garde-à-vue (art. 66-1 de l'avant projet du code), durant la mise en oeuvre du mandat de dépôt (articles 73 et 74), ou lors de la comparution de l'inculpé devant le juge d'instruction (art.134), durant la détention préventive (art.175 et s.) ou au cours d'une audience (art. 293) doit être soumise d'office à un examen médical par un médecin inscrit au tableau des experts judiciaires. L'auteur de l'allégation doit être informé de son droit à un contre examen. Cette recommandation vise à mettre en oeuvre les points 2 et 6 des Principes relatifs aux moyens d'enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants pour établir la réalité des faits. La nouvelle formule de l'article 181-1 de l'avant-projet de CPP prévoit le maintien du prévenu en détention préventive durant le délai d'appel du ministère public. En vertu du même article, l'appel interjeté par le ministère public prolonge le maintien en détention préventive jusqu'il soit statué sur cet appel. Le CNDH, qui plaide pour une application, aussi limitée que possible de la détention préventive, propose de remplacer le prolongement de la détention préventive des prévenus en cas d'appel du ministère public par des mesures du contrôle judiciaire. Vu le contexte national, le CNDH, propose des mesures peu coûteuses, qui s'inspirent de la palette des mesures prévues par exemple en France (article 138 du CPP) ou en Suisse (article 237 du CPP), De l'avis du Conseil, ces mesures peuvent consister, sans être nécessairement cumulatives, en l'interdiction de sortie de limites territoriales déterminées, l'interdiction de s'absenter du domicile, l'interdiction de conduire tous les véhicules ou certains véhicules avec remise du permis de conduire, l'obligation de se présenter régulièrement à un service administratif, fourniture d'un cautionnement et la saisie des documents d'identité ou d'autres documents officiels. Dans un cadre plus général, le Conseil rappelle enfin que le Comité des droits de l'Homme recommande régulièrement aux Etats parties au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, d'introduire dans leurs législations pénales des mesures alternatives à la détention préventive.