Garde à vue, interrogatoires, réduction de la détention préventive... et peines alternatives dont le sujet a fait polémique durant les dernières semaines. Qui devraient profiter de ces assouplissements ? Réponses d'experts. Après avoir parachevé le dossier des peines alternatives, le ministère de la Justice continue de se pencher sur la réforme du Code de procédure pénale, dont la finalisation est nécessaire et indispensable à l'architecture globale de l'arsenal pénal. Jusqu'à présent, il serait présomptueux d'annoncer une date fixe de la sortie de la nouvelle loi ou d'un calendrier dès maintenant », lâche une source ministérielle. En fait, le calendrier dépend des délibérations qui sont en cours au sein de l'Exécutif, sachant que la réforme fait l'objet d'un examen minutieux de la part de l'ensemble des départements ministériels et institutions concernés, auxquels le ministre a transmis sa copie.
Droit de la défense : le subtil équilibre entre l'avocat et le Parquet
Abdellatif Ouahbi veut élaborer « une procédure développée ». C'est ainsi qu'il a présenté sa réforme lors d'une séance plénière au Parlement, tenue le 15 novembre 2021. Depuis qu'il s'est mis à réviser la procédure pénale, le ministre s'est dit clairement déterminé à renforcer le droit de la défense. C'est-à-dire faire en sorte que la réforme renforce la présomption d'innocence et donne plus de prérogatives et de marge de manœuvre aux avocats lors des procédures d'enquête et d'instruction judiciaire. La réforme, apprend-on de sources bien informées, veut équilibrer la balance entre l'avocat et le Parquet, de sorte que la défense ait assez de droits pour peser devant l'accusation publique. Parmi les nouveautés attendues, la présence des avocats lors des interrogatoires de police, ce qui devrait entraîner une révision du régime de la garde à vue que plusieurs praticiens du droit et des avocats estiment qu'il est temps de revoir. La présence de l'avocat aux interrogatoires est vivement réclamée par les robes noires que nous avons contactées. « L'assistance des avocats lors des interrogatoires de police est une garantie supplémentaire », nous confie un avocat au Barreau de Casablanca qui a requis l'anonymat. La présence de l'avocat est d'autant plus nécessaire, aux yeux de notre interlocuteur, qu'il s'agit de permettre à la défense de s'assurer de la conformité des procès-verbaux au contenu des interrogatoires. L'avocat nous renvoie à l'article 289 de procédure pénale qui dispose que « les procès-verbaux et les rapports des officiers de la police judicaire ne font pas force probante s'ils ne respectent pas les conditions de fond... ». D'où l'importance, selon lui, de la présence de l'avocat dès le début des interrogatoires, sachant, poursuit-il, que la loi donne le droit à l'accusé de demander la nullité du procès-verbal réalisé par la police judiciaire devant le juge d'instruction et les magistrats du siège.
Présence aux interrogatoires : ce qu'en pensent les avocats Le fait que les personnes soient assistées dès le début de leur passage au commissariat permettra aussi, selon l'avocat, de s'assurer qu'elles ont été informées de leur droit de garder le silence. « Dans les conditions du fond, il est nécessaire d'indiquer dans le procès-verbal de la police judiciaire que la personne arrêtée a été informée de tous ses droits, notamment le droit de garder le silence. Un droit qui ne peut être garanti qu'avec l'assistance d'un avocat présent dès le début de l'interrogatoire. D'où l'importance, à notre avis, de l'assistance des avocats lors des interrogatoires de police ». Ceci est d'autant important pour les avocats qu'il s'agit, pour eux, de mieux prévenir les cas d'aveux extorqués sous pression. Actuellement, le droit à l'assistance juridique de l'accusé est garanti par la loi. L'article 23 de la Constitution accorde le droit de garder le silence, un droit consacré également par l'article 66 de la procédure pénale qui permet aussi le contact avec l'avocat avec garantie de la confidentialité. Toutefois, il existe des exceptions. Le procureur peut « différer » le contact entre l'avocat et son client en cas de crime. Ce à quoi s'ajoute la nécessité pour l'avocat d'avoir l'autorisation du Parquet pour entrer en contact avec son client. « Les formalités pour entrer en contact avec le détenu lors de son arrestation et les difficultés d'obtenir l'autorisation du parquet durant la première mi-temps de la garde à vue demeurent des obstacles pour les avocats », explique un avocat du Barreau de Tanger dans une déclaration à « L'Opinion ». Pour cette raison, nombreux sont les robes noires qui sont pour que l'autorisation du Parquet ne soit plus obligatoire, souhait apparemment difficilement réalisable. Pour leur part, des savants de droit sont favorables au renforcement de la présence de la défense le maximum possible dans la procédure judiciaire dès le début. Du point de vue de Mohammed Bouzlafa, spécialiste du droit pénal et Doyen par intérim de la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales, la promotion de l'assistance juridique des personnes et le renforcement de la présomption d'innocence sont deux revers d'une seule médaille. « La présomption d'innocence constitue la clé de voûte pour un procès équitable. Il est essentiel, donc, de renforcer la présence et l'accompagnement par l'avocat des personnes prises dans les mailles de l'appareil judiciaire. Ce qui renforcera la présomption d'innocence jusqu'à l'issue d'une décision judiciaire ayant acquis la force de la chose jugée », explique doctement l'expert. Par ailleurs, en plus du régime de la garde à vue, la réforme veut rendre le recours à la détention moins facile qu'il ne l'est actuellement. D'où la volonté du ministère de tutelle d'obliger, par la nouvelle réforme, les juges à motiver leur décision en cas de détention préventive. Une décision qui peut faire l'objet d'un recours de la part de la défense. C'est une façon de donner la possibilité à l'avocat de remettre en cause la légitimité de la détention de son client, décidée par un juge, dans un délai de 24 heures. Aussi, pour limiter la durée de la détention préventive, responsable en partie de la surpopulation carcérale, la réforme veut réduire le recours aux enquêtes dans certains délits et déférer l'affaire directement devant le juge. Toutes ces mesures ont pour but d'assouplir la procédure pénale, un objectif cher au ministre Ouahbi, qui n'a eu de cesse de répéter que l'affermissement de la présomption d'innocence est le fil conducteur de sa réforme. Une réforme jugée urgente tant la procédure pénale n'a connu aucune révision depuis 2004, même après le changement de la Constitution. En gros, lorsqu'on interroge les avocats sur les revendications en matière de droit de la défense, ils font souvent référence à trois idées : la primauté du droit de garder le silence, la preuve de la culpabilité appartient à l'accusateur et le doute profite à l'accusé.
Trois questions à Mohammed Bouzlafa « Le renforcement de l'assistance par l'avocat est souhaitable » Certains avocats réclament plus de droits dans la nouvelle procédure pénale. Quels sont les éléments à améliorer de votre point de vue ?
- Le respect des droits de l'Homme s'est toujours posé avec acuité au Maroc. En effet, le droit de la défense est l'un des principes directeurs du procès équitable. Dans cette perspective, il serait préférable qu'il y ait plus de garanties aux droits de la défense. J'estime que l'avocat a le droit de prendre des notes et de poser des questions à l'issue de chaque audition ou confrontation à laquelle il assiste. Aussi, il est souhaitable que l'Officier de Police Judiciaire (OPJ) ne puisse s'opposer aux questions posées par l'avocat que si celles-ci sont de nature à nuire au bon déroulement de l'enquête. Sur ce point, il est logique de donner à l'avocat la possibilité de présenter, à l'issue de chaque audition ou confrontation à laquelle il a assisté (et non seulement lors de la prolongation de la durée de garde à vue), des observations écrites dans lesquelles il peut consigner les questions auxquelles l'OPJ s'est opposé.
- Il y a des citoyens qui pensent que les peines alternatives favorisent l'impunité. Cela est-il vrai ?
- Il faut rappeler que les peines alternatives ont été inspirées par le Discours prononcé par SM le Roi à l'occasion du 56ème anniversaire de la Révolution du Roi et du peuple en 2009, dans lequel le Souverain avait appelé à développer des modes alternatifs de règlement des différends comme la médiation, l'arbitrage, la conciliation et l'application des peines de substitution. Les peines alternatives s'imposent en tant que solution fondamentale à la crise que connaît la politique pénale marocaine. Le souci de l'impunité paraît injustifié puisque ces peines ne sont pas applicables aux peines supérieures à 5 ans fermes. Il en est de même en cas de récidive et elles sont carrément exclues pour les infractions graves comme le terrorisme, le blanchiment de capitaux, l'exploitation sexuelle des mineurs, etc.
- Pensez-vous que l'appareil judiciaire est prêt à une telle réforme ?
- Je pense qu'il faut veiller à la mise en place des moyens financiers, matériels et techniques nécessaires pour le corps judiciaire. Aussi, nous avons besoin, surtout, de renforcer les ressources humaines par le biais des formations. Bilan : La population carcérale en chiffres Dans un communiqué sous forme de réquisitoire, la DGAPR a dressé un bilan alarmant sur la population carcérale au Maroc, tout en pointant du doigt les juges. Aujourd'hui, le nombre de prisonniers est passé de 83.757 à 100.004 entre 2018 et 2023. La Délégation générale à l'administration pénitentiaire et à la réinsertion (DGAPR) a indiqué dans son rapport annuel d'activités au titre de 2022 que la hausse se poursuivrait en 2025 et 2026 où la population carcérale devrait se chiffrer respectivement à 101.512 puis 104.061. Le rapport ajoute que le Maroc compte 251 prisonniers pour 100.000 habitants, sachant que le nombre de nouveaux prisonniers en 2022 s'est chiffré à 116.922 (96% sont des hommes et 4% des femmes). S'agissant de la répartition du nombre des détenus selon le type de crime commis, le rapport précise un total de 41.016 crimes relevant des lois spéciales ; 31.920 crimes contre les biens; 12.597 crimes contre des personnes; 10.897 crimes contre le statut familial et la morale publique; 10.039 crimes contre la sécurité et l'ordre public et 10.456 autres crimes. La durée moyenne de détention est passée de 8,93 mois en 2018 à 9,98 mois en 2022. Excès de détention préventive: Les peines alternatives suffisent-elles ? Cela fait de années que les avocats se plaignent de ce qu'ils appellent « un réflexe » des magistrats qui serait un des facteurs explicatifs, selon eux, du recours jugé excessif à la détention préventive. Pour en réduire l'ampleur, le gouvernement a introduit les peines alternatives à l'emprisonnement dans l'arsenal pénal. Est-ce suffisant, vu que les juges sont confrontés à des cas très particuliers et à des situations tellement complexes que l'emprisonnement s'impose parfois comme unique option ? Mohammed Bouzlafa ne doute pas de leur capacité à faire reculer le nombre des décisions de détention puisque, estime-t-il, la surpopulation carcérale a atteint des niveaux inquiétants. « Ces peines alternatives, portées par le projet de loi n° 43.22, vont mettre un terme au recours excessif à la détention préventive. Nous restons optimistes quant à leur capacité à réaliser ce pourquoi elles ont été instaurées », souligne notre interlocuteur, ajoutant qu'il s'agit d'une façon de trouver un moyen de baisser le taux des détenus à titre préventif afin d'alléger la surpopulation carcérale et épargner des dépenses inutiles pour l'Etat. En effet, le système carcéral marocain souffre d'une surpopulation étant que plus de 40% des détenus sont en détention préventive. « C'est la raison pour laquelle on a pensé mettre en place une option en termes de sanction, à savoir des peines alternatives telles que les travaux d'intérêt général, la surveillance électronique, la restriction de certains droits », rappelle M. Bouzlafa, convaincu qu'il s'agit d'un objectif national, d'où les chances de la réussite de la loi 43.22.