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Rapport annuel du Ministère public : Le dilemme sempiternel de la détention préventive !
Publié dans L'opinion le 14 - 12 - 2021

Le Ministère public a rendu son rapport annuel pour l'année 2020, il en ressort que la détention préventive continue d'encombrer les prisons malgré les efforts consentis. Par contre, la Justice avance en matière de droit de la défense et de la prévention des arrestations arbitraires. Détails.
La détention préventive continue de poser de sérieux problèmes aux établissements pénitenciers. Le rapport annuel de 2020 du Ministère public met en évidence ce constat : les prisons sont encombrées de personnes détenues à titre préventif et qui représentent 45% de la population carcérale. Le chiffre le plus haut jamais enregistré durant la dernière décennie.
Cette proportion a augmenté par rapport à 2019 où les détenus à titre préventif ne représentaient que 38,9%. Malgré les efforts de rationalisation de la détention préventive, on est encore loin de régler ce problème qui demeure systémique dans l'appareil judiciaire marocain. Le Parquet général, seule autorité habilitée à recourir à la détention au début des poursuites judiciaires, le reconnaît même dans son rapport. Le plus étonnant, c'est que la part des détenus provisoires a augmenté même si la population carcérale a baissé de 86.384 à 84.990 prisonniers.
Un problème qui persiste !
Cependant, quoique les prisons restent encombrées de détenus préventifs, les ordres de détention ont baissé au cours de 2020, selon le rapport, qui précise que les procureurs et les juges d'instruction ont ordonné 100.129 arrestations, soit 7000 de moins qu'en 2019. Ce paradoxe est pourtant justifié. Si la détention préventive demeure si prégnante dans la population carcérale, c'est dû en partie au ralentissement des procédures.
En 2020, 38.837 détenus provisoires n'ont pas encore été jugés, selon le rapport, qui allègue des difficultés liées aux contraintes imposées par la pandémie, lesquelles ont ralenti la tenue des procès malgré la mise en place des procès à distance pour les personnes qui le souhaitent.
Pour sa part, le Ministère public demeure déterminé à réduire ce «réflexe», comme le qualifient certains praticiens du droit marocain. Les chiffres montrent cette préoccupation : sur les 648.296 personnes déférées en justice (devant le Parquet), 100.129 ont été détenues, soit près de 16%. 84% ont été libérées ou soumises à des mesures alternatives à la réclusion, souligne le rapport, qui indique que 136.958 personnes ont été présentées au Parquet en état de liberté. La mise en garde à vue a pourtant augmenté de 10% par rapport à 2019, (511.338 personnes y ont été soumises en 2020).
En effet, la réforme du Code de procédure pénale va introduire immanquablement les peines alternatives pour réduire le recours à la détention. Le ministre de la Justice Abdellatif Ouahbi a promis une réforme qui devrait assouplir la justice marocaine. Le Ministère public reste pour sa part tout aussi attaché à la rationalisation de la détention préventive. Le président Moulay El Hassan Daki a multiplié les circulaires pour sensibiliser les magistrats.
Par ailleurs, le Ministère public a souligné le manque de magistrats, surtout dans les tribunaux de première instance qui stagnent malgré la hausse des affaires portées en Justice. Un problème qu'il faut régler.
Arrangement à l'amiable : machine trop rigide
En plus du casse-tête de la détention préventive, le grand problème de la Justice marocaine réside dans le règlement à l'amiable, un principe que le ministre de la Justice veut ardemment promouvoir dans la nouvelle réforme du Code pénal. Ces cas de règlement fluide des contentieux ont baissé de 16% en 2020, souligne le Ministère public, qui reconnaît, dans son rapport, la difficulté de régler les conflits par voie de médiation judiciaire entre parties concernées.
Plusieurs problèmes compliquent cela, surtout la mentalité régnante dans notre société, trop vindicative, estime Omar Daoudi, avocat au Barreau de Rabat. Par ailleurs, l'exécution des peines de prison est du ressort du Ministère public, habilité pour cela par la procédure du Code pénal. 4699 condamnations à la prison ont été exécutées, selon le document, sachant que 1848 personnes poursuivies en état de liberté ont été finalement écrouées.
Droit de la défense : des avancées réalisées
Dans le cadre du respect de la garantie du procès équitable, le Ministère public affirme attacher beaucoup d'importance au droit de la défense, en réagissant le plus favorablement possible aux demandes d'assistance judiciaire, dont 82% ont été acceptées (1326 sur 1558). Le Ministère public a fait part de ses efforts pour promouvoir le droit des personnes arrêtées d'être défendues conformément au Code de la procédure pénale.
Concernant le droit de communiquer avec un avocat pendant la période de la garde à vue, 94% des demandes formulées ont eu une suite favorable, indique le rapport, qui fait état de 224 demandes formulées en 2020, soit une hausse de 60% par rapport à l'année précédente.
Par contre, seules 13 demandes ont été rejetées, pour des raisons d'échéance de la durée de garde à vue, explique le Parquet général. Cette question de droit de défense fera l'objet de la nouvelle réforme du Code pénal. Le ministre de la Justice Abdellatif Ouahbi veut donner plus de garanties en matière de droit de la défense et plus de prérogatives aux avocats lors des enquêtes préliminaires. Le ministre veut même exiger la présence de l'avocat lors des interrogatoires des suspects dans les commissariats de police.
Par ailleurs, compte tenu de l'impact de la pandémie sur le cours des procès, il fallait absolument garder le lien entre l'avocat et les détenus en dépit des contraintes de la distanciation physique. Pour cela, le Ministère public a tâché, par l'intermédiaire de ses représentants dans les différents tribunaux du Royaume, de faciliter les appels à distance entre les détenus et leurs avocats en prenant les mesures nécessaires.
Anass MACHLOUKH
L'info...Graphie
Ministère public
17.614 mineurs présentés devant la Justice en 2020

Le Ministère public a rendu son rapport pour l'année 2020, évoquant de nouvelles statistiques concernant les mineurs en conflit avec la loi, dont 17.614 ont été présentés à la Justice en 2020. La détention préventive est évitée le maximum possible dans ces cas. La situation des mineurs suscite plusieurs inquiétudes au Maroc, l'un des problèmes majeurs de notre société.
Le rapport du Ministère public pour l'année 2020 a été publié, il en ressort des chiffres sur les mineurs en situation de conflit avec la loi. Durant l'année 2020, 17.614 ont été déférés en justice pour diverses infractions, y compris les actes criminels. Les mineurs représentent donc 2,72% du total des personnes arrêtées et traduites en justice durant la même année.
La majorité des mineurs susmentionnés ont été présentés devant des Cours de première instance (15.075), soit 85% des enfants poursuivis. La même source précise que 14.614 mineurs ont été présentés au parquet en état de détention, tandis que 3.000 ont été présentés en état de liberté.

Moralisation de la vie publique
Le Parquet dresse l'état des lieux
Le rapport annuel du Parquet a mis en lumière le phénomène de la corruption au milieu des différentes institutions publiques, recensées à travers le numéro vert direct. Il ressort du rapport que le numéro téléphonique vert direct, dédié à la dénonciation d'actes de corruption, a enregistré 164 saisies de suspects en flagrant délit, à raison de plus d'un cas par semaine. La valeur des pots-de-vin variait entre des montants médiocres qui n'excédaient pas les 50 dirhams et des sommes importantes qui s'élevaient à 300.000 dirhams, (un des cas enregistrés).
Selon le Ministère public, ce sont les fonctionnaires et agents d'autorité qui occupent la première place dans la liste des personnes corruptibles avec 46 cas sur 164 cas de flagrant délit, suivis par la Gendarmerie Royale, la Sûreté nationale, la Protection civile, les Eaux et Forêts et les Forces auxiliaires qui arrivent à la seconde place avec 32 cas de corruption, tandis que les collectivités territoriales ont atteint la 3ème place avec 26 cas, suivies par les intermédiaires qui arrivent en quatrième place avec 16 cas.
Le secteur de la Santé est également connu pour la propagation du phénomène de la corruption, souligne le rapport qui a recensé 13 dossiers liés à la corruption dans ce secteur, suivi par le secteur de la Justice avec 7 dossiers, et le secteur de la Logistique et du Transport avec 5 dossiers.
Au total, le numéro vert direct de dénonciation d'actes de corruption a reçu, au cours de l'année 2020, quelque 15.743 appels. Le rapport indique également que le nombre d'appels reçus sur cette ligne, depuis son lancement le 14 mai 2018 jusqu'à fin 2020, s'élevait à 51.881 appels, soit une moyenne de près de 100 appels par jour.

3 questions à Omar Daoudi
« Les peines alternatives vont régler la problématique de la détention préventive »

Omar Daoudi, avocat au Barreau de Rabat, a répondu à nos questions sur le nouveau rapport du Ministère public et sur la problématique de la détention préventive.
- Selon le rapport du Ministère public, 45% de la population carcérale sont détenus à titre préventif, comment interpréter ce constat ?
- La problématique de la détention préventive est très enracinée dans la culture judiciaire marocaine. Force est de constater que le législateur a donné une définition très large à la détention préventive qui fait que des personnes peuvent être détenues à titre préventif tout au long de la durée de leurs procès et parfois jusqu'à l'épuisement des recours (la cassation).
Ceci explique pourquoi les prisons sont si remplies de ces cas-là. J'ajoute que cette problématique a des racines sociales, la société est pétrie d'esprit vindicatif et assimile le châtiment à la détention comme s'il n'existe pas d'autres peines. Je rappelle ici que l'introduction des peines alternatives va régler beaucoup de problèmes.
- Qu'est-ce qui explique le fait que la détention préventive soit si enracinée dans le système judiciaire ?
- D'abord, les juges d'instruction préfèrent souvent recourir à la détention des suspects en prison pour éviter de vexer les familles des victimes et ne pas courir le risque d'évasion. Le plus important c'est que plusieurs intervenants qui participent à la politique pénale ne jouent pas leur rôle pour prévenir la criminalité. Je cite l'école, les maisons des jeunes et la société civile.
- Le rapport souligne des difficultés dans l'arrangement à l' amiable, pourquoi la médiation judiciaire est-elle si compliquée ?
- Ce problème demeure complexe. Il faut activer de façon plus efficace la procédure de médiation, parfois on s'aperçoit que des gens finissent en prison juste pour une bagarre ou une dispute violente entre voisins ou pour des délits financiers. Les conflits de ce type peuvent être réglés par voie de médiation, il suffit de trouver des moyens plus fluides. Je reconnais que c'est difficile compte tenu de la mentalité des gens. Les autorités judiciaires doivent également fournir plus d'efforts pour promouvoir les techniques de médiation.
Recueillis par A. M.


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