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Rétro-verso : Il y a 71 ans, des soulèvements dans les carrières centrales agitaient Casablanca
Publié dans L'opinion le 06 - 12 - 2023

Les émeutes des carrières centrales de Casablanca sont l'aboutissement d'une série de soulèvements qui ont éclaté en 1945 en Afrique du Nord. Leur point commun fut, bien entendu, la soif d'indépendance. Retour sur un combat libérateur.
Bien que d'aucuns s'accordent à les appeler « les soulèvements de décembre 1952 », les émeutes incendiaires et sanglantes qui ont secoué Casablanca, en cette année, furent le paroxysme d'une suite tragique de révoltes qui n'avaient que trop duré au Maroc et au Maghreb.

De prime abord, et pour comprendre les conséquences de ces événements, un zoom-arrière sur leur cause principale s'impose : en Tunisie, Farhat Hached, héros syndical et nationaliste tunisien, est assassiné le 5 décembre 1952 près de Radès. Selon moult historiens tunisiens et maghrébins, ce leader indépendantiste a été assassiné par la Main rouge, une organisation armée défendant la présence française dans ce pays.

Dès l'annonce de sa mort par les médias, une marée humaine a noirci toute la Tunisie, et tout le Maghreb. Le lendemain, l'Union générale des syndicats marocains, en accord avec le parti de l'Istiqlal, a revendiqué une grève générale pour protester contre cet acte odieux pour ne pas dire ignoble. Aussitôt dit, aussitôt fait : les 7 et 8 décembre Casablanca était à deux doigts de l'apocalypse.

Une ville aux relents apocalyptiques

Au regard de la France, l'image des vives réactions, qui se sont propagées dans ses pays protégés aux deux autres, était trop caricaturale pour être ignorée. Mais à peine a-t-elle eu le temps de faire une réflexion pareille que des manifestations pacifiques ont dès le 7 décembre rempli Casablanca, Rabat, Fès, Marrakech, Agadir et pas seulement.

Mais c'est à la Cité blanche du Royaume que les émeutes ont pris de grande ampleur débordant la Légion étrangère et l'armée. Lesquelles ont eu le piètre réflexe de tirer à bout portant sur les manifestants, causant de cent à trois cent morts, selon les historiens. Le résident général au Maroc dissout l'Istiqlal et en arrête les leaders. De nouvelles échauffourées ont émaillé l'été 1955 dans cette même ville et se sont multipliées dans tout le Maroc, puis elles ont été reprises de plus belle en 1965, ainsi qu'à Casablanca en juin 1981.

Les coulisses des événements de Fès

Jusqu'en 1947, la ville de Fès avait été le théâtre essentiel de l'agitation sociale dans le Protectorat marocain, mais Casablanca était alors la ville où la périodicité et la sévérité des incidents étaient les plus importantes.
Elles interviennent dans un climat de transition sociale qui voit le relais des revendications de réformes politiques à la violence du mouvement nationaliste contre l'ordre colonial.

En octobre 1951, des représentations arabes à l'ONU reprochent à la France de contrevenir aux principes de la Charte des Nations Unies et de la Déclaration des Droits de l'Homme au Maroc, mais leur démarche est écartée par 28 voix contre 23, les Etats-Unis s'y étant opposés. La démarche est mal accueillie par le ministre Robert Schuman, qui s'en indigne et estime qu'il fallait trouver, vaille que vaille, une issue de secours à ce qu'endurent les Marocains.

La demande des Etats arabes à l'ONU est néanmoins réitérée en 1952, tant pour le Maroc que pour la Tunisie, et cette fois les Américains consentent à la soutenir, en contrepartie de quoi les résolutions sont formulées sur un ton ferme mais modéré, invitant à des pourparlers « en vue de l'accession des Tunisiens à la capacité de s'administrer eux-mêmes » et « en vue de développer les institutions politiques libres du peuple marocain ».

Ces interventions à l'ONU ont, selon les responsables français, conforté « les fauteurs de troubles à Tunis » comme à Casablanca, alors que les syndicats et partis marocains ont mis l'accent sur l'impact maghrébin de l'assassinat du leader tunisien Ferhat Hached à la veille du premier jour d'agitation.

Le 26 mars 1952 aux aurores, sans recevoir le moindre signe de Paris, le Résident de Hauteclocque fait déporter Chénik et trois autres ministres du gouvernement tunisien pour les faire remplacer par le pro-français Baccouche, dans une politique que les historiens ont qualifiée de « coup de force et de fait accompli » et qui a aggravé le climat social non seulement en Tunisie, mais aussi au Maroc.

Le 30 mars 1952, quatrième jour du quarantième anniversaire du protectorat marocain, des manifestations avec drapeaux se multiplient dans toute la ville, causant bris de glaces, blessures et tirs de mitrailleuses. Comme une bouteille jetée à la mer, ces cris de détresse et appels au secours ont été relayés partout au Maghreb.

Dans le Protectorat tunisien, le plan proposé par le Premier ministre français Antoine Pinay est écarté par les Tunisiens et, à la mi-novembre 1952, les questions marocaine et tunisienne sont soumises à l'ordre du jour de l'Assemblée générale des Nations Unies.


Histoire : Les conséquences idéologiques des événements des carrières centrales
Après les émeutes, des centaines de militants sont expulsés. Suite à cet épisode tragique, le gouvernement français a décidé de transférer de force en Corse le Sultan du Maroc, qui a illustré la Résistance à la répression au cours de l'année 1953.

En février et mars de la même année, le Pacha de Marrakech, Hadj Thami el Glaoui, en concertation avec le général Guillaume et le préfet régional Philippe Boniface, met sur pied une pétition de 270 fonctionnaires du Makhzen demandant la destitution du Sultan.

Elle est déposée en juin auprès du ministre des Affaires étrangères, Georges Bidault, mais d'autres dirigeants marocains font circuler une contre-pétition en sa faveur le 3 juin. Le Sultan s'exile avec sa famille en Corse en août 1953, puis à Madagascar.

Finalement, ce scénario de crise a eu l'effet inverse de celui escompté et de nombreux Marocains, dont l'écrivain Leila Abouzeid, qui a été témoin des émeutes et les a relatées dans un livre autobiographique, se sont impliqués dans le mouvement nationaliste.

Les séquelles ont eu également des effets considérables sur les Français du Maroc. Une minorité d'entre eux était déjà, depuis les émeutes de 1947, en désaccord avec les excès du système du Protectorat. Après décembre 1952, leur nombre s'accroît de manière significative.

Par ailleurs, la prise de conscience qui a succédé aux manifestations et le tollé qui s'en est ensuivi ont engendré de multiples démarches de la part d'une presse associée aux libéraux français du Maroc, soucieuse de se démarquer de la tonalité pro-colonialiste des journaux de Pierre Masse.
Coulisses : Les tenants et aboutissants de l'assassinat de Hached
Au quatrième congrès de l'UGTT (l'Union générale tunisienne du travail) en mars 1951, Hached dresse son bilan : au bout de cinq ans à la tête de cette organisation, il totalise déjà 120.000 adhérents, appartenant à toutes les catégories et à toutes les régions du pays.

L'UGTT a été un moteur dans la mise en place d'une société structurée autour des volets politique (avec les commissions des garanties constitutionnelles) et social (avec les commissions de la cherté de la vie) de la société civile.

Par son programme socio-économique et ses comités des libertés, l'UGTT a doté le mouvement national d'un agenda national pour la période de l'après-indépendance. Une véritable guérilla sociale est alors menée de manière organisée et systématique contre les autorités du protectorat français.

Le 5 décembre 1952, un guet-apens est organisé en Tunisie pour l'éliminer par des rafales de mitraillettes tirées d'une voiture qui le suit puis s'enfuit à toute allure. À midi, la radio annonce sa mort qui provoque un soulèvement dans tout le pays ainsi que des manifestations à Casablanca, mais aussi au Caire, à Beyrouth, à Karachi, à Jakarta, à Milan, à Bruxelles et à Stockholm.

Plusieurs personnalités françaises dénoncent cet assassinat au travers de leurs articles, de leurs déclarations, de leurs pétitions ou de leurs démarches, tels Roger Stéphane, Daniel Guérin, Claude Bourdet ou encore Charles-André Julien.

Dans les récits historiques et médiatiques marocains, nous pouvons lire que les émeutes et manifestations de Casablanca peuvent être décomposées en « quatre actes principaux » : les deux premiers aux Carrières centrales, respectivement dans la soirée du 7 et la matinée du 8 décembre, le troisième sur la route de Médiouna et le dernier le 8 décembre en fin d'après-midi autour de la Maison des syndicats dans la ville européenne.

Le samedi 6 décembre au matin, le préfet de région, Philippe Boniface, a fait intervenir la Garde républicaine pour rétablir l'ordre à la veille d'une réunion syndicale à la Maison des Syndicats, programmée le dimanche 7 décembre dans la matinée, au cours de laquelle l'appel à la grève générale pour le lendemain, 8 décembre, a été entériné. Le dimanche 7 décembre, la population du centre des Carrières est avisée de l'interdiction de la grève par les crieurs du Pacha, ce qui est considéré comme une véritable provocation.

Les émeutes, qui regroupent 3 000 à 5 000 Marocains, font tomber peu après le gouvernement d'Antoine Pinay, mais servent ensuite à justifier la « mise en œuvre du plan du maréchal Juin » par les autorités coloniales, soutenues par Georges Bidault, qui conduit à l'exil forcé du sultan du Maroc.

Ce sont les premiers remous en Afrique du Nord coloniale qui ont eu des retombées considérables à l'étranger, notamment aux Etats-Unis et au Pakistan comme une traînée de poudre.


Fait marquant : Un PDG français est mort pour le Maroc !
La situation a évolué après l'attentat à la voiture piégée de Jacques Reitzer, le 6 juin, puis l'assassinat de Jacques Lemaigre-Dubreuil, PDG de la multinationale Lesieur, le 11 juin 1955, dans la ville de Paris. Entre-temps, la donne a changé avec l'attentat à la voiture piégée contre Jacques Reitzer, le 6 juin, puis le 11 juin 1955, quand Jacques Lemaigre-Dubreuil, directeur général de la multinationale Lesieur, est tué dans la cage d'escalier de son immeuble par des mercenaires français à Casablanca, pour avoir exprimé sa solidarité avec les Marocains dans les médias français.

Le résident Francis Lacoste est démis de ses fonctions à la mi-juin et remplacé par Gilbert Grandval le 12 juillet, le maréchal Juin du Comité de coordination pour l'Afrique du Nord ayant été, lui aussi, prié de partir.

Une enquête est ouverte et dix Européens sont arrêtés, dont six policiers et François Avivai, propriétaire du Café de la Gironde, soupçonné d'un autre attentat contre Antoine Mazzella, rédacteur en chef de Maroc-Presse. Pour limiter les représailles de cette folle conjoncture, le 22 août, le ministre des Affaires étrangères Antoine Pinay et le Premier ministre Edgar Faure entament des pourparlers avec les nationalistes marocains.

Dépêché à Paris pour le protéger des risques d'attentat, Antoine Mazzella réussit même, grâce à son ami le journaliste Gilbert Viala, chef du service politique de l'Agence Centrale de Presse, à obtenir un rendez-vous avec le ministre Antoine Pinay Gilbert Grandval qui tente d'épurer la police. Mais il est stoppé dans son élan par les échauffourées du 14 juillet 1955 à Casablanca, causées cette fois-ci par les « Européens », qui font 60 morts et près de 300 blessés.


Solidarité outre-mer : François Mauriac s'élève contre l'excès de pouvoir colonial
Le 9 décembre 1952, alors que la presse régionale titre « Emeutes sanglantes à Casablanca : plus de 50 morts, dont 7 Européens », François Mauriac, journaliste au Figaro, est en route pour Stockholm où il doit recevoir son Prix Nobel de littérature. Il s'est rapidement prononcé en faveur de l'Indépendance du Maroc et de la Tunisie.

Ebranlé par cet événement, et déjà abordé peu de temps auparavant par des libéraux marocains comme Robert Barrat, il prend position contre la pression qui pèse sur le Maroc. Dans Le Figaro, François Mauriac demande aux Français du Maroc de ne pas renouveler ces horreurs. En réaction, Jacques Lemaigre-Dubreuil, PDG des huiles Lesieur, très présentes au Maroc depuis la fermeture de l'usine de Dunkerque en France pendant la guerre, adresse une lettre à Georges Bidault pour se plaindre de la crise vécue au Maroc, soulignant qu'il est « venu pour être utile, pas pour torturer ou assassiner ».

Immédiatement après le massacre, Antoine Pinay, président du Conseil, reçoit le chancelier de l'Echiquier britannique et donne rendez-vous au général Guillaume, résident général au Maroc. Ensuite, il reçoit une délégation des trois collèges français et du Conseil de gouvernement marocain, qui insistent sur « la gravité des émeutes » et « l'avertissent de l'état d'esprit » des Français du Maroc. Lesquels voient dans cette explosion « un avertissement pour l'avenir de la France au Maroc ».


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