Après le rapatriement d'une petite fille d'Irak, les proches des familles des ex-combattants de Daëch détenus ont repris espoir, sauf que la procédure de rapatriement s'annonce complexe, surtout dans le cas de la Syrie. Détails. Au fur et à mesure que le temps s'écoule, le désarroi de Souad augmente. Elle, dont le frère est mort en combattant dans les rangs de Daëch, n'a plus de nouvelle de sa nièce et belle-sœur qui croupit dans le camp d'Al-Roj, le district d'al-Malikiyah, à une quinzaine de kilomètres des frontières irakienne et turque de la Syrie.
Un camp contrôlé par les forces kurdes et qui regorge de familles laissées-pour-compte après le décès des hommes de l'organisation terroriste. Les enfants et leurs mères subissent dans ces campements le supplice en mourant en silence. La vie là-bas est un véritable enfer tant l'insécurité règne dans ces zones de non-droit où les règlements de comptes sont monnaie courante. Les familles marocaines bloquées y restent au péril de leur vie, sachant que ces zones sont des repaires de faits divers et de crimes macabres. De temps à autre, on entend parler de meurtres, d'actions vindicatives, de harcèlement sexuel et de viols. L'enfer des damnés de la terre est là. De quoi horrifier les proches de ces familles qui revendiquent depuis longtemps leur rapatriement immédiat à la mère patrie, quitte à être condamnées à la prison. Ces familles, surtout les épouses qui ont rejoint leurs époux enrôlés dans les rangs de Daëch, sont considérées comme complices de terrorisme. Elles risquent des poursuites judiciaires à leur retour au Maroc dont la loi anti-terroriste condamne également les personnes impliquées dans des actes de terrorisme à l'étranger.
Souad, à l'instar des autres proches des familles incarcérées dans les geôles syriennes et irakiennes, a repris espoir après avoir appris le rapatriement d'une fillette qui fut incarcérée avec sa mère dans une prison irakienne. La petite fille de sept ans a été rapatriée seule avec l'accord de sa mère, selon le communiqué de la délégation interministérielle aux droits de l'Homme qui a annoncé son retour. Il s'agit d'une première. Depuis longtemps, nous n'avons pas entendu parler de ce dossier qui semblait traîner malgré l'engagement des autorités marocaines qui tâchent toujours de trouver un moyen de faire revenir les ressortissants nationaux bien que la tâche soit manifestement ardue.
Le rapatriement de la petite fille a été possible grâce à la reprise de la coopération judiciaire entre le Maroc et l'Irak. Les deux pays, rappelons-le, ont repris officiellement le dialogue après des années de gel. Le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, avait pu rouvrir ce dossier en obtenant un protocole de coopération judiciaire qui ouvre la voie à l'échange des personnes poursuivies par la Justice. Cet accord a été signé le 5 mai. Le ministre de tutelle, qui s'est investi personnellement dans ce dossier lorsqu'il a été député et président d'une mission exploratoire au Parlement, a laissé croire, quand il a rencontré quelques Marocaines détenues en Irak, que tout s'arrangera bientôt.
Désormais, les procédures de rapatriement, si complexes soient-elles, sont plus faciles qu'auparavant vu le fonctionnement des canaux diplomatiques avec la réouverture de l'ambassade marocaine à Bagdad en janvier 2023. "Il ne fait aucun doute que la présence diplomatique de notre pays en Irak est bénéfique dans ce genre de procès étant donné que cela facilite la communication avec les autorités locales afin de coordonner des opérations de rapatriement et régler des cas isolés comme celui de la petite fillette en attendant une solution finale", nous explique une source diplomatique proche du dossier.
Le flou plane sur les damnés des geôles syriennes
Si en Irak la tâche est moins compliquée, le sort des ressortissants détenus dans les prisons syriennes soulève plusieurs questions. Force est de constater que le Maroc n'a nul moyen de communication directe avec les autorités locales. L'ambassadeur marocain à Damas ayant été rappelé depuis 2012, les affaires syriennes sont gérées par un chargé d'affaires, apprend-on d'une source diplomatique.
La tâche est d'autant plus dure que certains camps de réfugiés ne sont même pas sous le contrôle des forces du régime comme c'est le cas du camp d'Al-Roj, qui compte 85% de femmes et de leurs enfants, où ce sont les Kurdes qui sont les maîtres de la situation. Ce camp, rappelons-le, est sous le contrôle du Parti de l'Union Démocratique Kurde. Les réfugiés risquent leur vie chaque jour et redoutent le scénario cauchemardesque d'une reprise des hostilités entre le régime de Damas et ce groupuscule. A cela s'ajoutent les attaques de l'Armée turque contre les forces kurdes qui interviennent à intervalles réguliers.
Au milieu de ce bourbier, le seul point lumineux est la présence des organisations humanitaires qui veillent à ce que les détenus aient accès à ce qui répond à leurs besoins de première nécessité. Tant que le flou plane sur le sort des ressortissants marocains, leurs proches au Maroc ne parviennent plus à retrouver leur sérénité. La Coordination nationale des Marocains prisonniers ou bloqués en Syrie et en Irak ne cesse de mettre en garde contre les dangers du retard de rapatriement de ces familles et appelle les autorités marocaines à agir en urgence pour mettre fin à cette situation.
L'avantage des binationaux !
La situation est plus aisée pour les personnes ayant une double nationalité qui s'en sortent mieux. Leila a pu enfin revoir sa cousine, une Franco-Marocaine, après son rapatriement en France. "Nous aurions préféré qu'elle soit rapatriée au Maroc mais nous n'avons pas eu de retour de la part des autorités marocaines. Nous n'avions d'autres choix que de la laisser partir en France, autrement elle et sa fille auraient dû rester emprisonnées plus longtemps", nous confie cette dame dont la famille a vécu l'horreur après l'embrigadement de leur fils dans les rangs des terroristes. Selon notre interlocutrice, qui connaît bien ce dossier puisqu'elle s'est rendue elle-même dans les camps de réfugiés il y a des années, les pays européens ont accéléré la cadence de rapatriement.
Trois questions à Abdelaziz Bekkali : "Le contact est quasi-rompu avec nos proches" Avez-vous repris de l'espoir après le rapatriement de cette fille de 7 ans d'Irak ?
Oui, évidemment qu'il s'agit d'une bonne nouvelle pour toute famille ayant un proche incarcéré là-bas. Nous aurions aimé avoir plus d'informations sur le sort réservé à nos proches en Syrie dont nous ne savons plus rien depuis des mois puisque le contact est rompu. Je rappelle que leur vie est menacée chaque jour et qu'ils croupissent dans le désespoir.
Est-ce qu'il y a eu des contacts entre vous en tant que Coordination et les autorités marocaines sur ce sujet récemment ?
Nous n'avons eu aucune information de la part des autorités marocaines et cela depuis longtemps. Actuellement, nous ignorons s'il y a des procédures de rapatriement en cours.
Vous dites que les familles marocaines risquent leur vie dans les camps de détention. A quel point leur vie est-elle en péril ?
Il n'échappe à personne que les conditions dans lesquelles les femmes et les enfants sont détenus sont difficiles. Il y a l'insécurité, les conditions d'hygiène déplorables et les agressions qui se multiplient de jour en jour. N'oublions pas que certains camps se trouvent au Nord-Est de la Syrie. C'est une zone très dangereuse où il y a une activité militaire. Je rappelle qu'il y a eu récemment des frappes de l'Armée turque. D'où notre inquiétude.
Jugement : Quand la loi est intraitable ! Dès 2015, lorsque Daëch terrorisait le monde entier avec ses cellules dormantes partout et ses relais, le Maroc a renforcé son arsenal juridique en matière de lutte anti-terroriste. Bien qu'elle ait été déjà robuste et donnant assez de marge de manœuvre et d'instruments d'intervention aux services sécuritaires, la loi avait eu besoin d'être amendée vu qu'il fallait l'adapter aux cas des personnes impliquées dans des actes de terrorisme au-delà du territoire national. Celles-ci représentent un péril aussi meurtrier sur la sécurité nationale que celles opérant localement. La loi n°86.14 a criminalisé sans équivoque le ralliement d'une organisation terroriste où elle se trouve même si ses actes ne portent pas préjudice au Royaume et à ses intérêts. Cela permet de juger devant les juridictions marocaines les auteurs d'actes terroristes commis à l'étranger, qu'ils soient Marocains ou étrangers. Rapatriement : L'enjeu de la déradicalisation Cela fait des années que le sort des Marocains détenus dans les foyers de tension au Moyen Orient préoccupe l'opinion publique nationale, notamment la société civile qui a fait une pression telle que le Parlement a créé une mission exploratoire lors de la précédente législature afin de faire la lumière sur leur situation. Compte tenu de sa sensibilité, ce dossier est géré dans la confidentialité totale par une multitude d'intervenants, dont le ministère de la Justice, ceux de l'Intérieur et des Affaires étrangères, ainsi que le Bureau Central d'Investigations Judiciaires (BCIJ) qui gère les cas de retour en coordination totale avec le Parquet compétent. Force est de rappeler que les personnes impliquées dans des actes terroristes sont déférées devant le Parquet près la Cour d'Appel de Rabat.
En effet, les autorités marocaines sont très précautionneuses quant au rapatriement des familles qui présentent un haut risque de radicalisation. Il y a parmi les veuves des ex-combattants celles qui sont férues de l'idéologie extrémiste comme les enfants dont certains sont nés en Irak et en Syrie et sont parfois imbus d'idées obscures. D'où la précaution des Renseignements marocains qui veillent à ce que les revenants soient totalement déradicalisés pour une meilleure réinsertion dans la société.
Selon les données du BCIJ, 1662 combattants marocains ont rejoint les groupes terroristes dans les foyers de tension, dont 1060 se sont enrôlés dans les rangs de Daëch dans la zone syro-irakienne, 100 dans le groupe Cham Al-Islam et 50 dans le front Al-Nosra. 745 djihadistes ont été tués, soit par les forces syriennes, soit lors d'attentats suicides. Jusqu'à présent, 251 personnes sont détenues, dont 233 en Syrie, 12 en Irak et 6 en Turquie.
Pour ce qui est des femmes, parmi les 291 qui sont parties, 99 sont revenues à la mère-patrie, 136 sont encore en détention dans les camps de réfugiés. Elles sont partagées entre 121 femmes de nationalité marocaine et 15 femmes ayant la double nationalité.
S'ajoutent à elles 630 mineurs, dont 82 ont été rapatriés et 387 sont en détention dans des camps en Syrie. La gestion du dossier des mineurs est complexe vu que 200 mineurs sont nés en Syrie et 14 en Europe, tandis que pour 20 enfants, on ne connaît pas leur lieu de naissance.