Le ministre de la Justice a scellé un mémorandum d'entente avec les autorités irakiennes qui ouvre la voie à l'échange de prisonniers. Une annonce qui redonne une lueur d'espoir aux proches des « revenants de Daech ». Détails. Le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, n'est pas revenu bredouille de son périple irakien. Depuis jeudi, le « garde des sceaux » est à Badgad où il a rencontré plusieurs hauts responsables de la Justice irakienne. L'objectif est clair : obtenir un accord judiciaire qui ouvre la voie au retour des anciens combattants marocains de Daëch et d'Al Qaïda et leurs familles en Irak. En effet, Ouahbi et son homologue irakien sont parvenus à un mémorandum d'entente dans le domaine de la Justice. C'est ainsi que le ministère irakien l'a présenté dans son compte rendu, repris par la presse locale. Cet accord est le résultat d'une série d'échanges entre les autorités marocaines et irakiennes, lesquels ont commencé dès le début de 2022. La reprise de la coopération bilatérale a été sur la table depuis la visite du ministre irakien de la Justice Salar Abdul Sattar Mohamed au Maroc en mars 2022 où il s'est entretenu à la fois avec son homologue marocain et le président délégué du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ), Mohamed Abdennabaoui, et le président du Ministère public, Hassan Daki. Début d'un long parcours En réalité, ce n'est qu'une déclaration de bonnes intentions qui ne signifie nullement un retour immédiat de nos ressortissants bloqués dans les prisons irakiennes. En vertu de ce mémorandum, les deux pays ont convenu d'œuvrer dans les plus brefs délais à conclure un accord de coopération judiciaire et d'extradition des personnes condamnées à des peines privatives de liberté. Cette initiative met fin à une longue période de vacuité entre les deux pays qui ont ouvert une nouvelle page dans leurs relations bilatérales avec la réouverture de l'ambassade du Royaume à Bagdad, fermée en 2005 suite à l'insécurité qui régnait en Irak à l'invasion américaine. Faute d'une représentation diplomatique permanente (la gestion des affaires étant transférée en Jordanie), la coopération bilatérale n'était jusqu'à la veille de la visite de Ouahbi régie par aucun accord concret, ce qui compliquait toute coordination en ce qui concerne les détenus marocains dans les geôles irakiennes. La majorité d'entre eux sont emprisonnés pour extrémisme et activité terroriste. A présent, il n'y a pas de données exactes sur les effectifs globaux des détenus des ex-combattants marocains et leurs familles en Irak. Mais il y a des chiffres qui concernent la zone syro-irakienne qui fut le foyer des organisations terroristes. Selon les données du Bureau central d'investigations judiciaires (BCIJ), environ 1662 combattants marocains ont rejoint les groupes terroristes dans les foyers de tension, dont 1060 se sont enrôlés dans les rangs de Daëch, 100 dans le groupe Cham Al Islam et 50 dans le front Al-Nosra. 745 djihadistes ont été tués, soit lors des combats, soit par des attentats suicidaires. Jusqu'à présent, 251 personnes sont détenues, dont 233 en Syrie, une douzaine en Irak et 6 en Turquie (65 hommes, 30 femmes et 180 enfants). Pour ce qui est des femmes, parmi les 291 qui sont parties, 99 sont revenues à la mère-patrie, 136 sont encore en détention dans les camps de réfugiés. Elles sont partagées entre 121 femmes de nationalité marocaine et 15 femmes ayant la double nationalité. S'ajoutent à elles 630 mineurs, dont 82 ont été rapatriés et 387 sont en détention dans des camps en Syrie. La gestion du dossier des mineurs est complexe vu que 200 mineurs sont nés en Syrie et 14 en Europe, tandis que pour 20 enfants, on ne connaît pas leur lieu de naissance.
Une petite lueur d'espoir ! En parvenant à un accord avec l'Irak, le ministère de la Justice donne une lueur d'espoir aux proches des détenus qui n'ont eu de cesse de manifester pour réclamer leur retour immédiat au moment où les conditions de détention dans les camps de réfugiés et les prisons devenaient de plus en plus périlleuses. Le 24 février dernier, la Coordination nationale des familles a haussé le ton en allant manifester devant le siège du ministère des Affaires étrangères. Contactés par nos soins, des membres de la Coordination ont salué l'annonce faite par le ministère de la Justice, tout en estimant qu'il ne faut pas se bercer d'illusions vu que ce n'est que le début d'une longue procédure. La Coordination plaide pour un retour immédiat. « C'est d'autant plus urgent que les camps de réfugiés et les prisons où sont renfermés les détenus et leurs familles ne sont plus sûrs, surtout pour les enfants », nous a expliqué le président de la Coordination Abdelaziz Bakkali. Et les détenus en Syrie ? Maintenant, il ne s'agit que des détenus en Irak qui sont moins nombreux que ceux en Syrie. C'est là où se concentre une partie importante. Jusque-là, le flou plane sur leur sort étant donné que les canaux diplomatiques sont toujours coupés entre le Maroc et la Syrie de Bachar El Assad. D'où la difficulté pour les autorités marocaines de leur trouver une solution. Leur sort est d'autant plus préoccupant que les camps de réfugiés, notamment le camp d'Al-Hol, sous contrôle des forces kurdes où se trouvent les épouses et les enfants des ex-combattants marocains, sont des zones anarchiques. Selon les rapports de médias internationaux, il y règne les viols, les meurtres, et les règlements de comptes, sans oublier les attaques récurrentes des membres de Daëch pour récupérer les enfants. Le démantèlement de ce camp macabre a été au cœur des discussions qu'a eues le ministre de la Justice Abdellatif Ouahbi avec le conseiller irakien à la sécurité nationale, Qasim Al-Araji. Ils ont convenu de la nécessité d'une action arabe commune pour mettre fin à cet enfer. Repère Que faire des revenants ? Durant son séjour en Irak, Abdellatif Ouahbi a pris soin de rencontrer les détenus en personne. Selon la presse irakienne, il s'est entretenu avec des prisonniers et leurs épouses, emprisonnés dans l'un des établissements carcéraux de la capitale Bagdad. En effet, leur retour nécessite une coordination étroite avec les autorités irakiennes et demeure d'autant plus compliqué que le sort qui leur sera réservé au Maroc pose d'innombrables défis. Dans une interview précédente, le directeur du BCIJ, Habboub Cherkaoui, nous a indiqué que 137 combattants ont été rapatriés et traduits, ensuite, devant la Cour d'Appel à Rabat, juridiction chargée des questions de terrorisme. Les autorités marocaines retracent leurs parcours sur la base de données émanant de la DGST, ainsi que des mandats d'arrêts internationaux. C'est le cas des femmes et des enfants qui pose problème puisque leur culpabilité est difficile à prouver et leur réinsertion risquée, puisqu'ils sont nombreux à rester imprégnés des idées extrémistes. A cela s'ajoute le cas épineux des binationaux. Selon le rapport de la mission exploratoire parlementaire qui s'est penchée sur ce sujet en 2021, plus de 200 enfants recensés dans les camps de réfugiés ont la double nationalité. Les données livrées par le ministère de l'Intérieur ont ressorti que 135 enfants seulement parmi ceux qui se trouvent dans la zone syro-irakienne sont nés au Maroc.