Sur le point de quitter le Maroc pour l'Argentine où il a été nommé, l'actuel ambassadeur du Brésil au Maroc, Julio Bitelli, a accordé une interview à « L'Opinion » dans laquelle il revient sur son mandat durant lequel les relations entre Rabat et Brasilia ont vécu un essor sans précédent. Entretien. Récemment, l'accord militaire entre le Maroc et le Brésil a été adopté en commission au Sénat. Ceci a donné lieu à plusieurs interprétations sur le futur de la coopération bilatérale en matière de défense. Que peut découler exactement de cet accord ?
En effet, c'est un accord important qui jette les fondements de la coopération militaire entre nos deux pays. Pour être plus précis, il s'agit d'une base juridique qui ouvre la voie à une coopération plus étroite dans le futur en matière d'exercices militaires, d'échanges d'informations et d'équipements de défense...etc.
Maintenant, il est clair que les relations bilatérales n'ont jamais été aussi bonnes. Peut-on prévoir un renforcement du partenariat avec l'arrivée du nouveau gouvernement de Lula Da Silva ?
C'est vrai que les relations actuelles sont excellentes surtout au niveau commercial. Aujourd'hui, avec un volume d'échange de trois milliards de dollars, le Maroc est le deuxième partenaire du Brésil en Afrique après l'Egypte. Sur consigne du gouvernement, l'ambassade s'est fixé l'objectif d'aller plus loin et de diversifier davantage les échanges puisqu'ils sont encore concentrés. Au niveau politique, il y a un dialogue régulier et fréquent. Les deux ministres des Affaires étrangères ont eu récemment un échange fructueux. Nous avons également un dialogue formel et une coordination régulière au niveau des Nations Unies. Notre stratégie est claire. Nous envisageons d'approfondir le commerce tout en hissant la cadence de la concertation politique. Nous avons d'ores et déjà rétabli quelques mécanismes au niveau des ministères des Affaires étrangères. Aussi, est-il prévu qu'il y aura plus d'échanges de visites dans les mois à venir de hauts responsables. Maintenant, nous sommes en cours de préparation de la visite du ministre des Affaires étrangères au Maroc. Nous sommes en train de fixer une date. Bien que cela prenne du temps comme il y a eu un nouveau gouvernement au brésil en janvier, la détermination est intacte.
Est-ce que la perception du Maroc change au gré des alternances politiques au Brésil ?
- Généralement, le président Lula Da Silva attache beaucoup d'importance aux relations avec l'Afrique et notamment avec le Maroc, sachant qu'il a déjà accueilli le Roi Mohammed VI lors de sa visite au Brésil en 2004. Toujours, dans les relations internationales, les rapports personnels sont importants, et cela vaut pour les relations maroco-brésiliennes. Comme les deux chefs se connaissent depuis des années, cela ne peut être que positif.
Le commerce demeure l'un des points forts de la coopération bilatérale...
Concernant le commerce, même si les échanges ont enregistré des records, on peut faire mieux parce que plusieurs difficultés persistent. Je rappelle que nous n'avons pas de base juridique sur laquelle on peut s'appuyer à l'image des accords de libre-échange dont dispose le Maroc avec l'UE, la Turquie et les Etats-Unis. Ceci pose des problèmes au niveau des tarifs dans les deux sens. Nous sommes en train de discuter avec les autorités marocaines à propos des possibilités de concevoir un cadre légal.
Lorsque vous parlez de cadre légal, pensez-vous à un accord de libre-échange ?
Nous sommes conscients que les accords de libre-échange ne sont plus autant à la mode qu'ils l'étaient dans le passé et ne sont plus perçus comme la panacée du commerce international. Raison pour laquelle nous privilégions des accords pointus en ciblant des secteurs spécifiques. Nous avons une idée sur les secteurs prioritaires pour chacun des deux pays. Les discussions ont commencé. J'ai personnellement consulté le ministre de l'Industrie et du Commerce, M. Ryad Mezzour, sur ce sujet. Je pense que si les deux pays concluent des accords pareils, ils parviendront à diversifier leur commerce.
Quels sont les secteurs prioritaires pour le Brésil ?
- Je peux vous dire que nous sommes intéressés par les protéines animales. Le Brésil est l'un des grands exportateurs de viandes rouges au monde. Or, ils coûtent très cher à l'entrée au Maroc qui applique des tarifs très élevés, près de 200%. Nous espérons que les négociations vont aboutir à un accord sur les viandes congelées dont le commerce et le transport sont plus faciles que ceux des bovins vivants.
Vous plaidez pour un accord commercial. Est-ce parce que le Maroc est excédentaire actuellement dans son commerce avec le Brésil ?
- Absolument non. Le fait que le commerce bilatéral soit en faveur du Maroc ne pose aucun problème au gouvernement brésilien. Notre objectif est de développer les échanges en les diversifiant davantage et nous pensons que les deux pays sont dotés des infrastructures nécessaires pour y arriver. Il ne faut pas oublier que les exportations marocaines sont également très concentrées sur les engrais. Donc, la diversification du commerce ne peut être que mutuellement bénéfique. Nous avons avec l'Office Chérifien des Phosphates une relation impeccable et privilégiée qu'on ne peut réduire à des opérations d'achat ou de vente d'engrais. C'est un véritable partenariat stratégique très prometteur puisque les deux pays sont complémentaires. Le Brésil est une puissance agricole tandis que le Maroc est un leader mondial dans le domaine des phosphates et des engrais. Aucun pays au monde n'a autant de réserves que le Maroc. Nous espérons consolider le partenariat actuel et l'élargir le maximum possible.
La Russie demeure pourtant le premier fournisseur du Brésil en phosphates. Est-ce que la guerre en Ukraine et le chamboulement des chaînes d'approvisionnement qui en résulte vont pousser le Brésil à faire davantage appel au Maroc ?
- La guerre en Ukraine a certes compliqué les choses pour le monde entier. Toutefois, le commerce avec la Russie résiste et n'a pas été si impacté qu'on aurait tendance à le croire. Jusqu'à présent, nous n'avons pas constaté d'effets dramatiques de la guerre sur les échanges, notamment ceux des phosphates.
Bien que le commerce soit prospère, le dialogue entre les hommes d'affaires des deux pays demeure faible. Pourquoi à votre avis ? - Je crois que la période de la pandémie, avec toutes les restrictions qui ont eu lieu, a interrompu le dialogue et les échanges de visites. Le Salon International de l'Agriculture a été une occasion rêvée de renouer le contact. Nous y avons participé avec une délégation importante, composée de plusieurs entreprises.
En parlant de bovins, leur importation massive n'a pas manqué de provoquer des polémiques au Maroc, comment cela a-t-il été perçu au Brésil et peut-il nuire au commerce de ce type de bétail ?
- Tout ce qui a circulé sur les réseaux sociaux n'est que désinformation. Nous étions ravis que le gouvernement marocain ait démenti formellement toutes les fake news qui ont circulé à ce sujet. Les bovins brésiliens sont connus pour leur qualité et leur importation s'est faite selon les normes. Les caractéristiques physiques du bovin marocain sont différentes de celles du bovin brésilien. C'est ce qui a été à l'origine, à mon avis, des craintes qui furent exprimées sur les réseaux sociaux. Mais, le commerce continue.
Propos recueillis par Anass MACHLOUKH
Produits phosphatés : Qu'en est-il de l'usine de l'OCP au Brésil ? Il est de notoriété publique que l'Office Chérifien des Phosphates est installé au Brésil et veut approfondir sa présence au Brésil à travers des usines de production d'engrais. L'agence brésilienne ANBA avait annoncé dès mai 2022 la volonté du géant marocain d'ouvrir une unité de transformation. Depuis cette annonce, rien n'a fuité concernant l'évolution du projet. Interrogé sur ce point, l'ambassadeur affirme que le chantier est toujours d'actualité. « Le projet est toujours sur la table. Il n'y a pas encore eu une idée claire sur le projet mais l'idée est là », a-t-il précisé. L'OCP demeure l'un des candidats sérieux pour décrocher un contrat d'installation de l'usine en question. Cependant, le challenge est de taille puisque l'Office fait face à une rude concurrence de la part de la société australienne Aguia Resources Limited.
L'info...Graphie Sahara « Nous n'avons jamais reconnu le polisario » Le Brésil fait partie des rares pays de l'Amérique Latine à adopter une ligne de conduite modérée sur le dossier du Sahara. La position brésilienne est tellement équilibrée qu'elle ne varie pas au gré des alternances politiques. Ceci a poussé l'ambassadeur du Royaume à Brasilia à qualifier l'attitude brésilienne de « sage et légaliste». Interrogé sur ce point, Julio Bitelli a précisé que « la position du Brésil est historiquement cohérente et consiste à appuyer le processus politique des Nations Unies ». « Nous soutenons les efforts de l'Envoyé personnel du Secrétaire Général des Nations Unies, Staffan de Mistura, pour trouver une solution au conflit », a-t-il souligné, ajoutant :« Nous avons toujours tâché d'avoir une position tempérée puisque le Brésil est l'un des rares pays en Amérique Latine qui n'a jamais reconnu le polisario ». Le Conseil de Sécurité a considéré, à de nombreuses reprises, que les efforts du Maroc pour trouver des solutions sont sérieux et crédibles et le Brésil a toujours voté en faveur des Résolutions qui saluaient les efforts du Maroc et le Plan d'autonomie. A nos yeux, il s'agit d'une issue crédible et ce qui compte le plus pour la diplomatie brésilienne est qu'il y ait une solution acceptable, réaliste et durable au conflit. Notre pays connaît de près le dossier puisque nous avons neuf militaires qui font partie du staff de la MINURSO.
Maroc : L'un des pays prioritaires en Afrique pour le Brésil L'intérêt que portent les deux pays l'un à l'autre s'est manifesté depuis 2004, date de la visite de SM le Roi Mohammed VI à Brasilia où le Souverain a reçu un accueil chaleureux du président Ignacio Lula Da Silva, revenu au pouvoir suite aux élections présidentielles d'octobre 2022. L'actuel président a hérité un bilan positif de son prédécesseur, Jair Bolsonaro en ce qui concerne les relations avec le Royaume. Cela fait des années que les deux pays construisent un partenariat fructueux. 2019 fut une année marquante puisqu'il y eut la signature de plusieurs accords fondamentaux. Lors de la visite du ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, au Brésil, sept accords ont été signés, portant sur des domaines allant de l'investissement à la défense, en passant par l'entraide judiciaire et la non double imposition pour le transport maritime et aérien. En gros, le Maroc occupe une place centrale dans la stratégie brésilienne en Afrique. A l'instar des puissances émergentes, le Brésil fait de l'Afrique un objectif majeur de son développement à l'international. « Le Brésil a toujours accordé un intérêt particulier pour l'Afrique où il dispose d'une trentaine d'ambassades. Tous les pays sont prioritaires pour nous dans notre stratégie africaine », explique Julio Bitelli à ce sujet. En ce qui concerne la place qu'occupe le Maroc, l'ambassadeur a indiqué l'importance de la position stratégique du Royaume dans la région, avec un emplacement stratégique en Méditerranée.