Depuis l'indépendance, les relations diplomatiques entre le Maroc et la France ont connu des hauts et des bas. Retour sur près de 60 ans de crises diplomatiques. De partenaires privilégiés, Paris et Rabat se regardent désormais en chiens de faïence. Depuis l'indépendance, les deux pays ont toujours eu des relations tumultueuses. Aux longues accalmies se sont substituées des crises majeures, sans toutefois arriver à la rupture. Mais depuis 2021, un dialogue de sourds s'est engagé entre les deux pays. Le froid dans les relations diplomatiques reflète un changement de fond dans la diplomatie marocaine, qui cherche désormais des partenaires fiables et refuse le double-jeu et la compromission, notamment sur la question du Sahara. Retour sur plus d'un demi-siècle de relations tumultueuses.
1965: l'affaire Ben Barka
Le 29 octobre 1965, l'opposant leader du tiers-mondisme et du mouvement des non-alignés, Mehdi Ben Barka, est enlevé devant la brasserie Lipp à Paris. La disparition de cette figure emblématique va susciter de vives réactions dans les sphères politiques et médiatiques françaises. Jusqu'au général Charles de Gaulle qui accusera publiquement les services marocains et Hassan II d'être derrière cet enlèvement.
L'enquête révèle que l'opération a pu se faire sur le territoire français grâce à la complicité du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE), ce qui poussera de Gaulle à congédier le directeur du service et à réformer profondément celui-ci. La crise entre Rabat et Paris va s'accentuer lorsqu'un mandat d'arrêt international est lancé contre le général Oufkir. Devant le refus de Hassan II de livrer son ministre de l'Intérieur, de Gaulle rappellera son ambassadeur à Rabat, et le Maroc fera de même. Cette crise profonde et durable entre les deux pays, la plus grave depuis l'indépendance, ne connaîtra son terme qu'avec l'arrivée au pouvoir de Georges Pompidou, en 1969.
1981: Danielle Mitterrand, la roturière
Sans arriver jusqu'à la rupture, la relation entre Rabat et Paris connaîtra une nouvelle période glaciaire avec l'arrivée de François Mitterrand au pouvoir en 1981. Celui qui accède à la présidence française à la tête d'une coalition de gauche, a adopté une attitude méfiante mais cordiale à l'égard de Hassan II, sans jamais arriver à la relation fusionnelle qui liait son prédécesseur Valéry Giscard d'Estaing et le Roi du Maroc.
Mais si François Mitterrand a su conserver un certain équilibre dans les relations entre les deux pays, c'est loin d'être le cas pour son épouse Danielle Mitterrand. Cette militante des droits de l'Homme ne portait pas dans son cœur Hassan II, et a même refusé d'accompagner son mari lors de sa première visite officielle au Maroc, en 1983. A la tête de la fondation France Libertés, elle prend au milieu des années quatre-vingt fait et cause pour le Polisario. Danielle Mitterrand ne cessera ensuite de défendre les prisonniers politiques comme Abraham Serfaty ou la famille Oufkir. Agacé par cet activisme, Hassan II la traitera de "roturière de mauvais aloi".
1991: le brûlot "Notre ami le roi"
La froideur entre Rabat et Paris se transformera en une véritable crise diplomatique en 1991, date de la parution du pamphlet "Notre ami le roi", signé Gilles Perrault. Ce livre-enquête expose le côté sombre du Maroc sous Hassan II, en révélant le destin de certains prisonniers politiques comme Abraham Serfaty et la famille Oufkir, ainsi qu'en jetant une lumière crue sur les anciens lieux de détention de Tazmamart, Kalaat Megouna, Kénitra et autres.
Le livre fera l'effet d'une bombe. Déjà avant la publication, le ministre de l'Intérieur de l'époque, Driss Basri, est dépêché auprès de son homologue français Pierre Joxe afin d'essayer d'empêcher sa publication. Le ministre marocain propose même d'indemniser grassement l'éditeur et l'auteur, mais le deal n'aboutira pas. Suite à la publication, les autorités marocaines manifestent leur mécontentement. L'année du Maroc en France est annulée et une crise diplomatique s'installe entre les deux capitales. Hassan II accuse le gouvernement socialiste d'avoir laissé faire, et dira que les relations entre les deux pays «ont attrapé une mauvaise grippe».
2014 : mandat d'arrêt contre Hammouchi
Le long règne de la droite (Jacques Chirac puis Nicolas Sarkozy) imprime une certaine symbiose dans les relations franco-marocaines. Mais encore une fois, dès que la gauche accède à l'Elysée, les choses se gâtent. En février 2014, soit deux ans après l'élection de François Hollande, sept policiers font une descente à la résidence de l'ambassadeur marocain à Paris qui n'était autre à l'époque que l'ancien ministre de l'intérieur et actuel ministre de l'Education, Chakib Benmoussa, afin de notifier Abdellatif Hammouchi, patron de la DGST, une convocation émanant d'un juge d'instruction. Il lui serait reproché des faits de "complicité de torture". L'ambassadeur français à Rabat est convoqué par le ministère des Affaires étrangères pour lui faire part de la protestation vigoureuse du royaume du Maroc. "Cet incident grave et inédit (...) est de nature à porter atteinte au climat de confiance et de respect mutuel qui a toujours existé", s'indigne le MAE dans un communiqué.
Un communiqué du Quai d'Orsay évoquant un "incident regrettable" et promettant que "la lumière" serait faite, n'apaise pas la situation. Il faut attendre que le président français lui-même appelle SM le Roi Mohammed VI afin de clarifier les faits. En guise d'amende honorable, François Hollande décorera Abdellatif Hammouchi de la légion d'honneur, un an plus tard.
2021: restriction sur les visas
De 2021 et jusqu'à aujourd'hui, les relations diplomatiques n'ont cessé de se dégrader. D'abord avec l'affaire Pegasus, du nom de ce logiciel dont Amnesty et le collectif Forbidden Stories accusent le Maroc d'en avoir fait usage afin d'espionner le président Emmanuel Macron et d'autres personnalités politiques françaises. Ensuite, par la décision brutale des autorités françaises de réduire drastiquement les délivrances de visas pour les pays du Maghreb.
Prétextant un manque de coopération dans la réadmission des ressortissants expulsés, Paris réduit de 50% pour le Maroc et l'Algérie, 30% pour la Tunisie, le nombre de visas accordés. Une décision "non justifiée", commentera le ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita. En octobre 2022, l'ambassadeur du Maroc à Paris, Mohamed Benchaâboun, est rappelé pour prendre la tête du Fonds Mohammed VI. Depuis cette date, le poste est toujours vacant, signe d'une crise dont personne ne voit encore l'issue.
Soufiane CHAHID
Trois questions à Jawad Kerdoudi "Les deux pays ont intérêt à rétablir de bonnes relations"
Jawad Kerdoudi, président de l'Institut Marocain des Relations Internationales (IMRI), a répondu à nos questions.
Comment expliquez-vous les récentes attaques médiatiques et politiques françaises contre le Maroc ces derniers mois ? Le contentieux entre le Maroc et la France s'est durci à partir de juillet 2021, date à laquelle la France a accusé sans preuves le Maroc d'utiliser le logiciel Pegasus. De son côté, le Maroc a accusé la France d'avoir joué le premier rôle pour l'adoption par le Parlement européen de la Résolution du 19 janvier 2023 condamnant les atteintes à la liberté de presse au Maroc, et celle du 16 février 2023 interdisant aux représentants du Maroc l'accès au siège du Parlement européen jusqu'à la fin de l'enquête par la justice belge du "Marocgate" (corruption des eurodéputés par le Maroc). Le Maroc a reproché également à la France la réduction des visas. D'autre part, le Maroc reproche à la France sa position frileuse sur la question du Sahara marocain. Pensez-vous que la crise actuelle entre Rabat et Paris sera durable ? La visite de la ministre de l'Europe et des Affaires étrangères Catherine Colonna au Maroc en décembre 2022 a laissé l'espoir d'un rétablissement rapide de relations normales entre le Maroc et la France. Cependant, les deux Résolutions du Parlement européen en janvier et février 2023 contre le Maroc, ainsi que la visite de Chengriha à Paris, éloignent les chances d'un rétablissement à court terme des relations entre les deux pays. Le Maroc doit-il toujours considérer la France comme un partenaire privilégié ? Doit-il se détourner de ce partenaire peu fiable ? Les relations entre le Maroc et la France sont très importantes sur les plans économique et culturel. Plus de 1.000 entreprises françaises exercent au Maroc dans plusieurs secteurs, et la France est le deuxième investisseur et partenaire commercial du Maroc. En outre, plus de 46.000 Marocains font leurs études en France, et des milliers d'élèves marocains fréquentent les établissements français au Maroc. Aussi, les deux pays ont intérêt à rétablir de bonnes relations. Cela ne doit pas empêcher le Maroc de diversifier ses relations avec d'autres pays, notamment l'Afrique Subsaharienne.
Propos recueillis par Soufiane CHAHID La nouvelle alliance qui inquiète Paris Coup de tonnerre dans le ciel diplomatique ! Le 10 décembre 2021, une succession de Tweets du président américain Donald Trump annonce le rétablissement des relations diplomatiques entre le Maroc et Israël, ainsi que la reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur le Sahara. Cette nouvelle prend de court les capitales européennes, en premier lieu Paris. Le rapprochement entre les trois pays est mal vu par la France, qui voit le Maroc lui échapper. Les officiels craignent aussi que la coopération entre Renseignements marocains et israéliens se fasse au détriment des Français.
« On va se méfier de ce qu'on fait avec le service de Renseignement marocain, car on sait que les Israéliens ne sont pas loin. En matière de coopération antiterroriste, la relation entre nos services et les Marocains est bonne, mais dans le contre-espionnage on se méfie car les infos sont partagées entre Rabat et Tel Aviv », explique un agent des Renseignements français, dans le livre "Le déclassement français", écrit par les journalistes Christian Chesnot et Georges Malbrunot.
En matière de sécurité et de défense, le Maroc a montré sa volonté d'affirmer sa souveraineté, en collaborant plus étroitement avec Israël pour développer une industrie militaire locale. Avec les quatre autres pays signataires des accords d'Abraham+Etats-Unis, le Royaume cherche aussi à développer des échanges scientifiques, industriels et autres. Cet axe semble constituer une menace pour la France qui, depuis le début du second mandat d'Emmanuel Macron, a entamé un rapprochement avec l'Algérie afin de rééquilibrer la balance dans la région. L'info...Graphie Maroc - France : La longue histoire d'une relation tumultueuse La relation entre le Maroc et la France a toujours été ponctuée de périodes d'entente et de mésentente. Dans ce long fleuve plus souvent serein que tumultueux, une constante cependant : les parenthèses de tension, généralement provoquées par la France, se sont toujours apparentées à des manœuvres de punition ou de chantage visant à faire infléchir le Maroc sur ses positions concernant l'un ou l'autre sujet de discorde.
Parmi les plus importants leviers de pression française sur le Maroc, le dossier du Sahara connaîtra un profond changement de paradigme durant le mois de décembre 2020, avec la reconnaissance américaine de la marocanité des provinces du Sud. Au lendemain de quoi, la France, dorénavant dépourvue de sa principale carte d'influence sur le Maroc, s'engagera dans une quête éperdue d'autres moyens de pression, à même de faire plier le Royaume, multipliant par la même les maladresses et les bévues qui expliquent l'actuelle crise. Revue historique des principales étapes d'une relation aussi passionnelle que tumultueuse.