L'UE a adopté un mécanisme inédit à ses frontières, qui doit aussi signer la fin des "droits à polluer" gratuits alloués aux industriels européens. Une « taxe carbone » pour verdir les importations industrielles. Verdir les importations industrielles en faisant payer les émissions carbones liées à leur production: l'UE a adopté mardi un mécanisme inédit à ses frontières, qui doit aussi signer la fin des "droits à polluer" gratuits alloués aux industriels européens. Appelé communément "taxe carbone aux frontières" bien qu'il ne s'agisse pas d'une taxe proprement dite, ce dispositif sans précédent consistera à appliquer aux importations des Vingt-Sept les critères du marché du carbone européen, où les industriels de l'UE sont tenus d'acheter des quotas couvrant leurs émissions polluantes. Avec l'envolée du prix de la tonne de CO2, l'idée est d'éviter un "dumping écologique" qui verrait les industriels délocaliser leur production hors d'Europe, tout en encourageant le reste du monde à adopter les standards européens. Ce dispositif d'"ajustement carbone aux frontières" (CBAM en anglais) "sera un pilier crucial des politiques climatiques européennes (...) pour inciter nos partenaires commerciaux à décarboner leur industrie", explique l'eurodéputé Mohammed Chahim (S&D, sociaux-démocrates). En pratique, l'importateur devra déclarer les émissions liées au processus de production, et si celles-ci dépassent le standard européen, acquérir un "certificat d'émission" au prix du CO2 dans l'UE. Si un marché carbone existe dans le pays exportateur, il paiera seulement la différence.
Une taxe pour éviter les délocalisations ?
"Le message à nos industries est clair: inutile de délocaliser car nous avons pris les mesures nécessaires pour éviter les concurrences déloyales" en garantissant "un traitement équitable" entre producteurs européens et marchandises importées, a observé Pascal Canfin (Renew, libéraux), président de la commission Environnement au Parlement. Voici les modalités de l'accord trouvé mardi matin entre les négociateurs des Etats membres et du Parlement européen après de longues négociations nocturnes: Le mécanisme, administré pour l'essentiel de façon centralisée au niveau de l'UE, visera les secteurs jugés les plus polluants (acier, aluminium, ciment, engrais, électricité), comme le proposait la Commission européenne. Les eurodéputés ont obtenu d'y ajouter l'hydrogène, certains produits dérivés (boulons...), et Bruxelles devra étudier l'éventuelle extension à la chimie organique et aux polymères (plastiques). Le dispositif tiendra compte des émissions "indirectes" (générées par l'électricité utilisée pour la production). Les revenus attendus, qui pourraient dépasser 14 milliards d'euros annuels, alimenteront le budget général de l'UE. Une période-test commencera dès octobre 2023, durant laquelle les entreprises importatrices devront simplement rapporter leurs obligations.
Le calendrier du démarrage effectif dépendra de pourparlers en fin de semaine sur le reste de la réforme du marché carbone européen. Commission et Etats défendent une application progressive du mécanisme sur dix ans à partir de 2026. Les eurodéputés, eux, demandent une mise en œuvre graduelle entre 2027 et 2032. Actuellement, les industriels européens se voient allouer des quotas gratuits couvrant une partie de leurs émissions, pour soutenir leur compétitivité face aux concurrents étrangers. A mesure que montera en puissance l'"ajustement aux frontières", les quotas gratuits distribués aux secteurs concernés seront supprimés progressivement. Un point crucial: en traitant à égalité importations et production locale, Bruxelles estime rester dans les clous des règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et contrer les accusations de "protectionnisme".
Les industriels craignent pour leur compétitivité
Mais le calendrier de suppression des quotas gratuits, âprement discuté, ne sera abordé que vendredi et samedi prochains, dans les pourparlers sur la réforme du marché carbone. "La réglementation sur le CBAM ne pourra être formellement adoptée qu'après avoir résolu ces autres éléments", avertit le Conseil européen. Autre point controversé restant à négocier: le Parlement veut que les sites industriels européens, sous certaines conditions, continuent de recevoir des allocations gratuites pour leur production destinée aux exportations vers des pays hors-UE. Les industriels européens s'alarment de voir leurs exportations perdre en compétitivité en raison du prix à payer pour leurs émissions et des lourds investissements pour se décarboner, alors qu'ils pâtissent déjà de la flambée des coûts de l'énergie. Les Etats restent, eux, réticents à tout "rabais à l'exportation", qui risquent d'être incompatibles avec les règles anti-subventions de l'OMC. Le CBAM est "l'aboutissement d'une idée vieille de trente ans, mais il n'a de sens qu'en supprimant toutes les allocations gratuites", observe Geneviève Pons, directrice-générale de l'institut Europe Jacques-Delors. Alternativement, elle plaide pour que les recettes du mécanisme soit utilisées pour aider les pays en développement à se décarboner. Une taxe à impact inflationniste
Nul doute que la guerre en Ukraine met à l'épreuve l'ambition des membres de la COP27 pour réduire leur impact carbone. En particulier celle de l'Union européenne (UE), qui dépend fortement des énergies fossiles. C'est ainsi que le projet de taxe carbone aux frontières a émergé au sein de la Commission européenne l'année dernière. Voté par le Parlement européen en juin, le texte a été adopté mardi. Ce dispositif s'accompagne d'une suppression, en 2032, de la gratuité des quotas carbone pour de nombreux industriels européens – quotas considérés par certains comme des « droits à polluer ». En pratique, la taxe carbone aux frontières s'applique aux importations de l'Union européenne dans cinq secteurs d'activité : électricité, ciment, engrais, acier et aluminium. La taxe carbone aux frontières aura peut-être pour effet d'augmenter les profits de quelques industries européennes puisque leurs concurrents étrangers paieront désormais une taxe semblable à la leur. Mais en majorant le coût des produits importés (biens de consommation, automobiles, machines), elle ne profitera nullement aux consommateurs. Une telle taxe risque plutôt de renforcer la spirale inflationniste et d'impacter négativement le pouvoir d'achat des Européens. Comme toujours, ce n'est pas tant la concurrence étrangère mais les consommateurs finaux qui payent le prix du protectionnisme. Au-delà du protectionnisme, l'UE ne cesse de ruiner les citoyens européens au nom de l'écologie.