Le Conseil d'Ahmed Rahhou a dressé un tableau sombre des marchés du gasoil et de l'essence, où les sociétés se livrent à une quête effrénée des marges. Détails. C'est une piqûre de rappel que vient de faire le Conseil de la Concurrence aux sociétés pétrolières au Maroc. Très attendu, le rapport du Conseil présidé par Ahmed Rahhou n'a pas usé de langue de bois en scrutant un marché où la hausse des prix, sur fond d'une flambée inédite des prix des hydrocarbures, ne laisse personne indifférent. Le marché des carburants est tellement concentré que la concurrence est quasi inexistante, voire neutralisée, selon le rapport de 104 pages qui est revenu sur les méandres d'un secteur ultra-sensible. Un rapport d'autant plus captivant qu'il s'attaque à un secteur faisant l'objet d'une enquête inachevée sur une éventuelle entente entre les opérateurs du marché après sa libéralisation. Une enquête qui a tourné au fiasco lors du mandat de Driss Guerraoui. En examinant les marchés du gasoil et de l'essence, le Conseil a conclu qu'ils sont "fortement concentrés aussi bien en amont qu'en aval, et ce, malgré l'arrivée de nouveaux opérateurs dont la taille, les moyens et l'origine n'ont pas permis d'insuffler une nouvelle dynamique concurrentielle au sein de ces marchés". Ceci dit, la libéralisation du marché, telle qu'opérée en 2015, n'a pas eu les effets escomptés. C'est ce qu'on comprend du rapport qui reconnaît que la structure et le fonctionnement concurrentiel de ces marchés sont restés pratiquement identiques à ceux hérités de l'époque où les prix étaient fixés par les pouvoirs publics. Pourquoi ce marché est-il si peu concurrentiel ? Les experts du Conseil donnent une réponse plausible, en expliquant que le marché dégage une rentabilité telle que les opérateurs n'éprouvent pas le besoin de se livrer une bataille des prix. "Ce statu quo pourrait s'expliquer par le niveau de rentabilité financière très élevé que cette activité permet de générer et qui n'incite pas les opérateurs à une rivalité concurrentielle par les prix sur ces marchés, du moment qu'ils sont assurés, ou presque, de la réalisation de résultats positifs quels que soient la conjoncture ou le nombre d'opérateurs", lit-on sur le rapport. Des marges élevées ! Concernant l'appétence des sociétés de distribution pour les marges, les chiffres sont parlants. De 2020 à 2021, ces marges ont visiblement augmenté dépassant 1 dirham par litre chez toutes les sociétés, dont quelques-unes comme Total Energies et Winxo ont franchi la barre de 1,4 dirham. "Ces marges représentaient, en 2020, plus de 15% du prix de vente d'un litre de gasoil contre une moyenne de 9% sur toute la période 2018-2021", précise le rapport. En se basant sur ces données, le Conseil d'Ahmed Rahhou conclut que les sociétés de distribution ont profité de la chute des cours à l'échelle internationale. Et si la SAMIR fonctionnait ? Cela fait des mois que l'on parle sans cesse de la reprise de l'activité de raffinage à la SAMIR et de son impact sur la baisse des prix. Le rapport a tranché le débat en rappelant que SAMIR n'avait pas un impact sur les prix de l'essence et du gasoil. "Le marché fonctionnait, en fait, comme si le Maroc importait la totalité des produits raffinés de l'étranger et que le raffineur national n'existait pas", tranche le Conseil, qui précise que seules les subventions de l'Etat étaient en mesure de maintenir les prix de vente à des niveaux jugés acceptables. Pas de retour à la subvention directe Prenant acte de toutes les carences du secteur, le Conseil de la Concurrence a jugé important de revoir le cadre réglementaire, jugé archaïque et désuet puisqu'il date des années 70. Aussi a-t-il recommandé une taxe exceptionnelle sur les superprofits des sociétés d'importation, de stockage et de distribution du gasoil et de l'essence. Tout cela pour éviter le retour à la subvention directe ! Anass MACHLOUKH Trois questions à Hicham El Adnani "La reprise de l'activité de raffinage est de mise"
Hicham El Adnani, Expert en Stratégie et Intelligence Economique, a répondu à nos questions sur les dysfonctionnements du marché des hydrocarbures. - Quelle est votre lecture du rapport du Conseil de la Concurrence ? - En lisant le rapport, on se rend compte que le marché des carburants souffre de beaucoup de dysfonctionnements, dont le non-respect de la loi. On constate cela dans la gestion des stocks par les sociétés. Durant les 4 premiers mois de 2022, le stock disponible moyen du gasoil a encore diminué pour n'atteindre que 20,2 jours au lieu de 24,6 jours pour la période 2018- 2021. Je rappelle que la loi exige des stocks capables de couvrir deux mois. C'est une prise de risque dangereuse pour notre pays, surtout dans le contexte géopolitique actuel très perturbé. - Quelle qualification peut-on donner au marché à la lumière de ce que dit le rapport ? - Gardons en tête que les prix de vente des sociétés de distribution sont fixés par les opérateurs une fois tous les quinze jours. Toutefois, pendant certaines périodes, les opérateurs ont appliqué deux ou plusieurs changements de prix de vente à la hausse par quinzaine. Tel a été le cas durant les mois de mars, d'avril et de juillet 2022. Ceci dit, en cas de baisses, ils cherchent, d'abord, à écouler le stock des produits achetés auparavant à un prix plus élevé et sont même tentés de consolider leurs marges, voire de les augmenter. Donc, c'est un marché centré, voire oligopolistique. - A-t-on besoin de la reprise du raffinage au Maroc ? - Le besoin d'une raffinerie se fait sentir aujourd'hui puisque le coût du raffinage au niveau mondial a augmenté vu le blocage du pétrole russe, sachant qu'il existe actuellement une dé-corrélation entre le brut et le raffiné. J'ajoute la baisse de l'activité en Europe d'où on achète une partie importante de nos besoins. A cela s'ajoute l'appréciation du dollar qui gonfle la facture d'importation. D'où l'importance de la reprise de la SAMIR, qu'on peut nationaliser.