Après les Etats-Unis, dont la pression a permis de baisser les coûts du fret maritime, c'est au tour de l'Union Européenne de réfléchir à mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles des armateurs maritimes. Une bonne nouvelle pour le Maroc, qui en perdra moins en devises. Explications. C'est un indicateur phare que la page du Covid est en train de se refermer. La flambée observée l'année dernière sur le fret maritime est en train de baisser sensiblement. Le prix du conteneur 40 pieds en provenance des ports chinois à destination du Maroc se négocie désormais à 9.000 dollars, soit bien en deçà des 20.000 à 25.000 dollars exigés au plus fort de la crise. Beaucoup y voient effectivement un début de retour à la normale, même si, il faut le rappeler, on est encore très loin des niveaux d'avant Covid-19, lorsque le transport d'un conteneur depuis la Chine ne coûtait que 3.000 à 4.000 dollars. « Je prévois une baisse des tarifs de transport maritime qui va s'équilibrer autour de la grille d'avant pandémie, c'est-à-dire 2019. Je rappelle que le soutage ne pose aucun problème aux armements dont certains possèdent en propre des puits de pétrole », pronostique le professeur Najib Cherfaoui. Opérateurs marocains L'expert maritime comprend certes un certain retour progressif à la normale sur le plan sanitaire et économique, mais y voit plutôt un premier résultat positif de la pression exercée par les Etats-Unis sur les armateurs mondiaux depuis l'hiver dernier (www.lopinion.ma). « La baisse constatée actuellement provient des Etats-Unis qui ont réagi à la hausse démesurée des tarifs enregistrés durant la pandémie. Plus précisément, ils ont décrété le Shipping Act 2022. Cette mesure renforce le pouvoir de régulation de la « Federal Maritime Commission » (FMC) », confirme encore une fois professeur Cherfaoui. Quoiqu'il en soit, il s'agit là d'une très bonne nouvelle pour les opérateurs marocains, qui disent d'ores et déjà observer une baisse de presque la moitié de leurs coûts sur le fret maritime. Fini les ententes ? Le pressing américain a fini donc par payer, et apparemment la partie est loin d'être terminée. En effet, c'est au tour de l'Union Européenne de se lancer dans la danse, en indiquant réexaminer « l'exemption » accordée aux consortiums de transport maritime de ligne en matière de pratiques anticoncurrentielles. Autrement dit, les règles de l'UE en matière de pratiques anticoncurrentielles interdisent de manière générale les accords entre entreprises qui restreignent la concurrence. Toutefois, le règlement d'exemption par catégorie en faveur des consortiums de transport maritime permet, sous certaines conditions, à des compagnies maritimes de ligne, dont la part de marché cumulée n'excède pas 30%, de conclure des accords de coopération. Ces accords, également appelés «consortiums», leur permettent d'exploiter en commun des services de transport de marchandises. Sauf que durant la flambée du fret maritime née du Covid, les compagnies maritimes ont été pointées du doigt et accusées d'entente sur les prix, au détriment des consommateurs. Les armateurs en ont profité pour réaliser des bénéfices record, tout en excluant les autres intervenants de la chaîne logistique, à l'image des « Freight Forwarders ». Verdict avant fin 2022 Si, sur la base de ses évaluations, l'UE conclut à un effet néfaste sur le consommateur, elle pourrait rapidement mettre fin à cette exemption accordée aux compagnies maritimes. Pour rappel, le règlement d'exemption par catégorie en faveur des consortiums de transport maritime expire le 25 avril 2024. La Commission doit donc procéder à une évaluation de la manière dont il a fonctionné depuis 2020. Et au plus tard, elle devra publier les résultats de ses évaluations avant fin 2022. « De toute façon, plus rien ne sera comme avant dans le transport maritime. Sur la base de ce que les Etats et les consommateurs ont vécu avec la crise, il ne sera pas question de laisser les compagnies maritimes poursuivre leur diktat », avance déjà un professionnel du transport maritime. Il restera à savoir si l'UE sera aussi ferme que les Etats-Unis. Vu du Maroc, ce ne serait que du pain béni, afin de mieux maîtriser les prix du transport maritime, qui coûtent énormément cher au pays, notamment en termes de sorties de devises étrangères. Abdellah MOUTAWAKIL Repères Baisse des tarifs : repli tactique des armateurs ? Selon certains professionnels du transport maritime au Maroc, la baisse actuelle est certes une résultante des pressions américaines, mais elle peut aussi s'expliquer par « un repli tactique des armateurs ». C'est en tout cas l'avis recueilli par « L'Opinion » auprès de certaines de ses sources. Et pour cause, « avec la flambée, les armateurs ont déjà atteint leurs objectifs. Donc c'est une manière de calmer le jeu », nous confie un opérateur marocain, qui rappelle que cette baisse des tarifs s'accompagne d'une flambée des prix du pétrole...
Armateurs : bénéfices record depuis la crise L'armateur français CMA-CGM a réalisé, rien que sur le premier semestre de l'année en cours, un bénéfice de près de 15 milliards de dollars ! C'est inédit pour l'armateur basé à Marseille, qui compte une flotte de 580 navires et emploie 150.000 personnes à travers le monde. Ce qui fait du groupe le troisième acteur du marché du fret maritime derrière l'italo-suisse MSC et le danois Maersk. Ce dernier également se frotte les mains, avec un résultat net trimestriel de de 8,6 milliards de dollars, surpassant ce qu'il réalise habituellement au cours d'une année entière. L'info...Graphie Concurrence Les dispositions du règlement européen ?
L'article 101, paragraphe 1, du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne (TFUE) interdit les accords entre entreprises qui restreignent la concurrence. Toutefois, en vertu de l'article 101, paragraphe 3, du TFUE, de tels accords peuvent être déclarés compatibles avec le marché unique. Et pour cela, dit le texte, ils doivent contribuer à « améliorer la production ou la distribution de produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux consommateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans éliminer la concurrence ». En outre, la Commission Européenne peut exempter les consortiums de l'application de l'article 101, paragraphe 1, du TFUE, pendant une période limitée à cinq ans, susceptible d'être prolongée. En conséquence, la Commission a adopté en 2009 le règlement d'exemption par catégorie en faveur des consortiums de transport maritime [règlement (CE) no 906/2009 de la Commission], qui fixe les conditions spécifiques de cette exemption. Ces conditions visent notamment à faire en sorte qu'une partie équitable des avantages obtenus revienne aux usagers.
Transport maritime Que dit le Conseil de la Concurrence ?
Le Conseil de la Concurrence au Maroc n'est pas insensible aux pratiques qui ont lieu dans le transport maritime. Il est souvent interpellé, voire saisi par les acteurs locaux, sur des questions relatives aux pratiques imposées par les grands armateurs. C'était le cas, il y a de cela quelques mois, pour le dossier entre l'armateur Maesrk et les Freight Forwarders. En effet, Maersk avait imposé certaines exigences aux commissionnaires, à savoir, soit de travailler directement avec lui ou de verser une surcharge d'au moins 25 dollars sur certaines de ses opérations. Ce qui a provoqué l'ire des opérateurs marocains. L'Association des Freight Forwarders du Maroc (AFFM), à travers la Fédération de Transport et de la Logistique de la CGEM, avait alors décidé à son tour de saisir le Conseil de la Concurrence pour abus de position dominante. Une action qui a eu pour effet d'obliger le géant danois à se rétracter et à faire marche arrière. Il reste à savoir maintenant si le contexte local et les rapports de force, voire la marge d'action, lui permettent de s'intéresser à cette question relative aux pratiques anticoncurrentielles, comme le fait l'Union Européenne. Il faut juste rappeler que le Maroc ne dispose pas de son pavillon national et dépend presque entièrement des armateurs mondiaux pour son transport maritime. Ce qui n'est pas de nature à faciliter la marge de manoeuvre des autorités de régulation.
3 questions à Najib Cherfaoui, expert maritime « Le Maroc tire doublement bénéfice du Shipping Act 2022 »
Pour le professeur Najib Cherfaoui, expert maritime, l'évolution baissière observée actuellement sur les tarifs du transport maritime est le résultat des pressions américaines sur les armateurs mondiaux. Ce qui profite indirectement aux opérateurs marocains. - Comment expliquez-vous cette baisse des tarifs du fret maritime ? - La baisse constatée actuellement provient des Etats-Unis qui ont réagi à la hausse démesurée des tarifs enregistrés durant la pandémie. Plus précisément, ils ont décrété le Shipping Act 2022. Cette mesure renforce le pouvoir de régulation de la « Federal Maritime Commission » (FMC), c'est-à-dire à s'assurer que les pratiques des armateurs n'entravent pas le commerce extérieur des Etats-Unis ou ne lui portent pas préjudice. Outre les sanctions financières, le Shipping Act prévoit de créer une flotte stratégique de navires marchands capable de répondre aux besoins commerciaux de sécurité de la nation. C'est surtout cette dernière menace qui a poussé les opérateurs à diminuer les tarifs de transport et à recentrer leurs profits autour de la manutention portuaire ou la logistique terrestre. - Cette baise se ressent-elle au niveau du Maroc ? - Le Maroc tire doublement bénéfice du Shipping Act 2022. Il y a d'abord la forte baisse des prix du transport maritime. Par exemple, la cotation Chine-Maroc d'un conteneur 40 pieds a chuté de 25.000 dollars (avril 2021) à 9.000 dollars actuellement. Ensuite, la commission a compétence pour statuer sur toute éventuelle obstruction faite à l'acheminement d'un conteneur marocain destiné aux USA et réciproquement, ce qui a un grand effet sur la fluidité et la sécurité de l'export des agrumes/primeurs et autres produits périssables. - Quelles sont les perspectives pour les mois à venir ? - Je prévois une baisse des tarifs de transport maritime qui va s'équilibrer autour de la grille d'avant pandémie, c'est-à-dire 2019. Je rappelle que le soutage ne pose aucun problème aux armements dont certains possèdent en propre des puits de pétrole. Je veux dire par là que le coût énergétique affiché n'est qu'une écriture comptable. Recueillis par A. M.