L'affaire Hassan Iquioussen vient compliquer les relations franco-marocaines, de moins en moins chaleureuses ces derniers temps. Décryptage. Porté disparu, Hassan Iquioussen est introuvable pour les autorités françaises qui l'ont inscrit dans le fichier des personnes en fuite. Après avoir obtenu gain de cause auprès du Tribunal administratif de Paris, l'imam expulsé a été forcé de quitter le territoire français après la décision du Conseil d'Etat, plus haute juridiction administrative de France, qui a confirmé son expulsion telle que décidée par le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin. Lequel s'est réjoui de ce qu'il a appelé "une victoire pour la République", avant que sa joie ne soit contrariée par l'évasion de l'imam qui a pris la fuite vers la Belgique, selon les estimations des autorités françaises. Une fuite qui a soulevé sur le locataire de Place Beauvau une vague de critiques de la part de ses détracteurs qui lui reprochent son manque de fermeté. Interrogé sur ce point lors de son passage, mercredi, à l'émission "C à vous" sur France 5, le ministre, accusé par Mediapart d'avoir rencontré Iquioussen dans un meeting électoral en 2014, a argué du respect de l'Etat de droit pour justifier le non-recours à des mesures de surveillance intensive, bien qu'il soit fiché S. "Le droit français ne permet pas d'emprisonner un individu qui n'a jamais été condamné, ou de le soumettre à une surveillance élevée avec des techniques de géolocalisation", a-t-il rétorqué, rappelant qu'Iquioussen est devenu délinquant du moment qu'il soustrait à son expulsion, après sa confirmation par le Conseil d'Etat. Le Maroc suspend le laissez-passer consulaire ! Même s'il était trouvé, il n'aurait certainement pas été expulsé vers le Maroc, du moins immédiatement, faute du feu vert du Royaume. La procédure d'expulsion de ce prédicateur s'est heurtée au rétropédalage des autorités marocaines qui ont suspendu le laissez-passer accordé le 1er août et qui avait une durée de validité de 60 jours, selon Europe 1. De quoi provoquer la rage de l'extrême droite française, notamment du Rassemblement national, dont la présidente Marine Le Pen a crié au scandale. "Le seul islamiste que Gérald Darmanin s'apprêtait à expulser de France, après des mois de procédures, est aujourd'hui introuvable. Quant au Maroc, il bloque son expulsion en suspendant le laissez-passer consulaire. La France doit à nouveau se faire respecter !", s'est-elle indignée sur Twitter. Ce à quoi le ministre français a réagi en expliquant, jeudi sur le plateau de Cnews, qu'il a eu des contacts avec les autorités marocaines qui lui ont demandé davantage de précisions sur l'imam faisant l'objet de la décision d'expulsion. « Je les ai données hier soir aux autorités marocaines avec lesquelles nous travaillons bien et j'espère les avoir convaincues », a-t-il mis au clair. Maroc-France : l'incompréhension bat son plein Au-delà des commentaires politiques, cette affaire semble souffler sur les braises d'une nouvelle crise qui ne dit pas son non entre le Maroc et la France. Les deux pays entretiennent des relations de moins en moins chaleureuses sur fond de désaccords sur plusieurs sujets, dont la question sulfureuse des visas. Les restrictions appliquées aux ressortissants marocains ont été fort mal appréciées aussi bien par le gouvernement que par l'opinion publique qui y voient une mesure injuste, voire vindicative et humiliante. Ces restrictions ont atteint des niveaux tels que les cas de refus sans justification plausible sont nombreux, ce qui a poussé plusieurs personnes à inciter les gens sur les réseaux sociaux à boycotter les produits français. Même des personnalités politiques, telles que l'ex-ministre Cécile Duflot et d'autres, ont appelé à mettre fin au calvaire consulaire infligé injustement aux familles marocaines qui n'ont rien à voir avec une crise qui n'est pas la leur. La France reproche toujours au Maroc de ne pas avoir collaboré autant qu'il le faut pour reprendre ses "migrants indésirables dans l'Hexagone". C'est ainsi que s'est défendue l'ambassadrice de France au Maroc, Hélène Le Gal, il y a quelques semaines, lorsqu'on lui avait posé la question sur les traitements humiliants subis par nos compatriotes dans les différents consulats pour obtenir un visa. En diplomate habile, la représentante de Paris n'a fait que répéter la position du gouvernement français, en réitérant que le retour à la normale est conditionné par une meilleure coopération des autorités marocaines dans le retour des personnes en situation irrégulière. Ce dont a fait preuve le Maroc en acceptant volontiers de régler l'épineux dossier des mineurs isolés tout en acceptant de délivrer un laissez-passer consulaire à Hassan Iquioussen aussitôt que Gérald Darmanin s'est avisé de l'expulser. Le fait que les autorités marocaines se sont rétractées soulève plusieurs interrogations sur l'état des relations franco-marocaines qui, le moins que l'on puisse dire, sont au plus bas depuis la seconde arrivée d'Emmanuel Macron à l'Elysée. Le contexte actuel laisse croire qu'il existe des sujets de divergences majeures, surtout sur la question de l'intégrité territoriale du Maroc. Le discours royal à l'occasion de la Révolution du Roi et du Peuple a appelé tous les partenaires du Royaume à clarifier leur position. Plusieurs commentateurs et observateurs politiques y ont vu un message tacite adressé à Paris qui joue l'équilibriste entre Rabat et Alger. La récente visite d'Emmanuel Macron au voisin de l'Est a confirmé cette tendance. Ce dernier semble maintenir un équilibre subtil au Maghreb, en refusant de soutenir ostensiblement le Maroc de peur de froisser l'Algérie dont il dépend pour obtenir plus de gaz pendant l'hiver après la suspension des livraisons russes. La France, rappelons-le, soutient depuis 2007 le plan d'autonomie comme base crédible pour le règlement du différend du Sahara, un soutien réitéré le 21 mars dernier. Mais le Maroc exige un soutien plus explicite de la part d'un pays supposé être ami historique du Royaume. Anass MACHLOUKH L'info...Graphie France-Maroc Emmanuel Macron en visite au Maroc en octobre ?
À peine revenu d'Alger où il a obtenu la promesse de se faire livrer le gaz algérien autant qu'il a besoin, le président français, Emmanuel Macron a choisi de faire une annonce de taille, en faisant part de son intention de visiter le Maroc. "Je me rendrai au Maroc en octobre prochain", a-t-il lâché à l'attention de ressortissants franco-marocains qu'il a croisés dans un festival au Touquet, région au nord-ouest de l'Hexagone. Accompagné de son épouse Brigitte Macron, le locataire de l'Elysée a été nargué par l'un de ses interlocuteurs qui lui ont rappelé que le Sahara était marocain. Ce à quoi il a rétorqué d'un ton facétieux "Il connaît tous les problèmes !". Le fait que Macron ait annoncé sa visite de cette façon a soulevé moult interrogations au Maroc d'autant plus que ce genre d'annonce se fait généralement par les canaux officiels.
Expulsion de Hassan Iquioussen Une affaire franco-française ou franco-marocaine ?
Selon Abdeslam Jaldi, spécialiste en droit international et relations internationales auprès du Policy Center for the New South (PCNS), la décision d'expulsion de l'imam Hassan Iquioussen, de nationalité marocaine, est juridiquement motivée. L'expert explique que ce dernier avait bel et bien épuisé l'ensemble de ses voies de recours, aussi bien au regard du droit français qu'au regard du droit européen, notamment après la décision du Conseil d'Etat français annulant une ordonnance administrative qui a suspendu la demande d'expulsion de ce prédicateur pour atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale. L'arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme, rappelle notre interlocuteur, avait affirmé que les demandes de mesures provisoires réclamées par le requérant ne peuvent s'appliquer qu'à titre exceptionnel, lorsque les requérants seraient exposés, en l'absence de telles mesures, à un risque réel de dommages irréparables. M. Jaldi estime que cette affaire a pris une connotation politique du moment qu'elle divise profondément la classe politique française et semble avoir atteint un nouveau rebondissement avec la décision des autorités consulaires marocaines de suspendre le « laissez-passer consulaire ». Maintenant que la personne en question est en fuite, son retour au Maroc est loin d'être une réalité. Selon M. Jaldi, il en va que juridiquement, s'il est interpellé en France ou s'il est remis aux autorités françaises, il ne pourra pas être expulsé dans l'immédiat. "Concrètement, dès son interpellation, l'imam sera placé en Centre de rétention administrative, pendant une durée de 90 jours maximum. Une période pendant laquelle la France cherchera indéniablement à faire lever la suspension du laisser-passer consulaire", conclut l'expert.
3 questions à Abdeslam Jaldi « Paris doit indispensablement repenser sa politique maghrébine »
Abdeslam Jaldi, Professeur à l'Université Mohammed VI Polytechnique et Chercheur spécialiste des Relations internationales auprès du "Policy Center", a répondu à nos questions. - Selon vous, assistons-nous à une véritable crise entre Rabat et Paris ? - Il est vrai que la réduction des visas français accordés au Maroc a provoqué une sorte de défiance, voire de rejet envers la France. Néanmoins, je ne crois aucunement qu'il y ait une dégradation des relations franco-marocaines. Le Maroc demeure un partenaire stratégique et essentiel de la France au Maghreb et en Afrique. Ceci dit, les relations franco-marocaines ont toujours été guidées par la raison d'Etat, et cela remonte au 17ème siècle, depuis les liens entre Moulay Ismaïl et Louis XIV. Depuis lors, les relations entre les deux pays ont certes connu des hauts et des bas, mais sont restées dans l'essentiel cordiales et chaleureuses, comparées à celles de la France avec ses anciennes colonies. - On dit que Macron penche plus vers l'Algérie, est-ce exact à votre avis ? - Je pense que la France a toujours eu une posture équilibriste dans sa politique maghrébine. Certes, Macron, durant son premier quinquennat, a privilégié l'Algérie au détriment du Maroc dans sa stratégie dans la région. Or, ce choix est dû à une conjoncture particulière marquée par l'éclosion du Hirak algérien en 2019 qui semblait préfigurer l'avènement de la IIème République algérienne. Le Président français espérait accompagner une possible transition démocratique algérienne, tout en réglant un lourd contentieux historique sur la question mémorielle. Cependant, la restauration autoritaire qui a submergé l'Algérie en pleine crise sanitaire de la Covid-19, après une brève ouverture politique, a mis en berne ses projets. - Emmanuel Macron s'est rendu en Algérie où il a obtenu des promesses de livraison de gaz, quel impact cela aura sur sa politique maghrébine ? - Permettez-moi de rappeler que la guerre d'Ukraine a provoqué d'importantes distorsions dans les chaînes d'approvisionnements énergétiques et alimentaires mondiales, poussant l'Europe à s'approprier des marchés alternatifs au gaz et au pétrole russes. Macron s'est décidé donc à se rapprocher d'Alger. Il en va que Paris doit indispensablement repenser sa politique maghrébine, s'il ne veut pas voir son aura d'influence s'estomper au profit d'autres puissances, dans une région en proie à d'importantes reconfigurations, et fondamentale pour l'économie, la sécurité et l'identité françaises. Recueillis par A. M.