Face aux nouveaux défis pour contrôler les utilisateurs d'armes de chasse et lutter contre la prolifération d'armes à l'intérieur du territoire national, le Maroc adopte un nouveau texte de loi. La scène macabre de l'exécution par arme à feu d'un jeune étudiant en médecine en novembre 2017 au célèbre Café La Crème est encore présente dans les mémoires de tous les Marrakchis. L'onde de choc provoquée par les détonations des pistolets utilisés par les deux tueurs à gages néerlandais s'était répandue à travers tout le Royaume, provoquant un sentiment d'inquiétude et de sidération auprès des citoyens. Aux yeux de tous, il était inimaginable que le pays puisse servir de théâtre pour des règlements de comptes avec armes à feu entre bandes criminelles rivales. A plus forte raison dans le quartier huppé de l'Hivernage, où les visiteurs sont beaucoup plus habitués à croiser des stars internationales que des « sicarios » appartenant à la mafia néerlando-marocaine, connue sous l'appellation de « mocro maffia ». Et si le Maroc a réussi depuis des décennies à contrôler la circulation et l'usage des armes à feu au sein de la population civile, c'est parce que la législation marocaine est très stricte en matière d'infractions relatives à l'usage de ce type d'armes létales. Mais également parce que des moyens considérables sont déployés au niveau des frontières nationales afin d'éviter que des armes soient introduites illégalement sur le territoire, mais aussi pour se prémunir du trafic d'armes qui a submergé tous les pays de la région du Maghreb et du Sahel après la chute du régime de Kadhafi en Libye. Un nouveau texte de loi pour encadrer l'utilisation des armes à feu C'est donc dans ce contexte de circulation accrue des armes à feu à grande échelle au niveau mondial (voir Encadré : Sécurité Internationale) et de l'évolution technologique de ces armes que le Conseil des ministres du 13 juillet 2022 a adopté le nouveau projet de loi n° 86-21 relatif aux armes à feu, leurs accessoires et munitions. Ce texte vise à moderniser et améliorer l'arsenal juridique relatif aux armes à feu à usage civil pour qu'il accompagne les mutations sociales et technologiques. Lors de la présentation de ce texte de loi, le ministère de l'Intérieur a mis l'accent sur la nécessité du renforcement de cette législation qui ne répond plus aux défis actuels. Car même si les textes juridiques en vigueur « ont permis de gérer, avec fermeté, les armes à feu, et de se prémunir contre les dangers des déviations et de leur usage illégal », les lois actuelles « ont montré leurs limites à accompagner l'évolution technologique de ces types d'armes et les modalités de leur utilisation ». Quelles sont donc les nouvelles orientations de cette loi ? Alors que le nouveau texte de loi n'a pas encore été publié, tout ce que l'on sait actuellement c'est qu'il est composé de 109 articles et qu'il vise en particulier à accompagner l'évolution de l'utilisation des armes de chasse. Car, en pratique, l'usage des armes par les civils est très restreint au Maroc et il ne concerne qu'une communauté bien particulière : celle des chasseurs. Bien qu'il n'existe pas de chiffres officiels des armes en circulation au Maroc, le Haut-Commissariat aux Eaux et Forêts et de la lutte contre la désertification évoque dans son site officiel le chiffre de 80.000 chasseurs pratiquant cette activité sportive de manière régulière. Ainsi, c'est au minimum autant d'armes de chasse qui sont en circulation sur le territoire national. Et bien que les conditions pour avoir un permis de port d'arme de chasse soient très strictes (notamment un casier judiciaire vierge et un certificat médical d'aptitude psychologique) et que les services de gendarmerie et de police exercent un contrôle continu sur les porteurs d'armes, des dérives peuvent malheureusement se produire. Le cas le plus marquant demeure celui de l'assassinat du député Abdellatif Merdas en mars 2017 près de son domicile à Casablanca, après avoir reçu trois balles d'un fusil de chasse de 12 mm. Suite à ce fait divers, les autorités avaient décidé de procéder à un tour de vis sécuritaire sur l'ensemble du territoire national. C'est ce que nous affirme une source sécuritaire bien informée : « La DGSN et la Gendarmerie ont mené une campagne de contrôle stricte de tous les propriétaires d'armes de chasse répertoriés suite à cet assassinat ». Néanmoins, le risque existe toujours et une personne munie d'une arme de chasse peut rapidement perdre la raison suite à une dispute ou une crise de nerfs et commettre l'irréparable. En novembre 2021, un individu avait commis un triple meurtre avec son fusil de chasse, tuant son épouse, son frère puis son neveu en raison de différends familiaux dans la province de Settat. Politique de tolérance zéro vis-à-vis des armes à feu Mais selon notre source, au Maroc, les crimes avec armes à feu sont rares en comparaison avec d'autres pays en Afrique. Elle souligne d'ailleurs que : « Le Maroc est relativement épargné par les homicides avec armes à feu. Nos homologues de pays africains, dont le Nigeria ou le Ghana, enregistrent chaque jour plusieurs crimes avec armes à feu, alors que chez nous il ne s'en produit pas plus que quelques-uns par an ». Elle ajoute que ces crimes se produisent le plus souvent avec des armes de chasse, car grâce à la législation très sévère en matière de trafic d'armes, il n'existe pas au Maroc comme dans d'autres pays de l'Afrique de l'Ouest et d'Europe de marchés d'armes clandestins localement. Car s'il y a un constat à faire, c'est que depuis l'affaire du meurtre du Café La Crème, plus aucune autre affaire d'homicide à l'aide d'armes, autres que des armes de chasse, ne s'est produite sur le territoire national. On n'oserait d'ailleurs imaginer comment la situation sécuritaire aurait dégénéré durant l'année 2014 où le phénomène de « tcharmil » s'était largement répandu, si cette frange de criminels et de délinquants avaient pu avoir un accès facile à des fusils et pistolets auprès de revendeurs d'armes clandestins, comme cela peut se produire dans d'autres pays. Alors que la criminalité et les violences quotidiennes font partie du paysage socio-culturel marocain aussi bien dans les villes que dans les campagnes, on ne peut que constater la réussite de la politique stricte de contrôle d'armes à feu dans le Royaume. Et le spectacle auquel nous assistons dans les chaînes d'informations françaises sur les scènes de batailles urbaines entre bandes criminelles dans les banlieues parisiennes ne peut que nous conforter dans cette politique de tolérance zéro vis-à-vis de la circulation et l'utilisation des armes à usage civil. Et notre source sécuritaire de conclure en déclarant : « Le contrôle de la circulation des armes à feu est une priorité pour les services de sécurité au Maroc. C'est un enjeu de sécurité publique et une condition indispensable pour renforcer le sentiment de sécurité des citoyens marocains ». Nizar DERDABI L'info...Graphie Sécurité internationale Une politique des Etats qui tend à renforcer la législation en matière d'armes
D'après une étude du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), on estime que les civils détiennent près de 75% de toutes les armes légères et de petit calibre dans le monde, le reste appartenant aux forces armées et aux services de sécurité et forces de l'ordre nationales. La plupart de ces armes sont utilisées illégalement, volées ou détournées vers le commerce illicite des armes. De leur côté, les gouvernements réagissent de manière drastique en renforçant les législations nationales pour en réglementer explicitement l'accès, la possession et les règles d'utilisation. Au cours des dernières années, plusieurs pays ont entrepris des réformes importantes en vue de réglementer la possession des armes à feu alors que d'autres ont entamé un processus de renforcement de leurs lois et politiques. Ces réformes sont principalement motivées par les réalités locales : les massacres qui ont suscité l'indignation populaire aux Etats-Unis, en Australie ou au Canada, les niveaux inquiétants de violence armée organisée au Mexique, au Brésil ou en Colombie.
Focus La spécificité des USA en matière de législation sur les armes à feu
Le nombre important de tueries de masse qui ne cessent de se produire aux Etats-Unis ont mis à nu l'incapacité du législateur américain à encadrer le droit de port d'arme. Celui-ci, inscrit dans la Constitution par le fameux second amendement, semble être une construction historique et culturelle, très difficile à réformer. Les chiffres de l'organisation « Small Arms Survey » indiquent que les USA détiennent le plus grand nombre d'armes par citoyen dans le monde : 120,5 armes pour 100 citoyens américains. En moyenne, 86 personnes seraient tuées chaque jour aux Etats-Unis par arme à feu. Cela représente 30.000 personnes tuées par an, à cause d'accidents, de suicides et de meurtres. Conformément au second amendement, les Américains utilisent leurs armes pour se protéger, mais également pour chasser. Malheureusement, ces armes sont aussi souvent utilisées pour commettre des crimes. Et la pratique de tir sportif à l'aide d'armes de guerre (fusils mitrailleurs et fusils de précision) est une tendance en pleine expansion, encouragée par des intérêts commerciaux et par le puissant syndicat de producteurs d'armes à feu, la National Rifle Association of America (NRA) qui est très influente dans la classe politique américaine.
3 questions à Abderrahim Bouhmidi, avocat et Professeur de droit criminel « Le législateur privilégie la dimension préventive »
- Quelle est l'utilité du projet de loi adopté lors du dernier Conseil des ministres en date, relatif aux armes à feu à usage civil ? - Dans cette question, il est bien fait mention de l'expression « à usage civil ». Cette expression reflète en fait le droit pour un citoyen d'être porteur d'une arme. Ceci n'est certes pas nouveau puisque le port d'armes existe dans la législation actuellement en vigueur que ce projet de loi entend mettre à jour. Cependant, force est de constater que la direction que prend ce texte ne va pas dans le sens du port d'armes par le citoyen dans le sens américain du terme, mais plutôt de doter des entités civiles, les sociétés de convoyage de fonds par exemple, d'un arsenal nécessaire dans le strict cadre de la légitime défense. - Comment a évolué la législation relative aux armes à feu au Maroc depuis l'indépendance ? - Au lendemain de l'indépendance, une profusion d'armes était en circulation. Les pouvoirs publics, conscients d'un tel danger, ont anticipé par un renforcement de la législation sur les armes non seulement en instituant des peines criminelles mais aussi en attribuant compétence au seul tribunal permanent des FAR pour connaître de telles infractions. Cette législation est toujours en vigueur avec cette différence que, depuis la réforme du Code de Justice militaire, la compétence d'attribution revient désormais aux Chambres criminelles des Cours d'Appel du Royaume. - Dans quelle mesure le contrôle des armes à feu peut-il prévenir des crimes sanglants commis par des bandes mafieuses ? - Qu'il s'agisse de la législation actuellement en vigueur ou même du projet de loi, le législateur privilégie la dimension préventive exprimée par les formalités requises ainsi que les investigations entreprises avant l'octroi de tout type d'autorisation. A l'évidence, l'inobservation de ces formalités entraîne la mise en oeuvre de l'aspect répressif. Qu'il s'agisse de la dimension préventive ou de l'approche répressive, le tout s'inscrit dans une politique criminelle nécessaire en matière d'armes à usage civil. Recueillis par N. D.