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Reportage / African Lion 2022 : Rugissement maroco-américain aux portes de l'Algérie
Publié dans L'opinion le 24 - 06 - 2022

« L'Opinion » est allé au coeur du dispositif de la conception et de la conduite des opérations d'African Lion. Des exercices d'une importance cruciale pour les Forces Armées Royales. Décryptage.
À quelques encablures du centre de la ville d'Agadir, les hauts gradés des Armées participantes à l'exercice African Lion se rassemblent dans le siège de l'Etat major de la Zone Sud pour la planification des différentes opérations et manoeuvres prévues dans cet exercice géant qui réunit le Maroc, les Etats-Unis et d'autres pays dont le Brésil, la Grande Bretagne, le Sénégal et l'Italie...
Dans une salle digne des films blockbusters américains, les militaires de tous les pays participants, sous l'autorité d'un général américain, ont les yeux braqués sur les écrans. L'objectif est d'établir des scénarios et des concepts d'opérations réalistes afin de conduire les manoeuvres interarmées. Il s'agit simplement pour les armées participantes d'avoir un langage commun et d'harmoniser leurs stratégies et leur façon de conduire des opérations de haute intensité, nous simplifie un Colonel marocain, présent sur place.
Pour sa part, le Lieutenant-Colonel Zakaria Chafi, Officier Adjoint à l'Etat-Major de la Force multinationale, précise que la planification conjointe permet de faire le suivi permanent des actions militaires sur le terrain et prendre donc les décisions adéquates au moment opportun. De son côté, le Colonel britannique Marcus James Mudd, qui représente son pays, n'a pas tari d'éloges en parlant d'African Lion qui, selon lui, permet à l'ensemble des armées d'apprendre à se connaître et d'échanger leurs stratégies et leur façon de faire.
Interopérabilité, l'enjeu suprême
Le Colonel britannique évoque aussi l'amélioration de l'interopérabilité. Un terme qu'on entend souvent dans ce genre d'exercice dont il est l'ultime objectif.
Pour réussir ce défi, les armées alliées doivent être en mesure de mener des opérations conjointes avec des objectifs communs, sans que les manoeuvres perdent en efficacité et en fluidité, explique Nizar Derdabi, analyste en Stratégie internationale et en questions de défense, soulignant qu'il est question d'établir une compatibilité en termes d'organisation, de doctrines, de procédures, d'équipements et des chaînes de commandement des différentes armées. « Il en va de même pour les différentes composantes d'une même armée (terre, air et mer) qui ont des équipements différents et des procédures spécifiques », ajoute notre interlocuteur.
Des exercices d'une importance majeure sur le terrain
Le centre de commandement est donc d'une importance cruciale, c'est là où s'accomplissent la conception des scénarios et la simulation conceptuelle des exercices. Jusqu'à présent, le programme a été chargé, il a y eu des exercices de grande ampleur qui se sont déroulés dans la région d'Al Mahbès, à quelque 30 kilomètres de la frontière algérienne, et à 80 kilomètres de Tindouf. Exercices de troupes aéroportées, tirs d'artillerie à munitions réelles, ainsi que des manoeuvres aériennes menées par les Armées de l'Air (voir les repères pour les détails des opérations).
Aussi classiques soient-elles, ces opérations sont d'une importance vitale dans la guerre conventionnelle qui semble de retour après le conflit en Ukraine qui a marqué le retour fulgurant des conflits de haute intensité. Par exemple, les opérations aéroportées permettent de déployer par voie aérienne un volume important de troupes dans la profondeur du dispositif adverse, en s'affranchissant des défenses ennemies et des obstacles du terrain, explique Nizar Derdabi.
Notre interlocuteur énumère les vertus des opérations aéroportées sur le terrain en citant la guerre en Ukraine où leur utilité s'est avérée décisive. « Ce type d'opération a été conduit par les forces armées russes pour prendre l'aéroport de Hostomel (près de Kiev) durant les premiers jours de l'offensive contre l'Ukraine, afin d'y faire atterrir leurs avions de transport et débarquer des unités d'infanterie et de blindés légers pour s'emparer ensuite de la capitale Kiev. Conscients de l'importance stratégique de cet aéroport, les Ukrainiens étaient parvenus, à la suite d'une contre-attaque massive, à chasser les Russes d'Hostomel », note M. Derdabi.
En plus de l'avantage de mobilité, les exercices aéroportés sont un moyen efficace dans les opérations de lutte contre les groupuscules terroristes, surtout pour les forces spéciales. « Ça permet de transporter rapidement des forces spéciales par hélicoptère pour intervenir contre des groupes de combattants terroristes très volatils et difficilement repérables », poursuit notre expert.
Quelle plus-value pour les FAR ?
En s'engageant dans de tels exercices, les Forces Armées Royales cherchent à mieux se préparer aux nouvelles menaces qui se profilent dans la région du Sahara et au Sahel, lesquels connaissent une prolifération des groupes terroristes qui foisonnent sur fond de déstabilisation de quelques Etats de la région (Mali, Burkina-Faso, Tchad, Niger...). Lorsqu'on parle de groupes terroristes, on y inclut évidemment le polisario qui ne cesse de menacer, tout au moins dans sa propagande, de reprendre la lutte armée. Quelle plus-value African Lion peut-il apporter aux FAR ? Nizar Derbadi estime que l'Armée marocaine est assez expérimentée pour gérer les opérations de contre-insurrection.
« La ligne de défense érigée par les FAR dans les provinces du Sud constitue un obstacle infranchissable et un atout majeur pour contrer toute opération d'harcèlement des milices du polisario, formées aux techniques de guérilla », précise l'ancien officier de la Gendarmerie royale, qui pense que ce sont les Américains qui ont le plus à gagner d'African Lion puisque ça leur permet de capitaliser sur l'expérience des FAR dans le combat de contre-insurrection.
Toutefois, un tel exercice gigantesque, devenu un rendez-vous incontournable dans l'agenda militaire internationale, est aussi bénéfique pour les FAR ainsi que pour l'ensemble des armées participantes auxquelles il offre l'opportunité de découvrir les dernières techniques de combat et de se familiariser avec de nouveaux équipements et des technologies militaires de pointe.
Rappelons que l'exercice African Lion dure jusqu'au 30 juin. Cet exercice multilatéral permet aux pays participants d'améliorer leur interopérabilité à tous les niveaux. En plus des exercices terrestres, des opérations navales et aériennes sont prévues.
Anass MACHLOUKH
L'info...Graphie
African Lion 2022
L'Espagne, grand absent !

La 18ème édition d'African Lion se déroule dans un contexte géopolitique particulier, marqué par un renforcement des capacités communes de défense pour lutter contre les menaces transnationales. Cet exercice intervient peu de temps après la réunion de la coalition mondiale contre Daech à Marrakech qui s'est réunie à la double initiative du Maroc et des Etats Unis.
« Ceci dit, ces deux évènements montrent à quel point l'OTAN et les pays de l'Union Africaine ont besoin de coopérer en matière de sécurité », explique Emmanuel Dupuy, président de l'IPSE. Par ailleurs, un coup d'oeil sur la liste des pays participants permet de relever les changements diplomatiques qui ont eu lieu cette année.
Selon M. Dupuy, le fait que quelques pays comme la France, les Pays-Bas, l'Allemagne et l'Italie soient aussi présents mérite d'être mentionné, sachant que la présence de l'Allemagne, après son absence l'an dernier, signifie que la crise diplomatique n'est plus qu'un souvenir. Le détail qui mérite le plus d'attention est l'absence de l'Espagne qui demeure remarquable dans l'édition de cette année, bien que les relations entre Madrid et Rabat se soient officiellement et positivement rétablies.
« L'absence de l'Espagne pose plusieurs questions étant donné que tout indiquait qu'elle pourrait participer après sa réconciliation avec le Maroc et son soutien notoire au plan d'autonomie », indique Emmanuel Dupuy.
Opérations

Zoom sur les exercices de parachutage et d'artillerie
Au deuxième jour de l'exercice African Lion, les éléments des Forces Armées Royales et ceuxde l'Armée américaine ont procédé à un exercice conjoint de parachutage dans le champ de manoeuvre de Greir Labouihi, au Sud-Est du Maroc. Du côté marocain, les Forces Armées Royales ont déployé les éléments de la première et de la deuxième brigade d'infanterie parachutiste.
En plus des soldats américains, des éléments de l'Armée tunisienne ont également pris part à cet exercice classique et indispensable dans les stratégies militaires. Cet exercice consiste à faire des descentes collectives du personnel et du matériel ainsi que des opérations de largage.
À cet égard, les militaires ont sauté d'une haute altitude, sachant que la descente se fait au moment où l'avion vole à une certaine vitesse adaptée à la nature de l'exercice. Les parachutistes ont fait des sauts de masse à partir des avions de transport tactique. En parallèle, les Forces Armées Royales ont déployé, aux côtés de l'US Army, l'artillerie lourde dans la région d'Al Mahbès qui a abrité les tirs.
Devant l'oeil attentif des hauts gradés marocains et américains qui ont assisté à la manoeuvre, les FAR ont eu l'occasion de mettre à l'épreuve les canons M109 A5 ayant une portée maximale de 30 kilomètres. Pour leur part, les forces américaines se sont servi des fameux lance-roquettes et lance-missiles « Himars », avec une portée de 80 kilomètres. Ces canons sont si puissants qu'ils sont en mesure de lancer 6 missiles de 227 mm en 40 secondes.

3 questions à Emmanuel Dupuy

« La lutte anti-terroriste nécessite plus de coopération à l'échelle bilatérale »

Emmanuel Dupuy, Président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), a répondu à nos questions sur l'exercice African Lion.
- Sur le plan militaire, quelle est la particularité de l'édition de cette année ?
- Gardons à l'esprit que cet exercice se déroule sur terre tout en ayant une dimension maritime nécessaire pour la lutte contre la piraterie. Cela est très utile pour des pays comme le Ghana et ceux de la bande sahélo-saharienne et ceux de l'Afrique du Nord afin de mieux appréhender les menaces terroristes transnationales qui ne connaissent pas de frontières.
- Quelle plus-value apporte l'exercice dans la lutte contre les menaces terroristes dans la région aussi bien au Sahara qu'au Sahel ?
-Là, les exercices de lutte de haute intensité dans un espace désertique dont on parle ne sont pas forcément adaptés aux spécificités de la lutte antiterroriste. Les exercices aéroportés ou les manoeuvres d'artillerie manquent de l'agilité et de la nécessaire fluidité qu'il convient de mettre en avant pour confronter ce genre d'organisation.
En gros, African Lion vise à préparer les Armées aux combats de haute intensité dans une zone désertique. Raison pour laquelle celles-ci ont donc besoin de tester leur capacité à travailler ensemble. La lutte anti-terroriste nécessite plus de coopération à l'échelon bilatérale.
En définitive, l'exercice African Lion correspond à la temporalité des menaces auxquelles pourraient faire face les pays participants, mais anticipe de façon plus théorique que pratique, ce que pourra être un conflit de haute intensité avec l'usage des pièces d'artillerie et l'emploi des véhicules blindés à grande échelle.
-Comment African Lion 2022 peut-il préparer l'Armée marocaine à mieux neutraliser les éventuelles opérations de harcèlement des milices du polisario ?
-L'Armée marocaine a certes modernisé ses équipements, en témoigne l'acquisition des canons français « César », qui sont très utiles pour faire face au système d'artillerie dont dispose le polisario et qui lui a été fourni par l'Algérie. Au-delà de la menace du polisario, il est indispensable de penser les menaces futures et c'est là où se manifeste l'importance d'un exercice tel qu'African Lion.
Néanmoins, l'exercice a certes vocation d'être conforme à une réalité stratégique, ça demeure théorique et dont l'objectif principal est de permettre aux participants de mieux se connaître et améliorer leur interopérabilité.
Recueillis par A. MACHLOUKH


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