Transformé en liquide, le gaz naturel est plus facile à stocker et à transporter. Solution privilégiée en l'absence d'une alimentation par gazoduc, le Gaz Naturel Liquéfié (GNL) implique toutefois certaines contraintes. Le « Gaz Naturel Liquéfié » ou « GNL » est un terme que la grande majorité des Marocains n'ont découvert que depuis la décision algérienne d'arrêter son exportation du gaz naturel à travers le Gazoduc Maghreb-Europe. La semaine dernière, le Maroc confirmait son accord avec l'Espagne pour sécuriser son approvisionnement en gaz en utilisant le gazoduc Maghreb-Europe en sens inverse, au grand dam de la junte algérienne qui n'a pas manqué d'improviser une crise gesticulatoire comme elle en a bien le secret. Pourtant, « le rôle de l'Espagne dans cette solution se limite à la mise à disposition de certaines de ses infrastructures portuaires et terminaux pour regazéifier et envoyer - à travers le gazoduc - des volumes acquis par notre pays auprès des marchés internationaux de GNL », affirme M. Taoufik Laâbi, consultant en énergie, expert en développement et en planification et ancien directeur en charge du développement et de la planification à l'ONEE. Au-delà des aspects géopolitiques et économiques, qu'est-ce que l'utilisation de ce GNL impose à notre pays en termes de contraintes techniques et économiques ? Un gaz « cryogénique » Contrairement au gaz naturel acheminé depuis un site de production à travers un gazoduc, le GNL est une solution qui est adaptée à un stockage et transport par d'autres moyens, le plus souvent maritimes. Selon les experts du domaine, « le GNL désigne le gaz naturel transformé sous forme liquide « cryogénique » (en référence à un liquide dont la température est inférieure à -150°C, NDLR) suite à un procédé de refroidissement à environ -160°C. Le processus permet ainsi de condenser le gaz naturel en réduisant son volume d'un facteur de près de 600, pour un même pouvoir calorifique, ce qui facilite son transport par voie maritime ». Cette solution, qui permet de diversifier les sources d'approvisionnement en gaz sans dépendre des gazoducs terrestres, se développe fortement à l'échelle mondiale et a compté pour près de 32% des flux totaux de gaz naturel dans le monde en 2016. Plusieurs grandes étapes constituent la chaîne GNL, de la liquéfaction du gaz naturel jusqu'à la regazéification pour fournir le gaz au consommateur final. De l'extraction à l'exploitation La chaîne de valeur du GNL débute dans les pays producteurs où le gaz naturel est acheminé depuis le gisement d'extraction vers une usine de liquéfaction disposant d'une façade maritime et d'installations portuaires adaptées où le gaz subit plusieurs traitements successifs (voir article ci-dessous). La deuxième étape passe par le transport du GNL par des bateaux spécialisés connus sous le nom de « méthaniers ». Une fois arrivés à destination, les méthaniers déchargent leur cargaison sur un terminal doté d'une installation de réception et de stockage cryogénique du GNL dans des réservoirs similaires à ceux utilisés sur les sites de liquéfaction. Si certains usages du gaz peuvent s'affranchir de l'étape de regazéification, les besoins de consommation au Maroc justifient ce procédé dans lequel la température du GNL est portée d'environ -160°C à plus de 0°C sous haute pression (entre 60 et 100 bars), avant injection du gaz en sens inverse depuis l'Espagne dans le Gazoduc Maghreb-Europe afin de parvenir sous une forme exploitable aux stations de Tahaddart et de Aïn Béni Mathar. Les contraintes économiques Alors que 60% des coûts associés au transport du GNL sont accaparés par l'opération de liquéfaction réalisée par le pays producteur, le transport par navire méthanier et le processus de regazéification se répartissent à parts égales les 40% restants. « Le Maroc devra à moyen terme développer ses propres terminaux de stockage et de regazéification pour plusieurs raisons. D'abord, parce qu'il y aura un avantage économique à faire intervenir moins d'intermédiaires extérieurs dans la chaîne de valeur. Deuxièmement, ça lui permettra plus d'indépendance puisque les opérations de stockage et de regazéification seront effectuées sur le sol marocain. Enfin, cette orientation offrira également l'avantage d'un développement régional dans les zones où ces infrastructures et terminaux seront réalisés», commente M. Taoufik Laâbi, qui précise cependant que « pour réussir ce projet, il faudra donner plus de visibilité aux investisseurs et bailleurs de fonds qui seront appelés à intervenir, d'où l'urgence d'adopter le code gazier qui régit le secteur gazier en aval, à l'image de ce qui a été fait par l'autorité nationale de régulation de l'énergie pour le secteur de l'électricité». Oussama ABAOUSS Repères GNL, GPL et GNV Lorsqu'il n'est pas regazéifié pour servir à d'autre usage, le GNL peut être utilisé en tant que carburant dans le domaine des transports lourds, notamment pour le transport maritime. Les carburants issus du gaz peuvent également prendre la forme de GPL (Gaz de Pétrole Liquéfié) qui est issu du pétrole et constitué majoritairement de butane et de propane (utilisé pour les véhicules légers), ou encore de GNV (Gaz Naturel pour Véhicule) qui est essentiellement composé de méthane (employé plutôt pour les bus et camions).
Des bateaux pas comme les autres Les méthaniers, navires géants spécialement conçus pour transporter le GNL, sont dotés d'installations adaptées pour garantir une isolation thermique destinée à maintenir le gaz à l'état liquide en minimisant les déperditions énergétiques : leurs réservoirs sont dits « adiabatiques », c'est-à-dire sans pertes thermiques. Les plus gros méthaniers en activité peuvent transporter près de 267.000 m3 de GNL. Pendant la traversée, le méthane qui s'évapore des cuves « adiabatiques » est récupéré pour participer à la propulsion du navire. L'info...Graphie Génie énergétique Trois traitements préalables pour réussir la liquéfaction du gaz
Selon le comité d'experts de la plateforme « Connaissance des énergies », spécialisée dans la vulgarisation des enjeux techniques liés aux domaines de l'énergie, « près de 600 m3 de gaz naturel occupent seulement 1 m3 à l'état liquide (à pression atmosphérique). Les réservoirs de GNL, qui disposent d'une capacité de stockage comprise entre 65.000 et 150.000 m3 de GNL permettent donc de stocker de très grandes quantités d'énergie ». Le procédé de liquéfaction du gaz nécessite cependant trois traitements préalables : la phase d'épuration, qui permet d'extraire le dioxyde de carbone, le sulfure d'hydrogène ainsi que d'autres composés soufrés, la phase de déshydratation, qui permet d'éliminer les molécules d'eau et de Mercure, et la phase de préfroidissement, pendant laquelle le gaz naturel est refroidi à une température proche de -30°C. Une série de distillations (dans les colonnes d'épuration) permet durant cette étape d'isoler les hydrocarbures plus lourds ainsi que les GPL (Gaz de Pétrole Liquéfié : propane et butane).
Investissement Vers la mise en place d'une infrastructure nationale pour le GNL
En janvier 2022, le Maroc a lancé un appel d'offres pour une étude concernant la mise en place d'une infrastructure GNL et d'une unité flottante de stockage et de regazéification dans le port de Mohammedia. « Mohammedia et le port de Nador semblent les mieux équipés pour accueillir des terminaux de regazéification », a expliqué Mme Leila Benali, ministre de la Transition énergétique et du Développement durable, lors d'une conférence de presse organisée le mois dernier. La même source a par ailleurs souligné que l'ambition du Royaume était de pouvoir mettre en place « au moins quatre ports ». Kénitra et Jorf Lasfar ont à cet égard été désignés comme sites potentiels qui pourraient bénéficier à terme de terminaux gaziers pour compléter les infrastructures prévues à Nador et Mohammedia. « Il est important pour la souveraineté énergétique du Maroc de disposer de capacités de regazéification du GNL sur notre territoire et dans notre espace maritime », avait souligné Mme Benali. À noter que vers la fin de l'année 2016, plus de 130 terminaux de regazéification étaient en activité dans le monde, dont une trentaine au Japon. En Europe, les principaux terminaux se trouvent en Espagne (7 terminaux et 27 réservoirs de stockage), au Royaume-Uni, en France et en Italie. L'Agence Internationale de l'Energie (AIE) prévoit par ailleurs une augmentation de la part du Gaz Naturel Liquéfié dans les échanges de gaz naturel dans le monde : cette part pourrait atteindre plus de 40% en 2035 selon ses projections (contre près de 30,5% en 2010).
3 questions à Taoufik Laâbi, expert en développement et en planification « Le Maroc dispose de la capacité requise pour négocier des prix compétitifs du GNL »
Taoufik Laâbi, consultant en énergie, expert en développement et en planification et ancien directeur en charge du développement et de la planification à l'ONEE, répond à nos questions. - Le Maroc a-t-il la capacité de négocier du GNL à des prix compétitifs ? - Il faut d'abord préciser que les marchés du gaz naturel sont traditionnellement organisés sous la forme de trois marchés régionaux segmentés : le marché d'Amérique du Nord, le marché d'Asie pacifique et le marché européen. Chaque marché se caractérise par des fournisseurs spécifiques et des prix différenciés. Le Maroc devrait intervenir dans le cadre des négociations pour trouver du gaz dans ces marchés afin de disposer des quantités suffisantes et dans les meilleures conditions de coût. Cependant, même si le Maroc dispose de la capacité requise pour négocier des prix compétitifs du GNL par rapport au marché européen par exemple - qui est relativement élevé -, la solution mise en place en partenariat avec l'Espagne n'est pas idéale sur le plan économique (à long terme) puisqu'il faudra prendre en charge plusieurs coûts intermédiaires tels que le coût du transport maritime, le stockage, le coût de regazéification, le coût de transport par le Gazoduc Maghreb-Europe, les marges des opérateurs, etc. - L'acheminement du gaz à travers l'Espagne n'est donc pas une solution viable ? - Cette solution a un coût qui peut être relativement élevé, mais elle aura cependant le mérite de pouvoir mobiliser du gaz et approvisionner dans des délais courts les centrales à cycle combiné de Tahaddart et de Aïn Béni Mathar qui sont actuellement à l'arrêt. Il faudra donc, à mon avis, adopter cette solution de façon limitée dans le temps en attendant que d'autres solutions plus pérennes et plus économiques puissent être mises en oeuvre. - En plus du gaz fourni à travers l'Espagne, comment notre pays pourrait-il diversifier ses sources d'approvisionnement en gaz ? - Comme je l'ai précédemment mentionné, la réalisation de terminaux gaziers constitue une des alternatives qui permettent de diversifier les sources d'approvisionnement. L'autre composante qui permet, à mon avis, de diversifier encore plus les sources d'approvisionnement est de travailler davantage sur le projet régional du pipeline Nigeria-Maroc qui, aujourd'hui, devrait avoir plus d'adhésion des pays de l'UE, dans le sens où le contexte géopolitique actuel exige pour l'UE d'avoir une autre source d'approvisionnement en gaz que celles qui sont aujourd'hui offertes par le Qatar, l'Algérie, l'Egypte, etc. Recueillis par O. A.