Troisième et dernière partie du dossier réalisée par M. Mohamed Et-Tobi, intitulé « Gazoduc Nigeria-Maroc, le levier d'Archimède », qui met en lumière les dimensions économique et géostratégique du mégaprojet de gazoduc Nigeria-Maroc. Après avoir traité de l'opportunité socioéconomique dudit gazoduc pour le Maroc et les pays de l'Afrique de l'ouest et de son financement, de sa complémentarité avec le plan gazier marocain et la diversification des sources d'approvisionnement ambitionnée par le Royaume, l'auteur s'attèle, dans cette dernière partie, à une étude comparative des modes d'acheminement du gaz, soit par pipeline, soit par navires méthaniers, sous forme de gaz liquéfié. Le gaz naturel est le plus « propre » des combustibles fossiles en terme de pollution classique et la substitution du gaz au charbon pour le chauffage domestique a beaucoup réduit la pollution atmosphérique dans les villes d'Europe et ailleurs. Pour une même quantité de chaleur, sa combustion produit environ deux fois moins de CO2 que celle du charbon, mais la molécule de méthane exerce un effet de serre 25 fois plus important que la molécule de CO2 : les fuites des gazoducs constituent donc une source significative, quoique très mal évaluée, de gaz à effet de serre. Le gaz naturel n'est pas toxique comme l'était le « gaz de ville », dont la moitié des molécules étaient du monoxyde de carbone CO. En revanche, il est aussi explosible que ce dernier, comme le montrent les fréquentes explosions accidentelles rapportées dans la presse internationale. 3.1 L'infrastructure gazoduc sur terre Sur terre, le gaz naturel est transporté sous pression dans des tuyaux qu'on appelle les gazoducs, qui sont enterrés ou à l'air libre. Contrairement au pétrole qui est un liquide, le gaz naturel est compressible, ce qui signifie qu'il faut beaucoup d'énergie et une série régulière de stations de pompage pour lui faire parcourir de grandes distances dans un gazoduc, et que celui-ci doit être de grand diamètre. L'infrastructure des gazoducs et des stations de pompage est très chère et très rigide. C'est une des raisons pour laquelle la fourniture de gaz se fait sur la base de contrats bilatéraux à long terme, où le consommateur s'engage à payer pour des quantités déterminées de gaz, qu'il les enlève effectivement ou non (contrats « take or pay »). Au-delà de 2000 à 3000 km, il est plus économique de transporter le gaz par voie maritime, dans des méthaniers, sous forme de gaz naturel liquéfié ou « GNL ». 3.2 L'infrastructure Méthanier à Gaz naturel liquéfié (GNL) En l'absence de gazoduc ou en complément, et pour transporter le gaz naturel sur une longue distance, on transforme le gaz naturel en liquide qui contient uniquement du méthane. On lui enlève une partie de ses composants inutiles (eau, Hélium, hydrocarbures...), ensuite on le soumet à une forte pression et on le refroidit à -163°C à l'aide de gigantesques réfrigérateurs. Cette transformation nécessite d'importantes installations (Chaine GNL) aussi bien au départ pour transformer le gaz naturel en LGN, qu'à l'arrivée pour transformer le LGN en gaz naturel. Tous les gaz sont liquéfiables si on les refroidit suffisamment. La dépense d'énergie est considérable, mais on récupère une partie dans l'installation symétrique où le GNL redeviendra gazeux. Le GNL est beaucoup plus dense que le gaz naturel (1 m3 de GNL fournira 600 m3 de gaz à la pression atmosphérique). C'est donc une forme sous laquelle il est facile à transporter et à stocker, à condition de le maintenir à basse température. Les terminaux méthaniers sont des installations lourdes, mais ils permettent une souplesse d'approvisionnement qui commence à créer un vrai commerce international du gaz naturel. 3.3 Ports et terminaux méthaniers Les terminaux GNL, également dits en anglais « LNG tankers » (Liquefiednaturalgas) sont les installations qui réceptionnent le gaz naturel liquéfié (GNL) transporté par navire, pour le regazéifier et le réinjecter dans le réseau de transport de gaz au fil de la demande. Dédiés à l'importation du gaz, ces terminaux méthaniers offrent également la possibilité de réguler le réseau de transport de gaz du pays récepteur. Le GNL représente, pour tous les énergéticiens mondiaux, un enjeu stratégique majeur : il est la solution idéale pour acheminer le gaz naturel issu de gisements éloignés vers les marchés gaziers lorsqu'il n'est pas possible de construire un gazoduc. Le GNL contribue ainsi à la diversification et à la sécurisation des approvisionnements de gaz naturel. Un port méthanier ou terminal méthanier est une unité portuaire spécialisée, ou un port destiné à l'accueil des méthaniers. Ces ports accueillent les navires méthaniers, dont les plus grands (fin 2008) ont une capacité de plus de 260 000 m3. Ces ports sont généralement connectés à un ou plusieurs gazoducs de grande taille, ou équipés en systèmes de traitement et transport du méthane, avec notamment des réservoirs de stockage temporaire, ainsi que des unités de regazéification (par réchauffage du gaz qui peut alors être injecté dans les tuyaux des réseaux de distribution). Un terminal méthanier doit nécessairement bénéficier d'une situation nautique très favorable, directement accessible par mer aux grands navires méthaniers ; ce qui ne manque pas sur les côtes atlantiques de l'Afrique de l'ouest jusqu'au Maroc. 3.4 Répartition géographique des ports méthaniers dans le monde Aujourd'hui ces ports concernent essentiellement l'Indonésie, le Japon, le Moyen-Orient, l'Europe, les États-Unis, le Nigeria et l'Algérie. Déjà en 2008, un effectif de 53 terminaux méthaniers sont actifs dans le monde, dont trois en France (Montoir-de-Bretagne et 2 à Fos-sur-Mer, avec 4 projets de port méthanier en cours d'étude ou de construction dans ce pays, à Dunkerque au Havre et deux à Bordeaux). 3.5 Construction et gestion des risques des ports méthaniers La construction de ces ports spécialisés nécessite dans la plupart des pays une étude d'impact, une enquête publique et le cas échéant des mesures compensatoires et/ou conservatoires. Il est à noter qu'une compensation écologique ou mesure compensatoire (à ne pas confondre avec la notion anglo-saxonne d'éco-compensation) vise à compenser ou contrebalancer les effets néfastes pour l'environnement, d'un aménagement ou de la réalisation d'un projet inévitablement ou potentiellement créateur de nuisances. Les ports méthaniers sont classés en Europe Seveso seuil haut, car le gaz (transporté sous pression et/ou sous forme réfrigéré à -163 °C environ) est une dangereuse matière, explosive et puissant gaz à effet de serre ; ce qui implique des installations adaptées, sécurisées et de haute qualité. Les concepteurs de ces ports doivent porter une attention particulière outre au risque de tsunami, au risque terroriste et aux effets directs et indirects du changement et des risques météo-climatiques, dont la montée possible des océans et la fréquence de graves tempêtes. Dans de nombreux pays, dès qu'un méthanier s'est engagé dans un chenal, l'accès au chenal est interdit à tout autre navire (dans le cas où les bateaux se croiseraient). Un bateau peut suivre un méthanier mais en aucun cas le croiser par exemple ! Une « chaîne GNL » est mise en place lorsque la construction de gazoduc n'est pas envisageable, le plus souvent en raison de : Coûts de construction trop élevés, La distance de transport, Une étape maritime imposée ou, De contraintes géopolitiques. Plusieurs grandes étapes constituent cette chaîne GNL, de la liquéfaction du gaz naturel jusqu'à la regazéification pour fournir le gaz au consommateur final. Ces dernières années, l'amélioration des techniques de liquéfaction et l'innovation dans le domaine de la construction navale ont favorisé l'essor du gaz naturel liquéfié. Le transport du gaz sur de longues distances est désormais possible et économiquement viable. L'Agence Internationale de l'Énergie (AIE) prévoit une augmentation de la part du GNL dans les échanges de gaz naturel dans le monde : cette part devrait atteindre plus de 40% en 2035 contre près de 30,5% en 2010. 3.6 Enjeu économique : coût de la chaîne GNL La mise en place d'une chaîne GNL engendre des coûts importants de deux ordres : la construction des installations et le transport. Pour limiter le risque économique lié à la construction d'installations onéreuses, la plupart des échanges de GNL sont négociés sur la base de contrats de long terme qui engagent quelques pays dans des quantités importantes. Avant de construire un terminal, un pays signe ainsi ces contrats de long terme afin de s'assurer des arrivées de gaz par voie maritime. Les coûts associés au transport du GNL se répartissent comme suit : Opérations de liquéfaction : 60% des coûts ; Transport par navire méthanier : 20% ; Regazéification dans le terminal méthanier : 20%. Les coûts de liquéfaction sont donc déterminants et de nouveaux procédés sont en cours de développement pour les abaisser. Notons que si le site de liquéfaction consomme près de 12% du gaz qu'il traite, ce problème se pose également pour le transport par gazoduc : l'autoconsommation des stations de re-compression situées le long des gazoducs peut atteindre 20% pour un transport de 5 000 km. Alors béni soit le gazoduc Maroc-Nigeria !