L'échéance approche à grands pas. Plus que quelques semaines avant que le Maroc ne soit fixé sur le cap à prendre pour installer une industrie nationale du gaz naturel. «Les résultats des études de faisabilité lancées dans ce sens devraient être connus courant octobre prochain», dévoile Moulay Abdellah Alaoui, président de la Fédération nationale de l'énergie (FNE). Avant cela, un gros signal avant-coureur a été lancé ces dernières semaines par le deal d'envergure conclu entre la Sni et la holding de Aziz Akhannouch, Akwa, pour la construction d'un terminal gazier au Maroc. L'option gaz naturel prend donc enfin corps et il faut dire que cela a nécessité une assez longue maturation. Car c'est depuis 2008 que le Maroc songe sérieusement à adopter le gaz naturel. La stratégie énergétique nationale lancée la même année par le ministère de l'Energie et des mines a à ce titre été bâtie autour du triptyque énergies fossile (charbon, fioul), nucléaire en 2025 et enfin gaz naturel. Seulement cette dernière source n'était retenue que comme alternative optionnelle. C'est qu'à l'époque, aucun pays producteur de gaz naturel n'était disposé à approvisionner le Maroc. En effet, pour établir des partenariats d'approvisionnement avec leurs clients, les fournisseurs mondiaux concluent des contrats à long terme, courant sur 10 à 15 ans. Et il se trouve qu'il y a tout juste deux ans les carnets de commande des producteurs mondiaux sollicités par le Maroc (Russie, Qatar...) étaient saturés. Or, un récent retournement de situation est venu améliorer considérablement les chances du Maroc. En 2009, les Etats-Unis découvrent d'importants gisements de gaz naturel sur leur territoire. En réaction directe, plusieurs de leurs commandes à l'international sont annulées. Entretemps, de nouveaux pays exportateurs de gaz sont arrivés sur le marché. Plus que de faire gagner au Maroc des places sur la liste d'attente, la nouvelle donne, fait pencher le rapport de force en sa faveur. Les pays fournisseurs multiplient les clins d'œil en direction du Royaume. Mieux encore, plusieurs groupes internationaux, dont notamment Shell, Total ou encore très récemment GDF Suez, ont manifesté leur intérêt pour prendre des participations dans le capital des structures devant être créées pour installer la filière nationale de gaz naturel. Premier pas C'est que le marché est porteur. Le potentiel de consommation immédiat est estimé à 5 milliards de mètres cubes. Ce besoin ira croissant nécessairement et il devrait atteindre 7 à 8 milliards de mètres cubes d'ici 10 ans. Plusieurs facteurs devraient y contribuer. Il y a d'abord la prochaine mise en service de centrales de production d'électricité. Mais aussi les besoins croissants du raffinage en énergie électrique et enfin le passage de plusieurs industries du diesel ou fioul au gaz naturel s'agissant notamment d'unités industrielles longeant le littoral (Jorf Lasfar, Mohammédia, Casablanca, Rabat et Kénitra). Une réflexion entamée suggère même de raccorder les nouvelles villes qui se créent sur tout le territoire national par un réseau de pipelines souterrains pour desservir leurs habitants en gaz naturel.De la matière première, des investisseurs, un marché porteur... tout plaide donc pour un décollage imminent de la filière du gaz naturel au Maroc. Le tandem Akwa-Sni se positionne donc en première ligne pour impulser le marché. Au passage, précisons que la présence d'Akwa dans le tour de table du premier investissement dans le gaz naturel, mené au Maroc, n'a rien de fortuit. La holding de Aziz Akhannouch a manifesté depuis 10 ans son intérêt pour cette énergie. En partenariat avec des opérateurs espagnols, la holding a même déjà déboursé pour 2 millions de dollars d'études. Mais le tandem Akwa-Sni par son investissement ne fera que défricher le terrain.Dans sa globalité, le projet d'introduire le gaz naturel au Maroc inclut cinq composantes. Le terminal destiné à accueillir les navires méthaniers vient donc en premier. Mais il y a aussi les infrastructures de stockage, les installations de regazéification, un gazoduc et le réseau de distribution. L'investissement à mettre sur la table sera tout aussi conséquent. Akwa-Sni débourseront entre 600 et un milliard d'euros pour installer leur terminal. Et l'on évalue le coût global de tout le réseau à 2 milliards d'euros. Les études de faisabilité devant être dévoilés d'ici octobre prochain préciseront par ailleurs les contours techniques de ces installations. Et pour le moins beaucoup de points restent à traiter. GNL ou gazoduc ? Mais voyons d'abord les aspects qui sont presque réglés. Pour s'approvisionner en gaz naturel, le Maroc a le choix de recourir soit à la solution du Gaz naturel liquéfié (GNL) s'appuyant sur les terminaux et usines de gazéification soit à la solution du gazoduc. Bien que cette dernière option reste largement la plus utilisée de par le monde (voir graphique) pour son moindre coût, elle devrait être vraisemblablement écartée de fait pour le Maroc. En effet, la seule possibilité à explorer dans cette optique supposerait d'établir un partenariat avec l'Algérie pour mettre à profit le Gazoduc Maghreb-Europe. Or pour des considérations politiques évidentes, l'option est à écarter de fait. Reste la question du site qui abritera le terminal GNL. À en croire les experts, le choix n'est pas évident. La contrainte exprimée est de maximiser la proximité des marchés potentiels (densité résidentielle et industrielle). Partant, deux sites sont avancés: Jorf Lasfar et Kénitra. Le fait qu'Akwa soit déjà bien installé sur le premier site et qu'il y dispose d'un terminal de stockage de gaz propane qualifie Jorf Lasfar pour accueillir le terminal. Mais d'autres observateurs parient plutôt sur Kénitra, vu que la ville est plus proche de l'un des clients ciblés en priorité par Sni-Akwa: la centrale de Tahadart (384 MW), dont les besoins en gaz naturel sont importants. Autre question qui se pose, la compensation du gaz butane. Importer le GNL alors que le gaz butane est subventionné fausserait le jeu de la concurrence. En effet, le gaz naturel ne sera compétitif que si le butane n'est pas subventionné. En lien, il est recommandé de mettre à plat le coût de la thermie des produits pétroliers et gaziers en vue de les mettre en réelle compétition sans que l'un soit subventionné par rapport à l'autre, ce qui devrait aboutir à une nouvelle structure des prix. Rappelons à cet effet que le ministère de l'Energie et des mines a initié récemment une étude sur la décompensation du gaz butane (voir notre édition du jeudi 22 juillet 2010). Vient enfin la question du toilettage législatif qui devrait être opéré, pour établir une assise juridique à l'importation des hydrocarbures. Sur ce registre, un projet de code gazier est en préparation et est actuellement débattu avec la fédération de l'énergie, ainsi que les opérateurs concernés. Du stockage à la distribution, en passant par le transport, la liquéfaction, la distribution, les prix et tarifs et la fiscalité... Tous les aspects de cette filière à naître sont traités. Mly Abdallah Alaoui, Président de la Fédération nationale de l'énergie Le politique doit absolument suivre ! Les Echos quotidien : Quelles recommandations faites-vous pour l'introduction du gaz naturel au Maroc ? Moulay Abdellah Alaoui : Le gaz naturel a été de tout temps une énergie fortement capitalistique. Son développement a historiquement nécessité une implication politique. Concrètement, celle-ci doit aboutir dans un premier temps à la création d'un monopole d'importation régulé qui pourrait être chargé de l'approvisionnement et de l'équilibrage du réseau. Tous les marchés, aujourd'hui installés, sont passés par là, c'est incontournable vu qu'il n'y a pas de rentabilité immédiate. Il y a donc un effort de facilitation à déployer aux premières phases du projet pour ensuite songer à libéraliser. Cela pourrait par ailleurs, se faire sur un horizon de 10 ans. En outre, tout réseau gazier doit répondre à trois grands principes : la sécurité des installations, la sécurité d'usage et la sécurité d'approvisionnement. Qu'en est-il de l'exploitation ? Notre recommandation, s'agissant d'abord de l'approvisionnement, est de conclure des contrats à long terme à hauteur de 70% et, de faire obéir les 30% restant au marché spot. De la sorte, on sera en mesure de profiter d'éventuelles détentes sur les cours internationaux ce qui permettra d'optimiser le coût de la transaction.S'agissant des infrastructures, la référence aux normes européennes peut suffir pour les grandes installations, à savoir le terminal et le réseau de stockage. Ces installations sont généralement exploitées par des importateurs internationaux familiers à leur fonctionnement. Même si les pratiques commencent à converger, cette pratique ne peut être retenue telle quelle pour le cas du Maroc dans la mesure où pour le transport chaque pays garde des spécificités. En ce qui concerne la distribution, les conditions d'exploitation sont très différentes d'un pays à l'autre; et selon que l'on parle de réseau mature ou en développement, il s'avère nécessaire d'apporter des précisions. Par ailleurs, l'exploitation d'un tel réseau peut-être confiée à un exploitant de taille modeste qui aurait toutefois besoin d'être encadré par des textes réglementaires précis. Comment devrait s'opérer la régulation ? Toute la réflexion menée doit aboutir à la création d'une autorité de régulation pour l'électricité et le gaz naturel. Celle-ci doit être impérativement indépendante et devrait être constituée de Commissaires pour le pétrole, l'électricité et le gaz naturel. Le rôle de cet organisme sera fondamentalement de veiller aux prix afin de protéger le consommateur et d'éviter l'abus de position dominante. Pourquoi le gaz naturel ? L'introduction du gaz naturel répond à une volonté de l'Etat de diversifier le bouquet énergétique. Une stratégie à été mise en place dans l'ambition d'optimiser la facture énergétique et le gaz naturel y figure comme une des sources d'énergie les plus propres. D'une part sa combustion ne génère que de l'eau. D'autre part, les centrales fonctionnant au gaz naturel rejettent 84% en moins d'oxyde d'azote et 32% en moins de CO2. Autre avantage, les réserves de gaz naturel sont relativement abondantes et elles représentent selon les estimations des experts 63 ans de consommation. Il faut par ailleurs noter que que le gaz se prête aux mêmes techniques de recherche, de prospection et de production que le pétrole, à ceci près que son exploitation est nettement plus capitalistique. Actuellement, le gaz naturel contribue à près de 4% de la consommation nationale d'énergie, alors qu'il représente près de 25% de la consommation énergétique mondiale. Enfin les réserves prouvées de gaz naturel sont localisées à 80% sur une quinzaine de pays dont 10 pays de l'Opep. Trois de ces pays à savoir la Russie, l'Iran et le Qatar détiennent à eux seuls plus de 56% des réserves prouvées.