« Le Temps du Maroc », un récit des 500 jours les plus cruciaux des vingt dernières années, où le Royaume a transformé la pandémie en une chance de développement. Auteur d'un récit parsemé de confidences inédites et de flashbacks, Abdelmalek Alaoui nous conduit dans les coulisses de la gestion de crise. Pandémie, reprise des relations avec Israël, NMD, crise avec l'Espagne... L'auteur nous livre les détails d'un livre qui fait parler. - Tout d'abord, avant de rentrer dans les détails de votre livre, pouvez-vous partager avec nous ce qui vous a amené à écrire un récit de la pandémie au Maroc ? Y a-t-il un événement précis qui vous a poussé à prendre la plume?
- Je ne pense pas avoir écrit un récit de la pandémie, mais plutôt un essai sur une séquence charnière qui révèle beaucoup plus de choses sur le Maroc, au-delà de la simple mise en place d'une organisation de combat pour lutter contre la Covid-19. En ce qui concerne les racines du projet, c'est à la relecture en mars 2020 de l'ouvrage « Nous Marocains, permanences et espérances d'un Pays en Développement » de Yahia Benslimane (1985), que j'ai eu l'idée de documenter ce moment de la vie du pays, et de l'ancrer dans une réalité contemporaine avec des allers-retours. Dans mon esprit, il y a beaucoup d'idées reçues sur le Maroc que je voulais décrypter. Comme je tiens des carnets depuis près de 20 ans, j'ai pu y puiser des éléments qui ont nourri l'écriture de l'ouvrage, tout en suivant l'actualité au jour le jour. - Les observateurs divergent dans la qualification de ce livre, certains lui donnent une étiquette « politique », tandis que d'autres le qualifient d'oeuvre « intellectuelle», dans quel registre le placez-vous ? - Il ne m'appartient pas de qualifier à quel rayon de bibliothèque ce livre est destiné. C'est aux lecteurs de choisir. Mais de manière générale, au Maroc, tout est qualifié de « politique » dès lors que l'on essaie de contribuer au débat public, même si l'on n'est qu'un observateur comme moi. J'ai essayé de dire les choses telles que je les vois, et je ne me considère pas comme un intellectuel ni comme un homme politique, mais comme un commentateur. Votre journal, par exemple, est adossé à un parti politique, l'Istiqlal. Peut-on pour autant qualifier ce qui se trouve dans « L'Opinion » comme un prolongement de l'idéologie portée par le parti ? - Vous concluez votre livre en disant que « le temps du Maroc » a sonné. Peut-on dire, au regard des réalisations du Maroc, que la pandémie a donné un nouvel élan au développement du Royaume ? - Elle a donné un souffle en révélant des forces sous-estimées du Royaume, sous le leadership de Sa Majesté le Roi, qui a été et continue d'être déterminant dans la gestion de cette crise, avec cette marque de fabrique particulière qui consiste à combiner les ripostes tactiques avec les grandes actions stratégiques. Je forme le voeu que cet élan puisse être prolongé par les forces vives de la nation, car quelque chose a effectivement changé dans la manière dont le pays s'est cabré face au virus, puis s'est projeté vers un calendrier de long terme ambitieux. - Vous estimez que la gestion de la crise a été faite de façon contre-intuitive, pouvez-vous nous expliquer ce postulat ? - Une partie de la gestion de la crise a en effet été effectuée de manière contre-intuitive. Là où les manuels de crise conseillent de se replier sur les valeurs fondamentales, en gros de faire le « dos rond », Sa Majesté a étiré l'agenda pour redonner de la perspective de long terme, à travers des réformes essentielles telle la création du Fonds Mohammed VI pour l'investissement, la mobilisation de près de 10% du PIB pour le plan de relance, la généralisation de la protection sociale pour tous les Marocains, ou encore, plus récemment, la mise en place de l'autonomie vaccinale. Peu de pays, même parmi les plus développés, se sont engagés dans des réformes de fond durant la crise. Je dirais qu'il s'agit là d'une des spécificités du Maroc. Bien entendu, tout n'a pas été parfait. Il y a eu des moments de doute, d'hésitation, notamment de la part de l'Exécutif. Mais de manière globale, si l'on revient 20 mois en arrière et que l'on nous aurait dit que le Maroc traverserait cette épreuve immense de cette manière, je pense que l'on signerait tout de suite...
« Si l'on revient 20 mois en arrière et que l'on nous aurait dit que le Maroc traverserait cette épreuve immense de cette manière, je pense que l'on signerait tout de suite... »
- Le livre fait un parallèle entre la Marche Verte comme prouesse du règne de feu Hassan II et la gestion judicieuse de la crise du Covid-19 faite sous l'impulsion SM le Roi Mohammed VI ? Peut-on considérer cette succession d'événements du Coronavirus et leur gestion comme une épopée nationale ? - Indubitablement, cette séquence appartiendra à l'Histoire du Maroc comme une période à la fois de tension immense mais également un moment où le Royaume s'est révélé, d'abord à lui-même. La comparaison avec « La Marche Verte » pour feu Sa Majesté Hassan II m'a parue appropriée, car il s'agissait d'un défi, comme le défunt souverain l'a lui-même qualifié dans son livre éponyme. - Vous pensez que l'implication personnelle de SM le Roi a été décisive dans la gestion de la pandémie, que serait-il passé si elle a été laissée aux mains de l'Exécutif, dans quelle mesure ça aurait été dramatique (comme vous le citez dans la page 11) ? - Sa Majesté le Roi a toujours été très vigilant à la stricte application de Ses prérogatives constitutionnelles, à la fois dans l'esprit comme dans la lettre. Lors du déclenchement de la pandémie, il aurait pu déclencher l'état d'urgence, mais c'est l'état d'urgence sanitaire qui fut acté. Le Souverain a été parfaitement dans Son rôle, assurant le Régalien et l'impulsion issue de sa vision de la gestion de la crise. Le principe de précaution maximum, avec un confinement long au début de la pandémie, en a fait partie, tout comme l'insertion dans les phases de test du vaccin chinois. Certains ont critiqué ces décisions, mais en serions-nous là où nous sommes aujourd'hui, avec un taux d'incidence parmi les plus faibles et une campagne vaccinale menée tambour battant, si ces décisions difficiles n'avaient pas été prises ? - Selon certains experts et politologues, la pandémie impose un retour de l'Etat-Providence après des décennies de néolibéralisme à outrance, quelle est votre lecture de cette hypothèse ? - Il est encore trop tôt pour tirer des conclusions définitives. Ce qui est sûr, c'est que la surexploitation des ressources et la rupture de la barrière entre l'homme et l'animal ont favorisé l'arrivée de la pandémie. Nous devrons donc tous changer de modèle pour poursuivre une stratégie économique plus respectueuse de l'environnement, moins gourmande en ressources, et surtout plus équitable dans la redistribution des richesses. On peut lui donner l'étiquette que l'on veut, mais, in fine, elle devra tout simplement être plus...humaine. - Vos lignes décrivent le Maroc comme « Etat nation millénaire, la plus ancienne monarchie régnante au monde ». Pensez-vous qu'on a assez conscience de notre enracinement historique au Maroc et de sa valeur ? - Pas toujours. Et pas toujours pour les bonnes raisons. Être une nation millénaire avec un modèle particulier de coexistence culturelle, religieuse, ainsi qu'une monarchie ancienne et légitime liée par un pacte avec le peuple est une immense responsabilité avant d'être un avantage. Le Maroc intrigue, étonne, déçoit parfois, mais il ne laisse personne indifférent. - Vous avez loué le rôle de l'appareil administratif marocain dans la gestion de la crise, pourtant, vous pensez qu'elle doit être réformée, pouvez-vous nous en dire davantage sur ce volet ? - L'administration marocaine a souvent « bon dos » lorsqu'il s'agit de pointer du doigt les dysfonctionnements qui entravent la marche en avant du pays. Lors de la crise, elle a prouvé qu'elle pouvait être agile, humaine et très impliquée. Mais cela tient en partie aux circonstances exceptionnelles qui ont galvanisé ce corps très particulier et très centralisé. Réformer pour réformer ne sert pas à grand-chose. Il faudrait, à mon sens, construire sur le souffle qui s'est mis en place durant la pandémie... - Faut-il s'éloigner du modèle français de l'Administration, dont le Maroc s'est inspiré et qui souffre d'une « maladie procédurière », que vous citez dans votre livre ? Pouvez-vous nous expliquer votre idée ? - Je ne sais pas. Je constate juste que le Maroc est très jacobin et centralisateur et que l'administration du Royaume souffre autant que le citoyen des dérives procédurières et de l'empilement de procédures souvent autant opaques qu'inutiles. Le millefeuille administratif, selon moi, gagnerait à être simplifié, avec l'introduction du contrôle a posteriori.
« Je constate juste que le Maroc est très jacobin et centralisateur et que l'administration du Royaume souffre autant que le citoyen des dérives procédurières ». - Vous évoquez l'agacement des pays européens des prouesses du Maroc, et qui voient de mauvais oeil sa montée en puissance à tous les niveaux, s'agit-il d'un facteur explicatif de l'hostilité manifeste de l'Allemagne et de l'Espagne ?
- Je ne placerais pas les frottements diplomatiques et géopolitiques sur le terrain de la jalousie ou de l'agacement, mais plutôt sur celui du changement de dimension du Maroc, amorcé bien avant la pandémie, avec notamment la politique africaine du Maroc ou le pari « vert » lancés par Sa Majesté le Roi. Je ne trouve pas anormal que des pays partenaires, qui estimaient que nous faisions partie de leur sphère d'influence, soient mécontents de la montée en puissance du Maroc, c'est le contraire qui serait étonnant. Il faut juste leur donner le temps de s'habituer, et nous sommes « condamnés à nous entendre » avec nos partenaires, notamment européens, car la géographie est têtue... - Concernant le Nouveau Modèle de Développement, vous citez que la Commission a pris en compte les recommandations d'une nouvelle génération d'économistes dont Thomas Piketty, ce dernier est pour un revenu universel, est-ce réalisable au Maroc, compte tenu que cette idée peine à se faire accepter même dans les pays les plus égalitaristes comme la France ? - Le revenu universel ne peut être testé au Maroc pour des raisons très prosaïques d'allocations budgétaires. En revanche, la taxation progressive du capital dormant, une forme d'impôt sur la transmission, ainsi qu'une fiscalité sur les transactions financières, sont autant de mesures prônées par cette nouvelle génération d'économistes qui seraient, à mon sens, pertinentes pour le pays...
Recueillis par Anass MACHLOUKH Décryptage « Le temps du Maroc » ou le récit du sursaut d'un Royaume millénaire
Alors que tout le monde tend à percevoir la pandémie seulement comme une âpre épreuve, qui a saccadé la vie des Marocains, Abdelmalek Alaoui y voit une chance que la providence a accordée au Royaume pour s'élancer dans un élan inédit de développement et d'émergence économique. En 355 pages passionnantes, l'auteur raconte, en fin observateur, proche des cercles de prise de décision, comment le Maroc, sous le commandement de SM le Roi, a pu, par une gestion contre-intuitive, faire face à la crise du Covid-19, grâce à une série de réformes contracycliques (Fonds Covid-19, Fonds Mohamed VI, plan de relance, sécurité sociale universelle, réforme du secteur public, etc.). L'auteur nous donne une idée sur la psychologie ayant présidé à la lutte contre le virus, assimilée à une bataille, où SM le Roi, en grand lecteur du célère stratège Sun Tzu, a appliqué à la lettre la maxime du philosophe chinois : «Attaque ton ennemi quand il n'est pas préparé, apparais quand tu n'es pas attendu ». Avec un récit circonstancié, M. Alaoui nous plonge dans les coulisses de la gestion de la pandémie, évoquant, parfois avec des anecdotes et des confidences inédites, le déroulement des réunions entre SM le Roi et les responsables du pays. Aussi, l'auteur dissèque t-il l'ambiance tendue ayant régné au sein de l'Exécutif et les défis qu'ont rencontré les ministres dans leur mission. Révélatrice des « forces sous-estimées du Maroc », la Covid-19 nous place dans une nouvelle ère de prospérité, un message que tâche de transmettre le livre qui dit que le temps du Maroc a sonné, pourvu que le Royaume se débarrasse de ses vieux démons tels que la corruption, le conservatisme parfois désuet et les intrigues florentines qui tuent l'entreprise individuelle, motrice de la société moderne. En plus de ça, en fin connaisseur de la vie politique, Abdelmalek Alaoui revient sur les moments forts de la reprise des relations avec Israël des relations avec Israël en racontant les détails des négociations entre les parties concernées, tout en dévoilant des détails inédits. En plus de ça, l'auteur nous plonge dans des zones inexplorées des relations maroco-françaises, en donnant un aperçu sur la perception du Maroc par les dirigeants français dont l'actuel président Emmanuel Macron qui, selon le livre, voit le Royaume comme une puissance montante au Maghreb. Les pages du livre sont pleines de confidences sur les relations entre les Rois du Maroc et les chefs d'Etat français dont Jacques Chirac, François Mitterand, Nicolas Sarkozy et Valéry Giscard d'Estaing.