HAKIM ARIF Certains titres de la presse nationale ont même tiré dans le sens contraire. A tel point dailleurs que nous avons aujourdhui des publications qui périssent, dautres qui se perdent dans des combats personnels aussi inutiles que nocifs et dautres encore qui se retrouvent devant les juges parce quelles nont tout simplement pas respecté la première de leurs obligations, payer les créanciers à temps. Exemple : les fondateurs du Journal sont aujourdhui poursuivis non pas pour avoir diffamé ou publié de fausses informations. Leur affaire est plus banale que cela. Ils ont tout simplement contrevenu à la loi sur les entreprises. Eh oui, on a tendance à loublier, lentreprise de presse est une entreprise comme les autres. Elle a des obligations légales et sociales. En plus, bien entendu, des obligations économiques. Pour les publications qui respectent la loi, cette situation introduit un biais au bon jeu de la concurrence puisque les entreprises de presse qui paient leur dû se retrouvent avec moins de ressources financières que celles qui nen font rien. Cest déjà un grand handicap. Toutefois, on peut raisonnablement penser que les «hors-la-loi» tomberont un jour ou lautre dans le gouffre puisquils sapent ce faisant leur crédibilité. Comment convaincre alors les lecteurs et les citoyens de la justesse des critiques quand on est soi-même coupable de plusieurs manquements légaux ? Difficile en effet. Dans leur évolution mouvementée, certaines publications ont pu avoir le dernier mot chaque fois quelles étaient confrontées à des tiers, justement parce quelles étaient légalement irréprochables. Elles peuvent ainsi parler déontologie, démocratie, éthique des affaires sans rougir et sans craindre le retour du balancier. Le pire dans cette histoire est que ce sont, la plupart du temps, les publications les moins respectueuses des réglementations qui critiquent le plus. Nous sommes en loccurrence plus proches de stratégies business que de stratégies éditoriales pures. Les promoteurs de ce genre de publication ont profité dune rente. Parfaitement, une rente. En faisant tout un tapage sur les droits de lHomme et en critiquant souvent les décisions royales, elles se présentent sous le faux habit de victimes dun «régime liberticide», ce qui leur ouvre les portes et le porte-monnaie dONG internationales souvent hostiles au Maroc. Cest un jeu dans lequel, ce qui est recherché nest pas linformation du citoyen, mais le rapprochement avec les «décideurs des droits de lHomme» à léchelle mondiale. Il faut dire quen face, le gouvernement, censé faire respecter la loi à travers le ministère de la Justice, a pendant longtemps laissé faire. Si la loi est faite, cest évidemment pour être respectée. Or, on lit de plus en plus souvent des commentaires qui portent atteinte directement à la personne du roi. Et nous savons que des publications avaient été condamnées pour beaucoup moins que cela. Doù lincompréhension du public, mais aussi des professionnels de la presse. Y a-t-il des protégés, des intouchables ? Si oui, qui leur donne cette protection ? Quon soit clair à ce niveau. Notre objectif nest pas de pousser à la chasse aux sorcières. Il faudrait plutôt clarifier le jeu et quon sache à quoi sen tenir. De plus en plus de citoyens savent que des chroniqueurs deversent leur haine à travers leurs écrits alors que du temps de ce queux-mêmes appellent aujourdhui les années de plomb, ils étaient du «bon côté». Ils espéraient à lépoque accéder à des postes «mérités» pour les services quils avaient rendus à lEtat. Comme lEtat ne leur a pas accordé la moindre importance, ils se sont retournés contre lui. Leur ressentiment daujourdhui est humain certes, sauf que celui qui ne peut le dépasser ne doit pas faire du journalisme. Cest un métier où on doit tout de même laisser de côté ses propres sentiments. Depuis lavènement de Mohammed VI, il y a eu un grand changement. Cest une réalité. Il y a eu également, cela aussi est une réalité, des tentatives de retour à la situation ante, et cest ce qui explique tout ce remue-ménage dans la profession. Dix années après ce fourmillement, il est temps de changer. Et cest heureux que des partis politiques pensent à organiser le dialogue national de la communication. Un débat utile qui devra aussi clarifier le rôle de chaque intervenant. Dans ce dossier, nous avons donné la parole à des professionnels qui marquent par leurs actions lévolution du monde de la presse. Nous aurions aimé aussi présenter le point de vue du ministère de la Communication que nous avons contacté. En vain. Débat sur le rôle des médias dans la société Vers un Livre blanc Un débat national sur les médias et leur rôle dans la société marocaine est initié actuellement au sein du Parlement par les groupes parlementaires de lIstiqlal, lUSFP et le PAM avec le soutien du PPS, du MP et du RNI. Fatiha Layadi, du PAM, explique les objectifs de cette initiative : «Nous voulons entamer un dialogue profond et serein tout en laissant de côté les petites choses du quotidien. Lobjectif est dassainir la relation entre la société et ses médias et non seulement entre lEtat et les médias. Ce débat sera loccasion de savoir si on veut un Code de la presse pour les cinq prochaines années ou bien un texte pour le long terme, plus ouvert et plus sérieux. Ce quon cherche aujourdhui cest que la presse dialogue avec la société». Les audiences au Parlement sur les médias devront se terminer en avril et déboucher sur un Livre blanc. «Lanarchie règne dans la presse». Noureddine Miftah, Secrétaire général de la Fédération marocaine des éditeurs de journaux (FMEJ). Entretien réalisé par Salaheddine Lemaizi LObservateur du Maroc. Quatre ans après la signature du contrat-programme entre la FMEJ et lEtat, quel bilan en faites-vous ? Noureddine Miftah. Si en 2005, douze entreprises de presse seulement ont pu bénéficier de subventions dans le cadre du contrat avec lEtat, en 2010 se sont 66 bénéficiaires qui recevront des subventions. Sur le plan qualitatif le contrat a permis la mise à niveau des entreprises de presse au vrai sens du terme. Concernant les arriérés de la CNSS, estimés entre 800.000 DH et un million de DH chez certaines entreprises, cette situation a été assainie. On peut affirmer que la mise à niveau a été faite et que le secteur de la presse est lun des plus respectueux de la loi au Maroc. Pourtant, il y aurait encore des entreprises qui ne paieraient même pas la CNSS. Quen dites-vous ? Pour nous, ne pas payer la CNSS ou les impôts, cest du vol. Ceci dit, nous ne sommes pas des inspecteurs des impôts pour vérifier le respect de toutes ces règles. Mais nous constatons que les membres de notre Fédération se conforment aux accords contenus dans le contrat-programme. En général, lentreprise de presse qui bénéficie dune subvention doit engager une mise à niveau, sinon cet argent public naura servi à rien. Le SNPM reproche toujours aux éditeurs de journaux de ne pas respecter les droits sociaux. Que lui répondriez-vous ? Il suffit que le syndicat signale lune ou lautre entreprise membre du FMEJ qui ne respecte pas ses obligations sociales et nous agirons en conséquence. Ce quil faut savoir aussi, cest que le SNPM est notre partenaire. La logique de conflit est inexistante et nous travaillons sur plusieurs dossiers qui dépassent même les volets socio-économiques, pour toucher la réforme du Code de la presse et le grand thème de la liberté dexpression. La presse est-elle une bonne ou une mauvaise affaire ? Cest relatif. Une entreprise de presse comprend deux volets. Le premier est économique où il est question des actionnaires et du profit, et le deuxième concerne le message. Le défi est darriver à concilier entre le message et lentreprise qui porte ce message. La mévente et la diminution des recettes publicitaires menaceraient lexistence même de certains titres. Y aurait-il dautres problèmes cruciaux ? La presse partisane ne vend pas et elle na pas (ou peu) de recettes publicitaires. Mais elle na pas disparu. Si cette presse était dans une logique de marché, la majorité des titres cesserait de paraître. Dailleurs la majorité des problèmes sociaux des journalistes est relevée dans la presse partisane. Autre point qui pose problème, celui du salaire minimum pour les journalistes débutants. A ce sujet, il y a une concession de notre part, mais qui nest pas facile à tenir pour les organes de presse régionaux à faible revenu. Comment jugez-vous lévolution du secteur de la presse au Maroc ? Avec 700 titres, la presse a connu une inflation sans précédent, alors que la taille du lectorat na pas vraiment évolué depuis 20 ans. Cette explosion de titres nest pas naturelle. Certains profitent de léconomie de rente dominante pour avoir de la publicité. Lautre aspect négatif de cette inflation est que certaines personnes qui créent des journaux nont des fois aucun rapport avec le journalisme. Est-ce quil faut donc revoir le régime déclaratif de création de journaux ? Aujourdhui, face à lanarchie qui règne dans le secteur, jose faire une autocritique de certaines de mes positions que javais à ce sujet durant les quinze dernières années. A lépoque de lancien ministre de lIntérieur Driss Basri, on tenait mordicus au régime déclaratif dans la presse pour des raisons de liberté dexpression. Maintenant, je serais davis dimposer plutôt des critères intellectuels pour le lancement dun nouveau titre de presse. Cest ce que demandera dailleurs la FMEJ lors de la reprise des négociations sur le code de la presse. Espérons maintenant que le dialogue national en cours permettra de mettre de lordre dans le monde de la presse. «Protéger socialement le journaliste, cest protéger léthique et la qualité dans le journalisme». Younès Moujahid, secrétaire général du Syndicat national de la presse marocaine (SNPM) LObservateur du Maroc. Quel état des lieux faites-vous quant au respect des droits sociaux dans les entreprises de presse ? Younès Moujahid. Dabord il faut distinguer la presse partisane de la presse privée. Je dis bien «privée» et non pas «indépendante». Cette presse privée se divise elle aussi entre une presse prospère et une autre qui ne lest pas. Donc lhétérogénéité est le trait dominant dans le secteur. Dans la presse partisane, le salaire peut ne pas dépasser les 8000 DH (brut) mais les garanties sociales sont élevées. A contrario, une partie de la presse privée peut se permettre des salaires élevés mais sans réelle protection sociale. Dans quelle mesure les entreprises de presse respectent-elles les droits sociaux de leurs employés ? On note un recul chez plusieurs entreprises de presse marocaine comme les étrangères installées au Maroc. Ainsi, plusieurs membres de la Fédération marocaine des éditeurs de journaux (FMEJ) ne respectent pas leurs engagements sociaux tels les cotisations à la CNSS, le 13e mois ou encore les cotisations à la CIMR. Il y a ceux qui ne respectent même pas les clauses de la convention collective. La procédure de la carte de presse a dévoilé une autre aberration, celle des entreprises qui ne déclarent pas à la CNSS les salaires réels des journalistes. Tout cela est inacceptable. Et que comptez-vous faire devant cette situation ? Nous avons envoyé des lettres à la FMEJ pour signaler les dépassements de certains de ses membres. Dailleurs à loccasion des négociations pour le renouvellement du contrat-programme entre la FMEJ et lEtat, représenté par le ministère de la Communication, nous allons poser bien des questions sur la réalité de lentreprise de presse, ses engagements et son avenir. Une réunion avec la Fédération est prévue prochainement pour traiter de toutes ces questions-là. Le secteur de la presse est en pleine ébullition. Comment préserver les droits des journalistes dans ce contexte ? Linstabilité dans le métier est désormais la règle. Un journaliste peut changer de support plusieurs fois dans lannée. A cela sajoute la précarité. Alors que le Code du travail stipule clairement quun employé doit être titularisé six mois après son embauche, on retrouve des journalistes en période de stage pendant trois ans. Ceci se passe même à la SNRT et à 2M. Ce quignorent certains patrons de presse cest que la protection des droits sociaux des journalistes permet de protéger le journalisme, léthique et la qualité dans notre métier. Journalistes marocains Les précaires de la plume Mouna Izddine La presse. Un métier pourtant considéré comme noble par essence, car lourd de symboles et chargé dattentes : porte-fanion de la liberté dexpression, tribune libre et populaire, celle par laquelle sont lancés les débats, dévoilés les scandales politico-financiers, dénoncées les injustices sociales ou révélées les merveilles de lart et de la culture. La presse, vecteur dinformation, «forgeron» de lopinion publique et, au-delà, pilier indispensable de tout édifice démocratique. On comprend dès lors le qualificatif de «4e pouvoir» (aux côtés des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire) conféré depuis Alexis de Tocqueville à un média capable de faire trembler les plus hautes sphères de gouvernance. Comme en cette mémorable année 1972, où deux journalistes du Washington Post, Carl Bernstein et Bob Woodward, contraindront un certain Richard Nixon à quitter la Maison Blanche en exposant au grand jour le scandale du Watergate Cest dire si au Maroc nous sommes loin de cette image dEpinal, idéal dabnégation et dintégrité. «Les journalistes ne sont plus ce quils étaient. A mon époque, au lendemain de lindépendance, la presse marocaine était un acteur médiatique engagé politiquement, qui ne se contentait pas de critiquer le régime et de bousculer les tabous sociaux, mais se posait également en tant que force de proposition. Aujourdhui, jai limpression que les journalistes, dans leur majorité, caressent les gouvernants et les décideurs dans le sens du poil. Et, pour avoir eu affaire à eux, la plupart travaillent uniquement par téléphone et par e-mail, sans prendre la peine de se déplacer pour couvrir les évènements ou rencontrer les protagonistes de leurs articles. Tout ce qui les intéresse, cest le sensationnalisme et plus celui-ci est vil, plus ils pensent vendre. Ce nest pas du journalisme dinvestigation, cest une presse fainéante et opportuniste, peu soucieuse de la qualité et de la véracité de linformation. Peut-être bien quaprès tout, les journalistes actuels ne sont que le reflet de la jeunesse marocaine daujourdhui : apolitique, sans idéaux et obsédée par le seul gain matériel. «Toute nation na que la presse quelle mérite». Ainsi sexprime Hassan, 60 ans, médecin et ex-militant de gauche. Une «bonne» presse marocaine aurait-elle ainsi existé, avant de perdre tout son lustre dantan ? Probablement, mais il serait grand temps darrêter avec cette nostalgie infertile, comme de briser une autre image, dénigrante celle-là. Le journaliste marocain des années 2000 nest pas celui des sixties ou des seventies. Il nest certes plus aussi «militant» que ses prédécesseurs, pas plus quil ne passe ses nuits à se faire payer des tournées dans les bars des bas fonds de la ville en échange dun papier élogieux sur le dernier des corrupteurs. La donne a changé, tout simplement. La presse partisane pure et dure, autrefois seule chaire contestataire, a cédé la place à une presse indépendante, diverse en contenu et féconde en titres, naviguant entre actualité politique, débats de société, bien-être physique et moral individuel, et soucis collectifs, de la gestion urbaine à la flambée des prix en passant par linsécurité dans les villes. En somme, le reflet dune société marocaine en évolution, blasée certes de la chose politique, mais surfant sur la tendance «cocooning» universelle, de plus en plus quémandeuse de tout ce qui peut contribuer à améliorer son quotidien, sa qualité et son cadre de vie et celui de ses enfants. Dans sa quête didentité et de modèle, prise entre le souci dinformer des lecteurs avertis sans les ennuyer ni se répéter (sachant que nombre de tabous sociaux ont été levés par elle) dans un paysage médiatique de plus en plus concurrentiel (entre nouveaux titres, télés et radios), la presse marocaine «gaffe» parfois. Cumulant les procès pour diffamation. Mais combien de fois peut-elle être véritablement accusée de mauvaise foi ? Beaucoup de journalistes reconnaissent dans ce sens travailler avec une épée de Damoclès au-dessus de leur clavier, sautocensurant de peur de franchir les fameuses «lignes rouges», des limites par ailleurs floues et mouvantes, et de se retrouver du jour au lendemain derrière les barreaux : «Quoi quon en dise, beaucoup de jeunes journalistes dans ce pays ont choisi ce métier par amour, car sil est vrai que le journalisme mène à tout, rares sont parmi nous à être des carriéristes et on ne devient pas riche avec ses écrits dans notre pays» estime un confrère. Malheureusement, ajoute-t-il, «la passion, aussi forte soit-elle, ne suffit pas, quand le retour sur investissement est faible voire nul. Comment voulez-vous faire de linvestigation ou traiter vos sujets en profondeur quand vous êtes dans une rédaction en sous-effectif, quon attend de vous une production industrielle, et que souvent, vous êtes dépourvu de la protection sociale la plus basique et quon vous augmente au compte-gouttes ? Pire, que vous risquez la prison pour vos opinions !». Comment espérer en effet que dans ces conditions de travail, les journalistes marocains se consacrent pleinement et honnêtement à une profession que daucuns dénomment à juste titre «Mihnat Al Mataâib» (littéralement «Le métier des galères»): «Plusieurs journalistes ont peur, ils préfèrent gagner un salaire sans protection plutôt que dêtre virés. Cependant cette attitude est fausse. Si un journaliste est dans son droit et qu'il poursuit l'organe de presse devant un tribunal, il aura gain de cause. Personne ne vient chez nous, donc on ne peut pas nous accuser de ne pas défendre les journalistes. Lavenir de la presse dans linternational se dessine vers moins de protection sociale, plus de stagiaires, plus de sous-traitance, plus de free-lance. C'est pour ça que le syndicalisme et la solidarité dans notre métier savèrent plus que jamais nécessaires», commente à ce sujet le président du Syndicat national de la presse marocaine (SNPM), Younès Moujahid. Précarité et déficit dimage sont en somme les deux grands maux dont souffre la profession de journaliste au Maroc. Mais ne serait-il pas justement plus judicieux daccompagner cette presse indépendante balbutiante dans son cheminement vers la maturité par un cadre législatif clair et strict, en sanctionnant les auteurs dinfraction à la loi du travail et en octroyant aux journalistes un statut social décent, plutôt que de sabattre sur elle par des procès-fleuves et des amendes exorbitantes ? «Je ne mattends à rien des parlementaire» Rachid Niny, directeur de publication dAl Massae. LObservateur du Maroc. On vous présente comme un modèle de success story dans la presse au Maroc. La presse est-elle une bonne affaire ? Rachid Niny. La réponse à cette question dépend de la stratégie et des missions choisies par les responsables de lorgane de presse. Ainsi, la réponse diffèrera selon quil sagisse dun journal à vocation commerciale ou rédactionnelle, ou dun journal qui se veut au service dun lobby politique ou économique. La presse est une aventure qui nécessite, en plus de la déontologie, du professionnalisme et dun capital matériel, un autre capital tout aussi important qui est celui de lindépendance. A cela sajoute, bien sûr, la crédibilité. Ces deux éléments permettent de durer dans ce métier, une chose que même largent ne permet pas. Lexemple parfait en la matière, cest celui dAl Massae qui, avec un capital de départ dérisoire, qui natteignait même pas les 900.000 DH, a réussi à être rentable dès ses trois premiers mois de parution. Et dès la première année, il est devenu le premier quotidien de la place. Avez-vous pu concilier entre le développement de vos publications et le respect des droits sociaux de vos journalistes ? Dès le départ, le respect des engagements sociaux était indiscutable. La preuve en est que tous les droits sociaux (CNSS, CIMR, mutuelle et AMO) de tous nos employés sont garantis. Pour les salaires, les journalistes dAl Massae sont parmi les plus choyés du secteur. ?a commence à partir de 7000 DH pour atteindre les 30.000 DH. Vous avez travaillé dans la presse partisane comme dans la presse privée. Laquelle des deux respecte le plus les droits de ses employés ? Il est difficile de généraliser car dans notre secteur il y a de tout. Reste que la presse partisane est lune des presses les plus arriérées au Maroc et qui respecte le moins le code du travail. Al Bayane, Al Alam ou Al Ittihad Al Ichtiraki par exemple ont des problèmes avec leurs journalistes, tels les retards dans le paiement des salaires ou labsence de couverture CNSS. Et cest là tout le paradoxe. Alors que les partis qui éditent ces journaux se présentent comme des défenseurs du peuple, ils ne respectent même pas leurs propres employés. Cela montre à quel point les partis sont hypocrites et quils nous servent un discours queux mêmes nappliquent pas. La dernière trouvaille de ces partis cest quils veulent nous donner des leçons et nous trouver des solutions pour notre secteur. Vous faites allusion au débat initié par les groupes parlementaires de lIstiqlal, lUSFP et le PAM avec le soutien du PPS, du MP et du RNI qui commence ce jeudi ? Absolument. Les principaux problèmes de la presse au Maroc concernent leur presse, la presse partisane. Le ministre de la Communication nous fait la morale alors que les journaux de son parti vivent des problèmes énormes et ils sont toujours en grève. ? votre avis, ce débat national sur le rôle et l'avenir des médias dans la société marocaine ne sert donc à rien ? Je ne mattends à rien de la part délus qui ne sont même pas présents lors du vote des lois importantes pour la vie des Marocains comme la loi des finances ou le code de la presse. Ils ne sont pas disponibles pour trouver des solutions pour le secteur qui nous concerne. Le grand problème ce sont nos parlementaires. Ils devraient organiser une journée pour trouver des solutions à leur absentéisme et à celui des ministres. Après, ils pourront discuter de létat de la presse. Vous avez bénéficié de la subvention prévue dans le contrat-programme entre lEtat et les éditeurs, mais vous continuez à être insatisfait Vu les impôts quon paie et les charges (papier, imprimerie et distribution), la subvention ne représente rien. Au lieu de nous donner de largent, il suffit que lEtat nous réserve un traitement qui prenne en considération les spécificités de notre secteur, comme cest le cas à létranger. La presse nest pas comparable aux autres secteurs de léconomie. Nous ne vendons pas une vulgaire marchandise. Les journaux forment lopinion publique et contribuent à informer et à cultiver les gens. Donc, le taux dimpôt doit prendre en considération ces particularités. La semaine dernière, vous avez cédé le quotidien Le Soir échos et le magazine Nejma. Votre stratégie de développement na donc pas été concluante ? Il faut savoir que le groupe a connu plusieurs changements dans son tour de table. Des actionnaires lont quitté pour créer leur propre support. Anouzla a créé Al Jarida Al Oula, Bouachrire a fondé Akhbar Al Yaoum [devenu Akhbar Al Yaoum Al Maghribiya après son interdiction] et Samir Chaouki dirige Les Echos quotidiens. Ma vision ainsi que celle des autres actionnaires, cest de se focaliser sur Al Massae qui est la locomotive. Il y aura des parutions, mais qui seront des dérivés du quotidien en format magazine avec des thèmes. Pour les projets quon a créés, ils ne sont pas perdus, ils continuent à exister. «Le processus initié par le contrat-programme reste perfectible». Abdelouahhab Errami, Professeur à lInstitut supérieur de l'information et de la communication (ISIC) LObservateur du Maroc. Le secteur de la presse marocaine est passé dune domination de la presse partisane à une presse «privée» ou «indépendante». Quelles sont les différences entre ces deux presses sur le plan de la gestion ? Abdelouahhab Errami. La presse non partisane dite «indépendante» met, elle, plutôt laccent sur le rendement, lequel doit se justifier en définitive par davantage de ventes. Pour les partis politiques, la presse est le moyen le plus sûr de consolider les rangs des militants et maintenir vivace lidéologie partisane tout en la faisant partager avec les citoyens en vue de sassurer leur enrôlement idéologique. Dès lors, la gestion de la presse des partis est de type familial, paternaliste et qui plus est, consacre limmobilité des journalistes, tandis que le mode de gestion dans la presse indépendante est de type entrepreneurial, enclin à embaucher des journalistes que seul le professionnalisme peut gratifier aux yeux de leurs patrons. En 2005, le ministère de la Communication et la FMEJ ont signé un contrat-programme, quel bilan peut-on en faire, quatre après ? La mise à niveau a-t-elle été réalisée ? Le bilan est mitigé. Je pense, par ailleurs, que le processus initié par le contrat-programme reste perfectible, en ce sens que laide de lEtat à la presse est tributaire de la mise à niveau des organes de presse qui doivent, conséquemment selon les termes du contrat, accéder au statut dentreprise. Je pense, dautre part, que laspect le plus critiquable dans le processus de mise à niveau des entreprises de presse au Maroc concerne le recrutement de journalistes professionnels ainsi que lélaboration, à leur profit, dun programme de formation à court et moyen termes. La convention collective signée entre le ministère de la Communication, la FMEJ et le SNPM, a-t-elle permis daméliorer les conditions matérielles des journalistes marocains ? Les salaires des journalistes de la presse écrite au Maroc ont connu une nette amélioration ces dernières années, mais de manière inégale entre, dune part, la presse des partis politiques et la presse indépendante et, dautre part, entre les organes arabophones et francophones. En somme, la répartition de la plus-value, quand elle existe, profite moins aux journalistes quaux patrons. Ceci sape la confiance entre les deux parties. Pour y remédier, il faut instaurer un climat de confiance dans les entreprises de presse et rationaliser la masse salariale. Cela signifie quil devient maintenant impératif dopter pour une vraie démocratie des salaires qui mette en avant une méritocratie évaluable, reposant sur des critères objectifs de rendement. Le journaliste marocain - tous médias confondus - souffre-t-il de précarité? La précarité existe. Elle est liée aux contingences du métier. Des journalistes préfèrent parfois exercer, sans prétentions salariales majeures, dans un organe stable, pérenne et moins regardant sur la qualité des produits que dans un autre très exigeant au plan éditorial mais qui court le danger de disparaître sans préavis pour une raison ou une autre. Quelles sont vos attentes par rapport au débat lancé ce jeudi à Rabat au sujet des médias au Maroc ? Mes attentes pour les médias marocains en général peuvent se résumer en plus de professionnalisme, plus dadhésion à la déontologie, plus de liberté et de moyens de travail et, bien entendu, plus de facilité daccès à linformation.