Le communiqué, un précédent du genre, signé par le médecin personnel du chef de l'Etat rassure l'opinion publique sur l'état de santé de Mohammed VI tout en apportant des éclaircissements détaillés sur la nature du virus et les jours de repos nécessaire au rétablissement du souverain. Le temps d'une longue nuit ramadanesque, les téléphones portables chauffent et les interrogations fusent. Et puis tout rentre dans l'ordre. La sérénité et la clarté du communiqué officiel coupent court à toutes les spéculations Pas tout à fait. Certains titres de la presse nationale ne se contentent pas des précisions apportées par le palais et poussent le zèle un peu loin. Le sujet, pourtant extrêmement sensible, est l'occasion pour certaines plumes de se livrer à toutes les lectures possibles et imaginables, même les plus fantaisistes et parfois les plus alarmistes. La santé d'un chef d'Etat est certes du domaine public. La monarchie marocaine en a aujourd'hui conscience et c'est pour cela qu'elle n'a pas tardé à informer directement le peuple marocain dans la transparence la plus totale. La presse est donc libre de reprendre et de diffuser l'information en la commentant et en l'expliquant, mais de là à verser dans des conjectures et dans des rumeurs infondées, il y a une ligne rouge que ni l'éthique ni la déontologie n'approuvent. D'autant plus qu'une certaine presse est vite allée en besogne en parlant de changement à la tête de l'Etat, de succession et de maladie grave, chronique et incurable. Le tout basé sur des «sources concordantes» imaginaires et des sites web étrangers connus pour leurs liens avec des intérêts hostiles au pays. Aujourd'hui, alors que plusieurs de nos confrères vont devoir s'expliquer devant la justice pour n'avoir pas pu ou n'avoir pas su respecter la déontologie de la profession, ce qui est regrettable, nous sommes donc en mesure de nous poser la question de savoir de quelle presse avons-nous besoin en ce moment. Peut-on au nom de la liberté totale jouer aux voyeurs et manipuler sans précaution et parfois avec beaucoup de mauvaise foi des informations sensibles pour la stabilité du pays ? Si le recours à la justice demeure une option qui revient très cher parce qu'elle est préjudiciable à l'image du pays et parce qu'elle met également le corps des journalistes en confrontation permanente avec l'Etat, la presse ne peut non plus jouir de plus de liberté que le reste de la société. C'est pourquoi, il est impératif que le journalisme soit pratiqué dans le respect total de la déontologie et en harmonie avec les évolutions de la société et de la situation politique. Spéculations autour de la santé du roi Hakim Arif Noureddine Miftah (Al Ayyam), Idriss Chahatane (Al Michaal) et Ali Anouzla (Jarida al oula) devaient tous fournir des explications au sujet de leurs articles consacrés à la maladie du roi Mohammed VI. Les titres qu'ils avaient choisis ne l'étaient pas sans arrière pensée. "L'énigme de l'annonce, pour la première fois, par le palais d'un malaise de santé dont le souverain a été victime" (Al Ayam) ; "Al Michaâl dévoile les raisons du communiqué du Palais au sujet de la maladie du roi qui a inquiété l'opinion publique" (Al Michaâl). Les directeurs ont été entendus avec les rédacteurs responsables des articles pour ce que le parquet a appelé des faits mensongers et de fausses informations. «La maladie des leaders est une affaire publique, d'autant que le destin des peuples dépend de ces leaders, comme c'est le cas au Maroc.» Larbi Messari, journaliste et ancien ministre de la Communication, estime donc qu'il est important que les citoyens soient au courant de l'état de santé de ceux qui les dirigent. Le Palais ne pense pas autrement. C'est selon ce principe que le ministère de la Maison royale, du protocole et de la chancellerie avait publié le 28 août un communiqué annonçant que le Roi devait être en convalescence durant cinq jours suite à une maladie à rotavirus. Le communiqué portait la signature du médecin personnel du souverain. Publié par l'agence de presse MAP, le communiqué a été repris par tous les médias du Maroc et d'ailleurs. Certains ont reproduit le communiqué tel qu'il avait été rédigé par le Palais, d'autres ont ajouté des vux de rétablissement au souverain et une troisième catégorie a cru avoir trouvé la bonne occasion pour une Une fracassante. Les titres devaient suggérer que le mal était plus grand qu'on le pensait. «Le Roi est malade» titre un quotidien arabophone. Dès le titre, le mal est fait. Alors que le communiqué du Palais était très rassurant, étant lancé sur la convalescence avant de parler de la maladie, un autre quotidien arabophone a suggéré que le roi était plus gravement malade encore. Les journalistes ont découvert d'autres maladies secrètes grâce à des sources anonymes. Le Palais ne pouvait pas rester les bras croisés. La santé du roi est une affaire publique, certes, mais il ne faudrait pas qu'elle fasse l'objet de surenchères. Le directeur de publication d'Al Jarida Al Oula a été convoqué par la police judiciaire pour enquête. Les enquêteurs ont voulu connaître quelles étaient ses «sources». Ou bien s'agissait-il tout banalement d'un mensonge comme ceux dont sont coupables pas mal de journalistes lorsqu'ils parlent de «sources ayant requis l'anonymat» ? L'enquête le dira par ailleurs. Deux autres publications ont emboîté le pas à la première. Leurs responsables ont été convoqués par la PJ à Rabat. Au ministère de la Communication, on évite les commentaires, préférant laisser le mot à la Justice. Contacté par l'Observateur du Maroc, le patron du département, Khalid Naciri, a indiqué qu'il n'avait aucun mot à dire à ce propos et que «les journalistes comparaîtront devant le tribunal, et c'est à la justice que reviendra le dernier mot». Comme certains médias, marocains français et espagnols, ne ratent aucune occasion pour épingler le Maroc en tant que pays liberticide, le ministre Khalid Naciri a tenu à préciser qu'«il n'y a aucun conflit entre la presse responsable et les milieux officiels». Dans le cas qui nous intéresse, les choses peuvent prendre des dimensions autrement plus alarmantes. Surtout que certains médias marocains, encore soumis à une prétendue suprématie européenne, reprennent et diffusent tout ce qui se dit dans les journaux européens, sans discernement. Un journal espagnol était allé même très loin au sujet de l'état de santé du souverain, parlant de succession de maladies chroniques notamment. Certains éditeurs marocains, ceux que le ministre de la Communication ne mettrait certainement pas dans la case de la presse responsable, reprennent tout et ne vérifient rien. La Justice les attend au tournant. Faudrait-il en faire une affaire de liberté d'expression ? Le débat est ouvert.