On assiste à un tournant en Iran. Un double tournant plus exactement. Six mois après l'élection présidentielle contestée de Mahmoud Ahmadinejad en juin, des dissensions apparaissent tant au sein de l'opposition que des tenants du régime. La semaine passée, les étudiants sont descendus en nombre dans la rue, de Téhéran à Machhad la ville sainte de l'est, d'Ispahan à Yazd, cité tranquille et conservatrice au sud-est du pays. Pour la première fois, ce n'était plus seulement l'élection d'Ahmadinejad qui était mise en cause mais la nature du régime théocratique. «Ton temps est terminé» criaient certains manifestants à l'adresse de l'ayatollah Ali Khamenei, guide suprême de la révolution. Et dans les rues proches des universités, certains déployaient des drapeaux verts, blancs et oranges aux couleurs de l'Iran, mais dont le nom d'Allah, inscrit depuis la révolution islamique de 1979, avait disparu. Sacrilège ! C'est un tournant dans la contestation non-violente dont les étudiants sont les chefs de file. Or, un Iranien sur 20 est aujourd'hui à l'université et elles ont toujours été le ferment des luttes politiques du pays. Pour les leaders de l'opposition, Mir Hussein Moussavi et Mehdi Karoubi, la situation est délicate. Les deux anciens candidats à la présidentielle se battent parce qu'ils contestent le résultat de l'élection. Mais, au moins officiellement, ils ne vont pas au-delà, refusant de fournir des prétextes aux durs du pouvoir qui rêvent de leur arrestation. Ils ne peuvent pas, non plus, se couper des contestataires qui les soutiennent. La question est «désormais la nature du pouvoir qui nous gouverne», notait début décembre, un communiqué de Mir Hossein Moussavi. Les responsables iraniens ont senti le danger. Mais eux aussi sont divisés. Certains, réalistes, tels l'ayatollah Nasser Makarem Shirazi, estiment qu'il est nécessaire «de s'asseoir et de dialoguer» avec les opposants. Un avis partagé par Ali Akbar Rafsandjani, fondateur de la république islamique, ancien Premier ministre conservateur et homme d'affaires richissime, qui espère encore jouer un rôle. «Certains conservateurs pensent que le vote du peuple est juste un affichage» a-t-il constaté. Ce courant est minoritaire. L'aile ultra du régime, s'appuyant sur les gardiens de la révolution et les milices populaires, les bassidjis, estime qu'il faut briser la contestation avant qu'il ne soit trop tard. Ils soutiennent Ahmadinejad qui est un des leurs. La chute du régime sonnerait leur disparition. Aussi, nombre de témoins affirment que la semaine passée, la police fut plus violente qu'elle ne l'avait jamais été, frappant les étudiants avec des chaînes et arrêtant plusieurs centaines de jeunes à travers tout le pays. Depuis l'été, la répression a fait plusieurs dizaines de morts, 4000 Iraniens ont été arrêtés et cinq ont été condamnés à mort. Parallèlement, l'ayatollah Khamenei est sorti de sa réserve - et de son rôle d'arbitre - en menaçant indirectement les chefs de l'opposition. «Je ne crois pas aux purges mais certains insistent pour s'écarter et ont transformé une querelle de famille en combat contre le régime», a-t-il déclaré sans donner de nom. La crainte des autorités ? Que la célébration du deuil chiite, Moharram, en décembre, soit l'occasion de nouvelles manifestations qui consacreront à chaque fois un peu plus la coupure entre les Iraniens et leurs ayatollahs.