Ce qui a commencé par un simple hashtag sur les réseaux sociaux, s'est vite transformé en un débat social sur l'institution du mariage, le poids des traditions, les raisons d'un célibat forcé et surtout sur les positions récalcitrantes des jeunes femmes et de leurs familles face aux mutations sociales. Lancé par de jeunes libanaises pour encourager les hommes au mariage, le mouvement anti-dot tente, selon ses initiatrices, d'éliminer « le plus important obstacle empêchant les jeunes hommes à se marier à savoir le montant exorbitant des dots imposées aux nouveaux prétendants ». Pour et contre Viral, le mouvement s'est vite frayé un chemin sur les réseaux sociaux pour susciter engouement et refus dans d'autres pays arabes mais aussi au Maroc. « Je trouve que c'est une bonne initiative. La dot ne doit pas forcément être faramineuse pour dire la valeur de la mariée. Elle peut même être symbolique pour démarrer du bon pied pour un jeune couple désireux de construire un avenir à deux », commente Sara Benyazzi, sur un groupe de rencontre et de mariage sur Facebook. Approuvant les propos de la jeune femme, Adil Rouiti, est du même avis. « Le prophète lui-même a d'ailleurs dit que la mariée qui a la dot la moins chère, est toujours la plus valeureuse. La dot est devenue un moyen pour refouler les prétendants ou d'en tirer profit au maximum. Or le mariage est une relation d'amour et de complémentarité et non pas de commerce et de gain », s'insurge le jeune homme. Un argumentaire qui ne convainque guère les détracteurs du mouvement. « Si tu parle de préceptes islamiques, il faut savoir que la dot est imposée à l'époux et qu'il doit s'en acquitter pour que le mariage soit béni et valable. Sinon le mariage n'est pas en règle », répond Aissam Mounadi. Une réponse partagée par Soraya Jamali qui estime « que cette campagne est une insulte et une humiliation à la gent féminine. Je préfère rester sans mariage que de m'offrir de cette manière dégradante à un homme incapable de m'estimer à ma juste valeur », soutient l'internaute révoltée. La dot de la discorde Des pour et des contre et des positions antinomiques par rapport à l'une des questions les plus délicates pour les jeunes couples désireux de convoler en justes noces. « La dot et autres cadeaux, la fête du mariage, le choix du traiteur et de la neggafa... ce sont des détails demandant un grand investissement financier de la part des mariés et qui deviennent parfois source de conflit voire de profonds problèmes, s'il n'y a pas consentement mutuel. Ces problèmes sont parfois trainés jusqu'à après le mariage en empoisonnant la jeune relation et ceci dès le départ », nous explique Maria Bichra, une love coach qui est en contact direct avec les problèmes de couple. « Je soutiens vivement ce mouvement car beaucoup de jeunes gens n'ayant pas les moyens se trouvent bloqués à cause des exigences exagérées de la future mariée ou de sa famille. Ceci dit j'estime que la dot est une liberté et ne doit pas être éliminée. Elle peut être revue à la baisse voire être symbolique mais on peut la maintenir pour sa signification et son référentiel religieux », ajoute la coach. Citant le prophète, elle rappelle que les mariages les plus bénis sont ceux contractés avec les dots les plus modiques. « Dans notre société, la dot en soi n'est pas le seul problème. Les jeunes sont confrontés à des exigences et des surenchères lorsqu'il s'agit d'offrir des cadeaux à la mariée, d'organiser la fête avec la nécessité de faire mieux que la voisine ou la cousine », décrit Bichra. « La grande anomalie reste de lier la valeur de la jeune mariée au montant de la dot et aux cadeaux offerts », analyse Bichra. « Vendue » au plus offrant... devient ainsi le fondement d'une institution qui devrait être basée sur l'amour, la tendresse et la complémentarité, comme le soutient la coach. Poids de la tradition Une mentalité récalcitrante et des idées tenaces issues de traditions toujours aussi résistantes malgré les mutations sociales et l'émancipation des femmes marocaines. « La dot et l'association de son montant à la valeur de la mariée est l'une des croyances enracinées de notre société. C'est assez habituel de voire une jeune femme moderne et émancipé, s'accrocher à l'exigence d'un montant faramineux comme dot lorsqu'il s'agit de mariage », note la coach. D'après cette dernière, pour oser affronter sa famille et soutenir le regard social en acceptant une dot modique, « la jeune femme doit être assez courageuse et assumer son choix de vie face à la famille et à la société. La stigmatisation est toujours là et le couple se doit de prouver que ni le montant de la dot n'est l'exubérance de la réception offerte ne sont garants d'un mariage heureux », ajoute Maria Bichra. Des conditions limitantes et un poids social assez lourds qui poussent beaucoup de jeunes à s'abstenir et à choisir un célibat heureux. Plusieurs rapports internationaux dressent d'ailleurs un portrait plutôt pessimiste de l'institution du mariage au Maroc. Rappelant qu'en 2018, le célibat au royaume a atteint 40% selon l'ONG britannique Family optimize. Ainsi huit millions de Marocaines sont célibataires alors qu'elles ont atteint l'âge du mariage. Un chiffre qui place le Maroc au même niveau que des pays tels que l'Egypte. Aussi d'après une étude sociologique du HCP, l'âge moyen au mariage a énormément reculé entre 1960 et 2010. En cinquante ans, les choses ont bel et bien changé. Les femmes se sont ainsi mariées en moyenne à 26,6 ans en 2010, soit 9,3 ans plus tard qu'en 1960. L'évolution du niveau d'instruction, la durée plus importante des hautes études, l'émancipation des femmes, la forte introduction sur le marché du travail et l'indépendance financière des femmes actives sont autant d'explications pour ce « retard marital ». Toujours d'après cette étude, les hommes marocains convolent en justes noces, en moyenne, à 32 ans contre 22 ans en 1960. Un décalage que le sociologue Khalid Hanefioui explique par plusieurs facteurs économiques, sociaux et psychologiques. Selon le spécialiste, la pauvreté est un véritable frein pour le mariage d'un bon nombre de jeunes. « Surtout, si l'on considère le coût économique et psychique du Mariage avec ses grandes nécessités tels que l'emploi, le logement, les charges quotidiennes, le niveau de vie de plus en plus cher et le coût de l'éducation des enfants», argumente le sociologue qui décrit une situation socio-économique nullement encourageante pour les jeunes qu'ils soient hommes ou femmes. Célibat croissant Un rapport du Haut-commissariat au Plan (publié en 2019), intitulé « Population et développement au Maroc », révèle également que l'âge du mariage dans la société marocaine a considérablement changé en passant à 31,9 ans pour les hommes et à 25,5 ans pour les femmes en montrant une nette tendance des Marocains à retarder le mariage. L'un des changements significatifs soulevés par ce rapport : Le phénomène croissant du célibat dans la communauté où 35% des femmes marocaines n'ont jamais été mariées, dont 24% entre 30 et 34 ans et 11% ont entre 45 et 49 ans. « Le mariage reste encore largement considéré comme une valeur religieuse et sociale de référence », note toutefois Maria Bichra qui confirme ce constat avec beaucoup de conviction au détriment des chiffres avancés par le HCP. « L'abstinence et le choix du célibat ne sont que le résultat de toute cette pression sociale et familiale sur les jeunes couples. Rien que cet été, j'étais témoin de l'annulation de quatre mariages à la dernière minute à cause des exigences d'ordre matériel à ne pas en finir des familles. N'oublions pas l'essentiel dans un mariage ! La dot et les détails financiers ne sont pas la base du bonheur, il ne faut surtout pas l'oublier ! » conclut la coach.