Que ça soit dans les tribunaux ou sur les réseaux sociaux, le couple marocain semble battre de l'aile. Au-delà des problèmes familiaux classiques, l'argent revient comme un maudit leitmotiv. Le point avec une coach de couple.
Entretien réalisé par Hayat Kamal Idrissi
* A en croire les chiffres du divorce ou le nombre phénoménal de problèmes postés sur les groupes privés des réseaux sociaux, le couple marocain serait en train de vivre une crise... Oui en effet, en considérant le taux de divorce qui augmente d'une manière exponentielle d'année en année, c'est inévitable de ne pas s'en inquiéter. Le phénomène menace la pérennité même de la structure familiale. D'après mon expérience de 11 ans d'accompagnement des couples en tant que coach, la première des causes de ce phénomène reste l'infidélité, puis il y a les conflits constants. Les couples marocains se sont habitués à régler leurs problèmes d'une manière plutôt « conflictuelle ». Ceci au lieu de communiquer, d'agir en équipe et de trouver des solutions à tête froide pour le bien être de la relation. Pendant les conflits, ce sont les égos qui sont mis en avant au lieu de s'ouvrir à l'autre et de communiquer d'où un véritable problème d'écoute et de compréhension. Chacun cherche plutôt à imposer sa loi et ses idées sans être sensible aux besoins de l'autre. Autre cause, le manque de l'intimité émotionnelle, de ce temps et de cette liberté de s'exprimer dans le couple. Les abus physiques et verbaux figurent également parmi les raisons premières de séparation. En général dans le couple marocain, le schéma dominé/dominant l'emporte largement sur la relation équilibrée et saine. Autre raison qui mine le bien être du couple, les addictions et les dépendances de toutes sortes : Alcool, drogues, jeu, sexe... que ça soit pour les hommes ou pour les femmes. Les problèmes d'argent au sein du couple sont aussi une source de séparation et de divorce. L'argent c'est le nerf de guerre mais on n'ose pas en parler avant le mariage et au départ. « Les mariages de raison » trébuchent souvent à cause des désillusions mais surtout des incompatibilités.
* L'argent revient comme un leitmotiv lorsqu'on évoque les causes de déchirement du couple marocain moderne. D'après votre expérience, pourquoi au juste ? En effet, l'argent revient et très souvent, même si ce n'est pas la première raison de conflit ou de divorce. Pourquoi ? Justement parce qu'on n'en a pas discuté au début, car c'est en quelques sorte une question tabou. Le mariage c'est comme créer une entreprise, il y a un capital affectif, un capital émotionnel mais aussi un capital financier. C'est un projet de vie et une structure familiale qu'on va construire à deux et elle a besoin de fonds pour rouler. On doit l'on discuter en avance pour pouvoir s'organiser. D'après mon expérience, les couples qui font cet effort en avance, rencontrent beaucoup moins de problèmes par la suite dans la gestion de leur vie commune. Ceci dit, au Maroc, on arrive au mariage en ramenant avec nous une culture ancestrale, héritée de nos grands-mères et nos grands-pères. Un schéma traditionnel où la femme, en général, s'occupait de la maison en bonne ménagère et l'homme, père pourvoyeur, sortait travailler pour ramener l'argent. Il y avait un équilibre car les rôles étaient bien définis et bien distribués. Aujourd'hui la femme est devenue indépendante financièrement et active professionnellement. Mais elle a conservé cette ancienne mentalité par rapport à l'argent du couple. Ceci malgré les grandes mutations qu'a subi la famille et la société marocaine en général. Un homme est-il capable actuellement de subvenir, seul, à tous les besoins de sa famille et de tout faire au vu du niveau de vie très élevé ? Rares sont les jeunes mariés qui en sont capables. Ceci dit, malgré ses réticences culturelles, la femme met souvent la main à la pâte mais pour des besoins secondaires : Un nouveau salon, des objets de confort, les vêtements des enfants, les loisirs... Pourtant l'homme considère cet apport comme négligeable et pas de première nécessité. Et c'est là que le conflit s'installe et où une organisation bien définie s'impose pour éviter que ça ne leur explose entre les mains. Entant que coach je les encourage à s'assoir à table et à partager clairement les charges et les misions selon leurs convenances. C'est la meilleure manière de régler cette problématique et d'éviter de divorcer alors que la solution est bien là. * La femme marocaine moderne serait-elle victime de son émancipation ? son travail aurait-il symboliquement castré son homme ? Je ne dirais pas que la femme est victime de son émancipation mais plutôt de sa « non adaptation » à la situation actuelle et au changement. La femme est le dynamo de la famille et le pilier du foyer. La marocaine est une femme « 9ada », capable, forte et bien outillée pour se charger de son foyer et mener la barque à bon bord avec son compagnon. Mais, avant elle doit se défaire des idées ancestrales. Si elle contribue à l'équilibre financier de son foyer, c'est tout à son honneur. La femme doit être plutôt fière de ce qu'elle a réalisé et de ce qu'elle peut réaliser avec son mari. Il suffit qu'elle se défait des schémas traditionnels qui lui créée des conflits avec elle-même, pour qu'elle évolue paisiblement sans être tirée sans cesse vers l'arrière. Même constat pour l'homme, qui lui doit évoluer en s'éloignant des bras de fer imposés par le traditionnel schéma dominant/ dominé. Dans un couple moderne, on est une équipe aux rôles bien définis et non pas des adversaires. * Le manque de clarté frôlant l'hypocrisie avant le mariage serait-il l'origine des déceptions et des désillusions post-maritales ? Ce n'est pas de l'hypocrisie mais plutôt l'envie de faire belle impression, d'afficher ses bonnes attentions de fonder un foyer à deux. Dans ce cas de figure, il y a souvent beaucoup de non-dits, de « hchouma », de gêne et de peur de « tout gâcher ». Cependant, plus on met les choses au clair dès le début, plus on est direct et on discute des détails même les plus gênants, moins on est surpris et déçu après le mariage. Certes il y a les émotions, l'amour qui sont à la base de cette union, mais il y a aussi le côté rationnel qui garantira la pérennité de la relation par la suite. Le mariage c'est comme une pièce de monnaie : pile et face. Si un côté n'y est pas, la pièce n'a pas de valeur et ne circulera pas. Alors aimez-vous les uns les autres, mais communiquez, réfléchissez à deux, organisez-vous et distribuez les rôles pour éviter de se retrouver dans les tribunaux ou à entretenir, des années durant, une relation toxique et déprimante.
* L'absence d'éducation et de formation antérieure « au mariage » et l'absence de la culture de « pactes avant l'union » ne représentent-elles pas des raisons plausibles de cette crise de confiance dans le couple marocain ?
Certes il y a un réel besoin d'accompagnement et de coaching relationnel pour les couples marocains surtout avec « le rétrécissement » du rôle de la grande famille. Pour une personne qui veut s'engager dans une relation durable et épanouissante, l'accompagnement peut aider énormément. De part mon métier, j'ai déjà détecté ce grand besoin auprès de beaucoup de couples qui sont mariés ou qui se préparent au mariage. Ils l'expriment d'ailleurs ouvertement. Les jeunes couples manquent de repères, d'orientation, il suffit de bien les aiguiller et de leur proposer les bons outils via des « formations » et des ateliers pour qu'ils trouvent leur chemin. D'ailleurs, l'idée de créer Mariage academy qui sera lancée au mois de mars, m'est venue justement de ce constat. Aider les couples à ressouder leur union et à travailler leurs aptitudes relationnelles pour augmenter ses chances de pérennité. Pour lancer l'académie, j'offre dans un premier temps une formation à cent personnes sous la thématique : Les bases et les piliers d'une relation amoureuse pour bien préparer son projet de mariage.