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Dans le secret des lesbiennes marocaines
Publié dans L'observateur du Maroc le 28 - 01 - 2010

Le conservatisme et le patriarcat apparents n’empêchent pas l’homosexualité féminine d’exister dans une société en pleine (r)évolution. Zoom.
Noura mounib
Si, au moment de l’apparition du Sida à la fin des années 80, un sénateur américain avait déclaré, «God has created Adam and Eve, not Adam and Steve», laissant entendre par là qu’il est anormal de se détourner de la nature du couple tel qu’il a été conçu, certaines personnes sont loin d’être d’accord avec cette «théorie». Pour beaucoup, l’orientation sexuelle fait partie des libertés individuelles. Mais pour tous ceux qui prônent mordicus que la femme est créée pour l’homme et l’homme pour la femme et que toute autre conception de la relation amoureuse est contre-nature, leur avis n’est pas aussi partagé que cela.
Au-delà des clichés, l’homosexualité existe depuis la nuit des temps. «Le phénomène a un passé lointain qui a réussi à survivre malgré plusieurs mutations sociologiques», explique Fouad Belmir, sociologue. Si Abou Nawas, le célèbre poète abbasside sert d’exemple d’homosexuel invétéré depuis cette ère de l’histoire arabo-musulmane, aucune femme n’a pu faire de même. C’est que l’homosexualité féminine n’a jamais eu autant d’intérêt que son pair masculin. Le peu d'attention consacrée à la question est sûrement dû au fait que dans les pays musulmans comme le Maroc, la sexualité des femmes reste toujours taboue. D’ailleurs, on parle très peu de la sexualité des femmes, même quand il ne s’agit que d’hétérosexualité. L’homosexualité des femmes semble moins déranger, car elle ne remet pas en cause l’équilibre de la société basée sur le pouvoir de la domination des hommes sur les femmes. C’est là le propre des sociétés patriarcales. Certains spécialistes estiment qu’il est beaucoup plus facile pour les femmes de cacher leurs préférences sexuelles. Elles peuvent même se marier et avoir des enfants, ce qu’un homme ne peut pas faire. Au Maroc, même son de cloche et même discrétion. Alors que l’homosexualité masculine prend de l’ampleur, que les «adeptes» du romancier Abdellah Taïa (premier marocain à avoir déclaré publiquement son homosexualité) exigent des droits contre la stigmatisation et qu’une association de lutte a même vu le jour sous la férule du jeune Samir Bargachi (Kif Kif), l’homosexualité chez les femmes déjoue la virulence de la société et assoit discrètement ses bases sans susciter la moindre levée de bouclier de la part des conservateurs.
Lesbiennes : Les dessous d’un réseau
Noura mounib
Même si l’homosexualité féminine au Maroc ne date pas d’hier, les nouvelles technologies, la liberté des temps modernes et l’ouverture d’esprit ont permis à la «minorité sexuelle» que forment les lesbiennes de prendre aisément de l’ampleur au fil des décennies. A présent, quand on parle d’homosexuelles, c’est d’un grand réseau qui s’étend sur plusieurs villes du royaume qu’il s’agit. Les maillons les plus en vogue de ce réseau restent Rabat, Casablanca, Marrakech, Agadir et Tanger. Fondé depuis quelques années, ledit réseau attire au fil du temps un nombre de plus en plus important de filles ayant un penchant pour l’homosexualité. «Si vous connaissez The L World, une série américaine qui met en scène un réseau de jeunes lesbiennes, sachez que c’est exactement la même chose qui se passe au Maroc, sauf que cela se fait à la sauce marocaine», confie Najlae, ex-membre active du réseau. La jeune femme, téléopératrice dans un centre d’appels à Casablanca, insiste sur ce que la société marocaine tâche de refouler : une hypocrisie sociale à souhait. Le réseau abrite des centaines de filles homosexuelles de différents âges qui vivent discrètement mais pleinement leur sexualité. Tandis que la notion de fidélité est jetée aux orties, certains hommes jouent parfois le rôle d’entremetteurs entre filles. «Les hommes n’ont pas de place au sein du réseau même si certains s’invitent juste pour arranger des rendez-vous pour leurs amies» explique l’ex-membre du réseau. Par ailleurs, chaque nouvelle lesbienne qui adhère au groupe devrait passer moult épreuves et de nombreux bizutages pour être bonnement accueillie et faire partie de cette petite communauté. Selon Najlae, la réputation de chacune des membres du réseau constitue son capital. Bonne ou mauvaise, c’est à elle de gérer. D’ailleurs, rares sont celles qui ne craquent pas et supportent la course contre la montre que devient leur existence face aux différents conflits et pressions auxquels elles se trouvent parfois confrontées. Mais la devise du groupe n’est autre que l’échangisme. «Essayer toutes les filles du réseau est une règle primordiale pour se forger une place de marque et devenir une des leaders confirmées au sein du groupe», murmure Najlae. «C’est un milieu qui baigne dans l’hypocrisie, le mensonge, l’artifice et la trahison», se désole la jeune femme qui a préféré tourner la page et retrouver une nouvelle existence de peur que ses proches ne découvrent son secret.
La société exerce une véritable pression. Mais elle est à double tranchant. «Le rejet de l’entourage peut être positif, mais peut se révéler aussi négatif», explique Mohcine Benyechou, sexologue. «Le refoulement, ajoute le spécialiste, peut entraîner l’isolement, la dépression, la prostitution, l’éloignement…». Selon son point de vue, cette pression peut aussi engendrer chez la fille comme chez le garçon le besoin de travailler sur lui-même en sollicitant l’aide d’un psychologue pour se sortir d’affaire. «Il nous arrive de recevoir à travers notre ligne téléphonique ‘Allo Info Sida’ des appels de femmes homosexuelles qui sont à la recherche d’un espace de parole et de soutien. Mais cela reste encore très rare», révèle Othomane Mellouk, président de la section de l’Association marocaine de lutte contre le Sida (ALCS) à Marrakech. C’est que la communauté lesbienne au Maroc préfère «s’aimer» dans le noir que de «se faire attaquer»…
Les «Hakkakates» du XXIe siècle
«Je suis une homosexuelle endurcie», se présente Hanane, 29 ans, cadre dans une société de textile à Casablanca. Celle qui n’en est pas à sa première expérience homosexuelle vit avec sa conjointe, une jeune femme de 23 ans, depuis trois années et assume parfaitement ses choix sexuels (même si elle préfère utiliser un pseudonyme). Issue d’une famille on ne peut plus traditionnelle, la jeune femme a dû faire face aux réprimandes de sa mère. Celle-ci avait découvert le secret des deux amies qui faisaient tout pour faire croire qu’elles n’étaient si liées entre elles que par une simple relation amicale. «Ma mère a pleuré toutes les larmes de son corps lorsqu’elle nous a surprises, ma copine et moi, en flagrant délit. Elle m’a rapidement trouvé un mari pour me «repêcher des mains de Satan et me remettre sur le droit chemin», raconte Hanane qui a choisi de s’installer loin de sa famille. «Motus et bouche cousue n’est pas une qualité de ma mère, ironise-t-elle, mais cette fois-ci, elle a fait l’exception en optant pour un silence qui lui rongeait les entrailles de peur du scandale». L’histoire de Hanane prouve que les minorités sexuelles au Maroc ne font plus profil bas comme autrefois. Cet autrefois où les femmes étaient confinées dans les maisons tandis que les hommes se rendaient au travail. C’était une époque plus propice aux relations homosexuelles. Le hammam était ce premier espace de promiscuité entre femmes où la nudité et la lumière tamisée des lieux créaient une ambiance érotique à souhait. «C’était une atmosphère agréable où les femmes se frottaient mutuellement, ce qui les rapprochait davantage» confirme F. Belmir. Celles qu’on appelait «Hakkakates», traduction littérale de «frotteuses», se donnaient notamment rendez-vous dans les fêtes familiales et les après-midi entre amies où les hommes n’avaient jamais de place. Bien que cette culture homosexuelle ne soit pas adoptée à tambour battant, les lesbiennes traditionnelles réussissaient tant bien que mal à mener une double vie : s’assurer leur satisfaction sexuelle tout en assumant leurs responsabilités dans le foyer. A Tanger, Rabat, Salé ou encore Fès, les femmes, mine de rien, se découvraient mutuellement dans la discrétion générale. Nombreuses sont celles qui ont choisi la voie du mariage pour masquer leur homosexualité. Erotisme, pulsions et séduction dépassaient la pudeur sans pour autant que cela aille jusqu’au point que les femmes concernées assument publiquement leur penchant. «On a une société très expressive où l’excès d’embrassades et d’attouchements entre femmes ne suscite jamais de confusion», explique Ali Naim, professeur universitaire. Il est ainsi évident de voir deux jeunes femmes se tenant la main dans la rue sans que cela n’offense la société, contrairement aux hommes. Selon l’universitaire, les gestes d’affection mutuelles entre les femmes contribuent parfois à cacher une homosexualité confirmée. Le manque de preuves fait ainsi partie de l’intimité de ces lesbiennes et y participe activement.
Homosexualité et psychologie, quel rapport ?
Après une déception amoureuse, Loubna s’offre une cure qu’elle dit largement méritée et décline les invitations de tous les soupirants qui se présentent. «Deux ans après ma rupture, j’ai rencontré Mouna. C’était ma renaissance», témoigne cette femme de 25 ans. Celle qui appréhende le regard de la société vit discrètement son idylle et rattrape le temps perdu après son chagrin d’amour. «L’homosexualité est souvent un exutoire dû à d’anciens traumatismes vécus», explique un psychanalyste. Il ajoute qu’après un divorce éprouvant ou une pénible rupture, la femme a besoin de couper court à toute relation avec cet homme qui représente la douleur. En cas de viol ou de maltraitance, cet homme rappelle le père tyrannique, le frère despotique ou carrément le violeur. Devenir lesbienne peut même émaner d’un sentiment de féminisme enfoui, où l’homme est à abattre. «C’est une vision idéologique du féminisme où l’on s’entend bien entre filles sans le moindre besoin d’une présence masculine», constate le sociologue. Dans un couple de lesbiennes, le fameux cliché du «qui fait l’homme» et «qui fait la femme» n’existe souvent pas sur le lit. Sans schéma visionnaire à l’instar de l’hétérosexualité (préliminaires, pénétration…), l’homosexualité féminine privilégie l’approche psychique à l’approche physiologique. Selon Bernard Corbel, psychologue, l’homosexualité n’a rien de troublant. C’est une étape dans le développement humain, une invitation à la découverte de la sexualité et du corps. Même si l’homosexualité féminine a toujours évolué dans l’ombre de l’homosexualité masculine. «Le sexe masculin, contrairement à une femme nue, fait toujours peur», répond le psychologue. Il ajoute que l’homme conserve ce désir permanent qui lui prodigue une sexualité pour le sexe, tandis que la femme n’a jamais eu cette fin en soi : sa sexualité est un cheminement de la vie dans l’espoir de porter un enfant. F. Belmir renchérit : «entre deux femmes, il n’y a pas de pénétration donc le problème n’est pas aussi choquant». C’est ce qui rend l’homosexualité féminine quasi invisible, particulièrement dans une société aussi traditionnelle que celle du Maroc. Dans «Maroc : islam, libertés et minorités sexuelles» diffusé sur France Culture, Valérie Beaumont, anthropologue, a répondu à cette question posée par une jeune femme: «qu'en est-il de l'homosexualité féminine au Maroc?». Réponse : «l'homosexualité féminine au Maroc est inexistante, invisible. Pour les gens, une vraie sexualité implique la présence d'un homme»… Au-delà des clichés et loin des fantasmes de pornographie lesbienne, le problème n’est justement pas l’homosexualité mais le refoulement et le rejet qui s’ensuivent. «On ne peut jamais avoir tradition et modernité (homosexualité) dans le même panier» ajoute B. Corbel. Au Maroc, certains automatismes quotidiens d’affection ne vont pas jusqu’à l’homosexualité certes, mais suscitent toutefois un érotisme pas toujours innocent. Entre clins d’œil révélateurs, attouchements affectueux et proximité considérable, les amitiés entre femmes peuvent se développer. Le psychologue définit cette chaîne, ô combien logique, comme un cheminement lucide : tendresse implique câlin qui donne envie d’embrasser, ce qui mène inéluctablement au sexe. L’orientation sexuelle n’est rien d’autre qu’une variante du genre humain mais est-ce inné ? C’est effectivement le cas selon les résultats des recherches de scientifiques suédois. Génétique ? «Jusque-là, il n’y a pas de gène d’homosexualité», répond le psychologue. Il estime que l’homosexualité est une tendance particulièrement accentuée lors de l’adolescence mais qui concerne pourtant des gens de différents âges.
Au Maroc, comme dans la majorité des pays musulmans, on connaît très peu sur l’homosexualité chez les femmes. Contrairement aux hommes où la visibilité entame son bonhomme de chemin avec un embryon d’organisation communautaire, les lesbiennes restent dans la clandestinité et sont quasi invisibles à l’exception d’internet où les forums et les groupes commencent à apparaître. Même en matière de maladies sexuellement transmissibles, l’homosexualité féminine n’a pas la même part d’intérêt que pour les hommes. Le risque reste minime par rapport à l’homosexualité masculine. Pourtant, il existe. «Le risque d’infection par le VIH n’est pas lié à l’orientation sexuelle des personnes mais à l’existence d’une prise de risque lors des relations sexuelles qu’elles soient de nature homosexuelle ou hétérosexuelle», explique Othomane Mellouk. Le risque d’infection par le Sida lors d’une relation sexuelle non protégée entre deux hommes reste plus important dans la mesure où il y a exposition des muqueuses au sperme et au sang dû à des microlésions. Lors d’une relation entre deux femmes, le risque est moindre puisqu’il y a moins d’échange de fluides. «Ce risque peut être un peu plus élevé en cas de partage d’objets sexuels comme des godemichés», souligne le président. C'est pour ces raisons qu'on a plus assimilé les homosexuels masculins à l'épidémie du Sida que les lesbiennes. Même au niveau international, il y a eu très peu de chercheurs qui se sont penchés sur cette question. On commence à peine à voir les résultats de quelques études qui montrent que finalement les lesbiennes ne sont pas épargnées par l'épidémie. Selon O. Mellouk, on a tendance à penser que l’orientation sexuelle des gens est figée et on oublie qu’il y a des parcours sexuels d’individus passant de l’hétérosexualité à l’homosexualité et vice-versa. Ainsi, il y a des lesbiennes qui ont par le passé eu des relations sexuelles avec des hommes les exposant au risque d’infection. D’ailleurs, certaines études dans le sud de l'Afrique ont mis en évidence un taux élevé d'infection chez les lesbiennes à cause de la violence et notamment les viols punitifs dont elles sont victimes, parfois même par des proches. «Nous avons besoin de plus de recherches dans ce domaine afin de mieux comprendre la situation. Mais dans notre contexte, cette recherche est difficile à mener à cause de l’invisibilité et du manque d’organisation de cette communauté», ajoute O. Mellouk.
«L’orientation sexuelle reste assez complexe. Elle peut être passagère comme elle peut être définitive».
Entretien Avec Dr Mouhcine Benyachou, psychiatre-sexologue
Entretien réalisé par NOURA MOUNIB
L’Observateur du Maroc. Qu’est-ce que vous pourriez nous dire sur l’homosexualité féminine ?
Dr Mouhcine Benyachou. Pour un homme, affirmer son homosexualité est très difficile, voire impossible. Mais quand il s’agit du sexe féminin, c’est encore plus dramatique. Avant l’islam, la fille était enterrée vive pour éviter le déshonneur. A présent, la fille est toujours source de honte pour les sociétés traditionnelles malgré les mutations sociologiques. Même sa sexualité n’est jamais librement débattue. Alors que la société arabo-musulmane refuse toute idée d’homosexualité, l’homosexualité féminine est moins remarquée mais reste très mal perçue pour la communauté arabe, à l’opposé de la société occidentale qui prône la liberté sexuelle et met l’homosexualité dans le cadre de l’intimité du comportement sexuel. Pourtant, la conception occidentale du phénomène n’est pas l’exemple type et la réponse la plus adéquate à l’homosexualité féminine.
Parce qu’en dehors des libertés individuelles et des droits de l’homme, plusieurs pays occidentaux discriminent l’homosexualité. Il y a même certaines industries qui utilisent l’homosexualité à des fins commerciales.
L’attirance sexuelle entre femmes est-elle passagère ou définit-elle l’orientation sexuelle pour toujours ?
L’orientation sexuelle reste assez complexe. Elle peut être passagère comme elle peut être définitive. Au cabinet, je reçois plusieurs homosexuels des deux sexes qui cherchent une issue pour sortir de leur homosexualité et vivre comme le reste du monde. C’est particulièrement le cas lorsque la famille met la pression en insistant sur le mariage ou lorsque la personne vit déjà avec le conjoint. Donc la personne homosexuelle vient consulter parce qu’elle ne sait pas si elle peut réussir son engagement sur les plans psychologique, moral, sexuel… Parce que la plupart des homosexuelles ont choisi la voie du mariage pour masquer leurs penchants. C’est là une décision plus évidente pour la femme que pour l’homme. La nature de celui-ci ne lui permet souvent pas de faire profil bas pour se cacher derrière le mariage.
Quels sont les facteurs qui contribuent à cette attirance entre femmes ?
Les causes qui poussent la personne à s’adonner à l’homosexualité sont multiples. Les problèmes conjugaux et sentimentaux en font partie. Lorsque la femme sort (ou pas) d’une mauvaise expérience amoureuse, elle est plus apte à être attirée par les personnes de son sexe. Il y a ensuite la relation entre l’enfant et le parent dont la maltraitance pourrait engendrer l’homosexualité pour fuir le traumatisme vécu. Mais les plus sérieuses causes résident dans les abus sexuels. Selon certaines statistiques, une fille sur 4 est victime d’abus sexuels. Le viol, l’inceste et autres ne sont jamais déclarés qu’exceptionnellement, ce qui facilite en grande partie l’homosexualité. Par ailleurs, lorsque la fille grandit dans un milieu ou l’on collectionne les interdits et les pressions, elle peut établir une relation homosexuelle avec une copine. Dans ce cas-là, il s’agit d’une homosexualité réactionnelle. Parmi les facteurs qui encouragent le phénomène, on trouve aussi la suggestion de l’homosexualité à travers les films pornographiques et les images sur internet.
Quels sont les risques que les femmes homosexuelles courent ?
Le rejet de la société peut être négatif et positif. Ce rejet peut entraîner l’isolement, le célibat, la dépression, la prostitution, l’éloignement à l’étranger pour vivre son homosexualité librement, voire se marier pour masquer sa problématique. Mais il peut être positif lorsque cette pression engendre chez la fille comme chez le garçon un travail sur lui-même et une demande d’aide en consultant un psychologue pour sortir de son homosexualité.
Temoignage
«Elle est le mari que j’ai perdu, ma sœur, mon amie»
Rokaya, 54 ans, rentière, veuve, Casablanca
«Cela m’amuse de voir les réactions des Marocains face au lesbianisme, sachant que l’amour entre femmes a toujours existé dans notre société. La seule chose qui a changé aujourd’hui avec les médias, le web et les chaînes satellitaires surtout, c’est qu’on en parle plus ouvertement. Dans la médina de Marrakech, là où j’ai grandi, je me souviens ainsi d’un couple de voisines quadragénaires qui vivaient sous le même toit et qui m’intriguait beaucoup. On disait, avec une note de compassion dans la voix, que c’étaient des «bayrates», des vieilles filles qui se tenaient compagnie pour combler leur solitude, alors qu’au fond, tout le quartier connaissait la véritable nature de leur relation. Elles étaient en somme tolérées, tant qu’elles n’affichaient pas «crûment» leurs amours «hors normes». Jamais je n’aurai cru qu’un jour je serai dans le même schéma. Déscolarisée au lycée, je me suis mariée à l’âge de 16 ans, sans amour, pour fuir la pression d’une famille très religieuse auprès d’un commerçant aisé, gentil et respectueux. J’ai eu 4 fils avec mon mari. A son décès, voilà 4 ans de cela, j’ai hérité avec eux de nombreux biens fonciers et immobiliers, qui m’ont laissé de quoi vivre décemment jusqu’à la fin de mes jours. Mais je me sentais terriblement seule, inutile, surtout que tous «les oisillons» avaient quitté le nid. Je me suis alors réfugiée dans la lecture et renoué avec mes amies de jeunesse, dont une copine d’enfance, Latifa, jamais mariée. On se fréquentait si régulièrement que je lui ai proposé de venir vivre chez moi. C’est ma confidente, ma sœur, mon amie… un peu le mari que j’ai perdu aussi, quand elle m’offre des plaisirs charnels et de l’affection. Mes fils, tous pères de famille, ne sont pas au courant de ce dernier aspect de notre relation, et je ne veux pas qu’ils le sachent, ça risquerait de les traumatiser. Je ne sais pas si je suis lesbienne depuis toujours, bisexuelle ou juste en manque d’amour. En fait, je n’ai même pas envie de savoir ni de le clamer sur les toits. A mon âge, je ne veux pas me battre contre mes doutes et le système. Je veux juste vivre tranquille».
«Je suis une lesbienne malheureuse au Maroc»
Hanane, 26 ans, ingénieur financier, célibataire, Casablanca
«J’ai découvert mon homosexualité tardivement, et par hasard. J’étais alors étudiante à Montréal. Je sortais avec un Canadien, Mike, un camarade d’université. Lors d’une soirée chez une de ses amies, une très belle fille m’a accostée. Nous avons discuté toute la nuit, et, en fin de soirée, quand j’ai voulu rentrer chez moi, je me suis rendu compte que mon petit ami était parti. Mélissa a alors proposé de me raccompagner. En route, j’ai accepté de prendre un dernier verre chez elle. J’étais bien avinée quand elle a commencé à me caresser et m’embrasser. C’était une nuit merveilleuse, probablement la plus sensuelle et la plus tendre de toute ma vie de femme. Au petit matin, j’ai repris le cours normal de ma vie, persuadée que ce n’était qu’une aventure sans lendemain et sans conséquence. Mais plus les jours s’écoulaient, plus je pensais à mon amante d’un soir et devenait de plus en plus distante avec Mike. Jusqu’à la rupture. Là, je suis allée retrouver Mélissa. Elle m’a dit qu’elle m’attendait et qu’elle était toute aussi amoureuse que moi. Nous avons vécu une belle idylle, durant deux années. Mais elle voulait que l’on se marie (comme le permet la législation québécoise depuis 2004), que l’on fonde une famille et qu’on adopte un enfant. Je n’ai pas osé franchir le pas. Par lâcheté, par peur de la réaction de ma famille. J’ai dû rentrer quelques mois plus tard au Maroc, suite au décès de mon père, mais aussi car on m’avait proposé un très bon poste. Je regrette amèrement ma décision. Depuis Mélissa, j’ai perdu toute attirance envers les hommes. Or, il est impossible ici de vivre son homosexualité au grand jour, et je refuse catégoriquement d’adhérer à l’hypocrisie sociale ambiante en me «casant» avec un homme. En somme, je suis une lesbienne malheureuse au Maroc».
«Ma femme est une ex-lesbienne»
Younès, 31 ans, cadre en Ressources humaines, marié, Rabat
«Je connais Nadia depuis le collège. C’était l’une des filles les plus populaires de cette école française. Je la revois, belle, élancée, féline, avec sa crinière de lionne tombant en cascade sur ses épaules. Elle faisait craquer tous les garçons, mais, à part moi qui étais son meilleur ami, aucun d’eux ne connaissait son penchant pour les filles, pensant que c’était juste «une nana qui se la joue». Après le bac, nous nous sommes retrouvés en France, à Paris, pour nos études supérieures. Là-bas, Nadia a pu vivre pleinement son homosexualité. On se voyait régulièrement, elle venait me raconter ses aventures amoureuses et sexuelles avec les belles de Paris. Après une rupture très douloureuse avec une femme mariée dont elle était profondément amoureuse, Nadia est venue pleurer dans mes bras. Le retour au Maroc a été difficile pour elle. J’étais son unique ami marocain, le seul à la soutenir dans ce qu’elle endurait dans une société foncièrement patriarcale du fait de son orientation sexuelle. Elle passait souvent la nuit chez moi à la maison, où l’on passait des heures à discuter et à refaire le monde. Un jour, au beau milieu de la nuit, elle est venue se glisser dans mon lit. Je ne sais pas ce qui lui a soudainement pris, peut-être avait-elle un peu forcé sur les joints qu’on a fumés ensemble cette nuit-là, mais c’était… superbe. Un an plus tard, nous étions mari et femme. Nadia affirme qu’elle est devenue entièrement hétéro, grâce à moi, à cette longue et inconditionnelle amitié devenue amour tout court. Je ne cache pas que des fois, j’ai un peu peur quand elle parle avec insistance d’une des femmes de sa connaissance. Mais elle me jure que son lesbianisme est un vieux souvenir de jeunesse bel et bien enterré, et que ce serait trop idiot de gâcher le bonheur complice qu’elle vit avec «l’hétéro qui a réussi à la convertir». Aujourd’hui, nous nous préparons à avoir un enfant…».
«Dans la rue et à l’école, on m’appelle Hakim»
Hakima, 22 ans, couturière, célibataire, Meknès
«Je suis la benjamine d’une famille modeste de huit filles, de père ouvrier dans le bâtiment. Aussi longtemps que je m’en souvienne, ma mère, couturière, m’a toujours traitée comme le garçon qu’elle et mon père auraient tant voulu avoir après «sept essais». Elle m’habillait toujours en pantalon et refusait que je me laisse pousser les cheveux. Et contrairement à mes sœurs et à mes cousines, elle me laissait jouer dans la rue au football avec les garçons du quartier et fermait les yeux quand je riais fort ou utilisais des mots vulgaires à la maison. Mon père, paraplégique suite à un accident du travail, n’intervenait plus dans mon éducation. A l’adolescence, je me suis rendu compte que je préférais définitivement la compagnie des garçons à celle des filles, leurs discussions, leurs jeux, leurs blagues, tout. Eux, que ce soit mes voisins ou mes camarades de classe, me considéraient aussi comme «leur pote Hakim», et jamais comme une fille avec laquelle ils pourraient avoir une relation amoureuse. Ils disaient que je n’étais pas du tout féminine, ni dans ma façon d’être, ni dans mon corps. Je suis en effet bâtie comme un gaillard, j’ai les épaules et la démarche d’un catcheur et presque pas de seins. Une «dakriya» (masculine) comme ils disent. Est-ce parce que je dénie ma féminité pour mériter l’amour de ma mère, comme je l’ai lu dans un magazine ? Est-ce pour cela aussi que je suis attirée par les filles «ultra-féminines», avec des courbes et des rondeurs ? Ou encore que j’ai repris avec succès l’atelier de couture traditionnelle de ma mère après le bac? En tout cas, j’ai beaucoup souffert au début, je me sentais déchirée entre mon côté masculin et mon sexe de naissance et, malgré mes apparences de dure à cuire, je vivais mal le regard des autres sur ma différence, surtout dans la culture populaire et traditionnaliste dans laquelle j’ai grandi. Aujourd’hui, détachée de mon milieu et indépendante financièrement, je pense que je suis en phase d’assumer plus sereinement mon lesbianisme, même dans son aspect «viril». Et ce, grâce aussi à ma petite amie, Christine, une Libanaise que j’ai rencontrée sur Internet. Elle est venue me voir à deux reprises au Maroc et m’a envoyé un billet d’avion pour que je la rejoigne cet été à Beyrouth».


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