Le conservatisme et le patriarcat apparents nempêchent pas lhomosexualité féminine dexister dans une société en pleine (r)évolution. Zoom. Noura mounib Si, au moment de lapparition du Sida à la fin des années 80, un sénateur américain avait déclaré, «God has created Adam and Eve, not Adam and Steve», laissant entendre par là quil est anormal de se détourner de la nature du couple tel quil a été conçu, certaines personnes sont loin dêtre daccord avec cette «théorie». Pour beaucoup, lorientation sexuelle fait partie des libertés individuelles. Mais pour tous ceux qui prônent mordicus que la femme est créée pour lhomme et lhomme pour la femme et que toute autre conception de la relation amoureuse est contre-nature, leur avis nest pas aussi partagé que cela. Au-delà des clichés, lhomosexualité existe depuis la nuit des temps. «Le phénomène a un passé lointain qui a réussi à survivre malgré plusieurs mutations sociologiques», explique Fouad Belmir, sociologue. Si Abou Nawas, le célèbre poète abbasside sert dexemple dhomosexuel invétéré depuis cette ère de lhistoire arabo-musulmane, aucune femme na pu faire de même. Cest que lhomosexualité féminine na jamais eu autant dintérêt que son pair masculin. Le peu d'attention consacrée à la question est sûrement dû au fait que dans les pays musulmans comme le Maroc, la sexualité des femmes reste toujours taboue. Dailleurs, on parle très peu de la sexualité des femmes, même quand il ne sagit que dhétérosexualité. Lhomosexualité des femmes semble moins déranger, car elle ne remet pas en cause léquilibre de la société basée sur le pouvoir de la domination des hommes sur les femmes. Cest là le propre des sociétés patriarcales. Certains spécialistes estiment quil est beaucoup plus facile pour les femmes de cacher leurs préférences sexuelles. Elles peuvent même se marier et avoir des enfants, ce quun homme ne peut pas faire. Au Maroc, même son de cloche et même discrétion. Alors que lhomosexualité masculine prend de lampleur, que les «adeptes» du romancier Abdellah Taïa (premier marocain à avoir déclaré publiquement son homosexualité) exigent des droits contre la stigmatisation et quune association de lutte a même vu le jour sous la férule du jeune Samir Bargachi (Kif Kif), lhomosexualité chez les femmes déjoue la virulence de la société et assoit discrètement ses bases sans susciter la moindre levée de bouclier de la part des conservateurs. Lesbiennes : Les dessous dun réseau Noura mounib Même si lhomosexualité féminine au Maroc ne date pas dhier, les nouvelles technologies, la liberté des temps modernes et louverture desprit ont permis à la «minorité sexuelle» que forment les lesbiennes de prendre aisément de lampleur au fil des décennies. A présent, quand on parle dhomosexuelles, cest dun grand réseau qui sétend sur plusieurs villes du royaume quil sagit. Les maillons les plus en vogue de ce réseau restent Rabat, Casablanca, Marrakech, Agadir et Tanger. Fondé depuis quelques années, ledit réseau attire au fil du temps un nombre de plus en plus important de filles ayant un penchant pour lhomosexualité. «Si vous connaissez The L World, une série américaine qui met en scène un réseau de jeunes lesbiennes, sachez que cest exactement la même chose qui se passe au Maroc, sauf que cela se fait à la sauce marocaine», confie Najlae, ex-membre active du réseau. La jeune femme, téléopératrice dans un centre dappels à Casablanca, insiste sur ce que la société marocaine tâche de refouler : une hypocrisie sociale à souhait. Le réseau abrite des centaines de filles homosexuelles de différents âges qui vivent discrètement mais pleinement leur sexualité. Tandis que la notion de fidélité est jetée aux orties, certains hommes jouent parfois le rôle dentremetteurs entre filles. «Les hommes nont pas de place au sein du réseau même si certains sinvitent juste pour arranger des rendez-vous pour leurs amies» explique lex-membre du réseau. Par ailleurs, chaque nouvelle lesbienne qui adhère au groupe devrait passer moult épreuves et de nombreux bizutages pour être bonnement accueillie et faire partie de cette petite communauté. Selon Najlae, la réputation de chacune des membres du réseau constitue son capital. Bonne ou mauvaise, cest à elle de gérer. Dailleurs, rares sont celles qui ne craquent pas et supportent la course contre la montre que devient leur existence face aux différents conflits et pressions auxquels elles se trouvent parfois confrontées. Mais la devise du groupe nest autre que léchangisme. «Essayer toutes les filles du réseau est une règle primordiale pour se forger une place de marque et devenir une des leaders confirmées au sein du groupe», murmure Najlae. «Cest un milieu qui baigne dans lhypocrisie, le mensonge, lartifice et la trahison», se désole la jeune femme qui a préféré tourner la page et retrouver une nouvelle existence de peur que ses proches ne découvrent son secret. La société exerce une véritable pression. Mais elle est à double tranchant. «Le rejet de lentourage peut être positif, mais peut se révéler aussi négatif», explique Mohcine Benyechou, sexologue. «Le refoulement, ajoute le spécialiste, peut entraîner lisolement, la dépression, la prostitution, léloignement ». Selon son point de vue, cette pression peut aussi engendrer chez la fille comme chez le garçon le besoin de travailler sur lui-même en sollicitant laide dun psychologue pour se sortir daffaire. «Il nous arrive de recevoir à travers notre ligne téléphonique Allo Info Sida des appels de femmes homosexuelles qui sont à la recherche dun espace de parole et de soutien. Mais cela reste encore très rare», révèle Othomane Mellouk, président de la section de lAssociation marocaine de lutte contre le Sida (ALCS) à Marrakech. Cest que la communauté lesbienne au Maroc préfère «saimer» dans le noir que de «se faire attaquer» Les «Hakkakates» du XXIe siècle «Je suis une homosexuelle endurcie», se présente Hanane, 29 ans, cadre dans une société de textile à Casablanca. Celle qui nen est pas à sa première expérience homosexuelle vit avec sa conjointe, une jeune femme de 23 ans, depuis trois années et assume parfaitement ses choix sexuels (même si elle préfère utiliser un pseudonyme). Issue dune famille on ne peut plus traditionnelle, la jeune femme a dû faire face aux réprimandes de sa mère. Celle-ci avait découvert le secret des deux amies qui faisaient tout pour faire croire quelles nétaient si liées entre elles que par une simple relation amicale. «Ma mère a pleuré toutes les larmes de son corps lorsquelle nous a surprises, ma copine et moi, en flagrant délit. Elle ma rapidement trouvé un mari pour me «repêcher des mains de Satan et me remettre sur le droit chemin», raconte Hanane qui a choisi de sinstaller loin de sa famille. «Motus et bouche cousue nest pas une qualité de ma mère, ironise-t-elle, mais cette fois-ci, elle a fait lexception en optant pour un silence qui lui rongeait les entrailles de peur du scandale». Lhistoire de Hanane prouve que les minorités sexuelles au Maroc ne font plus profil bas comme autrefois. Cet autrefois où les femmes étaient confinées dans les maisons tandis que les hommes se rendaient au travail. Cétait une époque plus propice aux relations homosexuelles. Le hammam était ce premier espace de promiscuité entre femmes où la nudité et la lumière tamisée des lieux créaient une ambiance érotique à souhait. «Cétait une atmosphère agréable où les femmes se frottaient mutuellement, ce qui les rapprochait davantage» confirme F. Belmir. Celles quon appelait «Hakkakates», traduction littérale de «frotteuses», se donnaient notamment rendez-vous dans les fêtes familiales et les après-midi entre amies où les hommes navaient jamais de place. Bien que cette culture homosexuelle ne soit pas adoptée à tambour battant, les lesbiennes traditionnelles réussissaient tant bien que mal à mener une double vie : sassurer leur satisfaction sexuelle tout en assumant leurs responsabilités dans le foyer. A Tanger, Rabat, Salé ou encore Fès, les femmes, mine de rien, se découvraient mutuellement dans la discrétion générale. Nombreuses sont celles qui ont choisi la voie du mariage pour masquer leur homosexualité. Erotisme, pulsions et séduction dépassaient la pudeur sans pour autant que cela aille jusquau point que les femmes concernées assument publiquement leur penchant. «On a une société très expressive où lexcès dembrassades et dattouchements entre femmes ne suscite jamais de confusion», explique Ali Naim, professeur universitaire. Il est ainsi évident de voir deux jeunes femmes se tenant la main dans la rue sans que cela noffense la société, contrairement aux hommes. Selon luniversitaire, les gestes daffection mutuelles entre les femmes contribuent parfois à cacher une homosexualité confirmée. Le manque de preuves fait ainsi partie de lintimité de ces lesbiennes et y participe activement. Homosexualité et psychologie, quel rapport ? Après une déception amoureuse, Loubna soffre une cure quelle dit largement méritée et décline les invitations de tous les soupirants qui se présentent. «Deux ans après ma rupture, jai rencontré Mouna. Cétait ma renaissance», témoigne cette femme de 25 ans. Celle qui appréhende le regard de la société vit discrètement son idylle et rattrape le temps perdu après son chagrin damour. «Lhomosexualité est souvent un exutoire dû à danciens traumatismes vécus», explique un psychanalyste. Il ajoute quaprès un divorce éprouvant ou une pénible rupture, la femme a besoin de couper court à toute relation avec cet homme qui représente la douleur. En cas de viol ou de maltraitance, cet homme rappelle le père tyrannique, le frère despotique ou carrément le violeur. Devenir lesbienne peut même émaner dun sentiment de féminisme enfoui, où lhomme est à abattre. «Cest une vision idéologique du féminisme où lon sentend bien entre filles sans le moindre besoin dune présence masculine», constate le sociologue. Dans un couple de lesbiennes, le fameux cliché du «qui fait lhomme» et «qui fait la femme» nexiste souvent pas sur le lit. Sans schéma visionnaire à linstar de lhétérosexualité (préliminaires, pénétration ), lhomosexualité féminine privilégie lapproche psychique à lapproche physiologique. Selon Bernard Corbel, psychologue, lhomosexualité na rien de troublant. Cest une étape dans le développement humain, une invitation à la découverte de la sexualité et du corps. Même si lhomosexualité féminine a toujours évolué dans lombre de lhomosexualité masculine. «Le sexe masculin, contrairement à une femme nue, fait toujours peur», répond le psychologue. Il ajoute que lhomme conserve ce désir permanent qui lui prodigue une sexualité pour le sexe, tandis que la femme na jamais eu cette fin en soi : sa sexualité est un cheminement de la vie dans lespoir de porter un enfant. F. Belmir renchérit : «entre deux femmes, il ny a pas de pénétration donc le problème nest pas aussi choquant». Cest ce qui rend lhomosexualité féminine quasi invisible, particulièrement dans une société aussi traditionnelle que celle du Maroc. Dans «Maroc : islam, libertés et minorités sexuelles» diffusé sur France Culture, Valérie Beaumont, anthropologue, a répondu à cette question posée par une jeune femme: «qu'en est-il de l'homosexualité féminine au Maroc?». Réponse : «l'homosexualité féminine au Maroc est inexistante, invisible. Pour les gens, une vraie sexualité implique la présence d'un homme» Au-delà des clichés et loin des fantasmes de pornographie lesbienne, le problème nest justement pas lhomosexualité mais le refoulement et le rejet qui sensuivent. «On ne peut jamais avoir tradition et modernité (homosexualité) dans le même panier» ajoute B. Corbel. Au Maroc, certains automatismes quotidiens daffection ne vont pas jusquà lhomosexualité certes, mais suscitent toutefois un érotisme pas toujours innocent. Entre clins dil révélateurs, attouchements affectueux et proximité considérable, les amitiés entre femmes peuvent se développer. Le psychologue définit cette chaîne, ô combien logique, comme un cheminement lucide : tendresse implique câlin qui donne envie dembrasser, ce qui mène inéluctablement au sexe. Lorientation sexuelle nest rien dautre quune variante du genre humain mais est-ce inné ? Cest effectivement le cas selon les résultats des recherches de scientifiques suédois. Génétique ? «Jusque-là, il ny a pas de gène dhomosexualité», répond le psychologue. Il estime que lhomosexualité est une tendance particulièrement accentuée lors de ladolescence mais qui concerne pourtant des gens de différents âges. Au Maroc, comme dans la majorité des pays musulmans, on connaît très peu sur lhomosexualité chez les femmes. Contrairement aux hommes où la visibilité entame son bonhomme de chemin avec un embryon dorganisation communautaire, les lesbiennes restent dans la clandestinité et sont quasi invisibles à lexception dinternet où les forums et les groupes commencent à apparaître. Même en matière de maladies sexuellement transmissibles, lhomosexualité féminine na pas la même part dintérêt que pour les hommes. Le risque reste minime par rapport à lhomosexualité masculine. Pourtant, il existe. «Le risque dinfection par le VIH nest pas lié à lorientation sexuelle des personnes mais à lexistence dune prise de risque lors des relations sexuelles quelles soient de nature homosexuelle ou hétérosexuelle», explique Othomane Mellouk. Le risque dinfection par le Sida lors dune relation sexuelle non protégée entre deux hommes reste plus important dans la mesure où il y a exposition des muqueuses au sperme et au sang dû à des microlésions. Lors dune relation entre deux femmes, le risque est moindre puisquil y a moins déchange de fluides. «Ce risque peut être un peu plus élevé en cas de partage dobjets sexuels comme des godemichés», souligne le président. C'est pour ces raisons qu'on a plus assimilé les homosexuels masculins à l'épidémie du Sida que les lesbiennes. Même au niveau international, il y a eu très peu de chercheurs qui se sont penchés sur cette question. On commence à peine à voir les résultats de quelques études qui montrent que finalement les lesbiennes ne sont pas épargnées par l'épidémie. Selon O. Mellouk, on a tendance à penser que lorientation sexuelle des gens est figée et on oublie quil y a des parcours sexuels dindividus passant de lhétérosexualité à lhomosexualité et vice-versa. Ainsi, il y a des lesbiennes qui ont par le passé eu des relations sexuelles avec des hommes les exposant au risque dinfection. Dailleurs, certaines études dans le sud de l'Afrique ont mis en évidence un taux élevé d'infection chez les lesbiennes à cause de la violence et notamment les viols punitifs dont elles sont victimes, parfois même par des proches. «Nous avons besoin de plus de recherches dans ce domaine afin de mieux comprendre la situation. Mais dans notre contexte, cette recherche est difficile à mener à cause de linvisibilité et du manque dorganisation de cette communauté», ajoute O. Mellouk. «Lorientation sexuelle reste assez complexe. Elle peut être passagère comme elle peut être définitive». Entretien Avec Dr Mouhcine Benyachou, psychiatre-sexologue Entretien réalisé par NOURA MOUNIB LObservateur du Maroc. Quest-ce que vous pourriez nous dire sur lhomosexualité féminine ? Dr Mouhcine Benyachou. Pour un homme, affirmer son homosexualité est très difficile, voire impossible. Mais quand il sagit du sexe féminin, cest encore plus dramatique. Avant lislam, la fille était enterrée vive pour éviter le déshonneur. A présent, la fille est toujours source de honte pour les sociétés traditionnelles malgré les mutations sociologiques. Même sa sexualité nest jamais librement débattue. Alors que la société arabo-musulmane refuse toute idée dhomosexualité, lhomosexualité féminine est moins remarquée mais reste très mal perçue pour la communauté arabe, à lopposé de la société occidentale qui prône la liberté sexuelle et met lhomosexualité dans le cadre de lintimité du comportement sexuel. Pourtant, la conception occidentale du phénomène nest pas lexemple type et la réponse la plus adéquate à lhomosexualité féminine. Parce quen dehors des libertés individuelles et des droits de lhomme, plusieurs pays occidentaux discriminent lhomosexualité. Il y a même certaines industries qui utilisent lhomosexualité à des fins commerciales. Lattirance sexuelle entre femmes est-elle passagère ou définit-elle lorientation sexuelle pour toujours ? Lorientation sexuelle reste assez complexe. Elle peut être passagère comme elle peut être définitive. Au cabinet, je reçois plusieurs homosexuels des deux sexes qui cherchent une issue pour sortir de leur homosexualité et vivre comme le reste du monde. Cest particulièrement le cas lorsque la famille met la pression en insistant sur le mariage ou lorsque la personne vit déjà avec le conjoint. Donc la personne homosexuelle vient consulter parce quelle ne sait pas si elle peut réussir son engagement sur les plans psychologique, moral, sexuel Parce que la plupart des homosexuelles ont choisi la voie du mariage pour masquer leurs penchants. Cest là une décision plus évidente pour la femme que pour lhomme. La nature de celui-ci ne lui permet souvent pas de faire profil bas pour se cacher derrière le mariage. Quels sont les facteurs qui contribuent à cette attirance entre femmes ? Les causes qui poussent la personne à sadonner à lhomosexualité sont multiples. Les problèmes conjugaux et sentimentaux en font partie. Lorsque la femme sort (ou pas) dune mauvaise expérience amoureuse, elle est plus apte à être attirée par les personnes de son sexe. Il y a ensuite la relation entre lenfant et le parent dont la maltraitance pourrait engendrer lhomosexualité pour fuir le traumatisme vécu. Mais les plus sérieuses causes résident dans les abus sexuels. Selon certaines statistiques, une fille sur 4 est victime dabus sexuels. Le viol, linceste et autres ne sont jamais déclarés quexceptionnellement, ce qui facilite en grande partie lhomosexualité. Par ailleurs, lorsque la fille grandit dans un milieu ou lon collectionne les interdits et les pressions, elle peut établir une relation homosexuelle avec une copine. Dans ce cas-là, il sagit dune homosexualité réactionnelle. Parmi les facteurs qui encouragent le phénomène, on trouve aussi la suggestion de lhomosexualité à travers les films pornographiques et les images sur internet. Quels sont les risques que les femmes homosexuelles courent ? Le rejet de la société peut être négatif et positif. Ce rejet peut entraîner lisolement, le célibat, la dépression, la prostitution, léloignement à létranger pour vivre son homosexualité librement, voire se marier pour masquer sa problématique. Mais il peut être positif lorsque cette pression engendre chez la fille comme chez le garçon un travail sur lui-même et une demande daide en consultant un psychologue pour sortir de son homosexualité. Temoignage «Elle est le mari que jai perdu, ma sur, mon amie» Rokaya, 54 ans, rentière, veuve, Casablanca «Cela mamuse de voir les réactions des Marocains face au lesbianisme, sachant que lamour entre femmes a toujours existé dans notre société. La seule chose qui a changé aujourdhui avec les médias, le web et les chaînes satellitaires surtout, cest quon en parle plus ouvertement. Dans la médina de Marrakech, là où jai grandi, je me souviens ainsi dun couple de voisines quadragénaires qui vivaient sous le même toit et qui mintriguait beaucoup. On disait, avec une note de compassion dans la voix, que cétaient des «bayrates», des vieilles filles qui se tenaient compagnie pour combler leur solitude, alors quau fond, tout le quartier connaissait la véritable nature de leur relation. Elles étaient en somme tolérées, tant quelles naffichaient pas «crûment» leurs amours «hors normes». Jamais je naurai cru quun jour je serai dans le même schéma. Déscolarisée au lycée, je me suis mariée à lâge de 16 ans, sans amour, pour fuir la pression dune famille très religieuse auprès dun commerçant aisé, gentil et respectueux. Jai eu 4 fils avec mon mari. A son décès, voilà 4 ans de cela, jai hérité avec eux de nombreux biens fonciers et immobiliers, qui mont laissé de quoi vivre décemment jusquà la fin de mes jours. Mais je me sentais terriblement seule, inutile, surtout que tous «les oisillons» avaient quitté le nid. Je me suis alors réfugiée dans la lecture et renoué avec mes amies de jeunesse, dont une copine denfance, Latifa, jamais mariée. On se fréquentait si régulièrement que je lui ai proposé de venir vivre chez moi. Cest ma confidente, ma sur, mon amie un peu le mari que jai perdu aussi, quand elle moffre des plaisirs charnels et de laffection. Mes fils, tous pères de famille, ne sont pas au courant de ce dernier aspect de notre relation, et je ne veux pas quils le sachent, ça risquerait de les traumatiser. Je ne sais pas si je suis lesbienne depuis toujours, bisexuelle ou juste en manque damour. En fait, je nai même pas envie de savoir ni de le clamer sur les toits. A mon âge, je ne veux pas me battre contre mes doutes et le système. Je veux juste vivre tranquille». «Je suis une lesbienne malheureuse au Maroc» Hanane, 26 ans, ingénieur financier, célibataire, Casablanca «Jai découvert mon homosexualité tardivement, et par hasard. Jétais alors étudiante à Montréal. Je sortais avec un Canadien, Mike, un camarade duniversité. Lors dune soirée chez une de ses amies, une très belle fille ma accostée. Nous avons discuté toute la nuit, et, en fin de soirée, quand jai voulu rentrer chez moi, je me suis rendu compte que mon petit ami était parti. Mélissa a alors proposé de me raccompagner. En route, jai accepté de prendre un dernier verre chez elle. Jétais bien avinée quand elle a commencé à me caresser et membrasser. Cétait une nuit merveilleuse, probablement la plus sensuelle et la plus tendre de toute ma vie de femme. Au petit matin, jai repris le cours normal de ma vie, persuadée que ce nétait quune aventure sans lendemain et sans conséquence. Mais plus les jours sécoulaient, plus je pensais à mon amante dun soir et devenait de plus en plus distante avec Mike. Jusquà la rupture. Là, je suis allée retrouver Mélissa. Elle ma dit quelle mattendait et quelle était toute aussi amoureuse que moi. Nous avons vécu une belle idylle, durant deux années. Mais elle voulait que lon se marie (comme le permet la législation québécoise depuis 2004), que lon fonde une famille et quon adopte un enfant. Je nai pas osé franchir le pas. Par lâcheté, par peur de la réaction de ma famille. Jai dû rentrer quelques mois plus tard au Maroc, suite au décès de mon père, mais aussi car on mavait proposé un très bon poste. Je regrette amèrement ma décision. Depuis Mélissa, jai perdu toute attirance envers les hommes. Or, il est impossible ici de vivre son homosexualité au grand jour, et je refuse catégoriquement dadhérer à lhypocrisie sociale ambiante en me «casant» avec un homme. En somme, je suis une lesbienne malheureuse au Maroc». «Ma femme est une ex-lesbienne» Younès, 31 ans, cadre en Ressources humaines, marié, Rabat «Je connais Nadia depuis le collège. Cétait lune des filles les plus populaires de cette école française. Je la revois, belle, élancée, féline, avec sa crinière de lionne tombant en cascade sur ses épaules. Elle faisait craquer tous les garçons, mais, à part moi qui étais son meilleur ami, aucun deux ne connaissait son penchant pour les filles, pensant que cétait juste «une nana qui se la joue». Après le bac, nous nous sommes retrouvés en France, à Paris, pour nos études supérieures. Là-bas, Nadia a pu vivre pleinement son homosexualité. On se voyait régulièrement, elle venait me raconter ses aventures amoureuses et sexuelles avec les belles de Paris. Après une rupture très douloureuse avec une femme mariée dont elle était profondément amoureuse, Nadia est venue pleurer dans mes bras. Le retour au Maroc a été difficile pour elle. Jétais son unique ami marocain, le seul à la soutenir dans ce quelle endurait dans une société foncièrement patriarcale du fait de son orientation sexuelle. Elle passait souvent la nuit chez moi à la maison, où lon passait des heures à discuter et à refaire le monde. Un jour, au beau milieu de la nuit, elle est venue se glisser dans mon lit. Je ne sais pas ce qui lui a soudainement pris, peut-être avait-elle un peu forcé sur les joints quon a fumés ensemble cette nuit-là, mais cétait superbe. Un an plus tard, nous étions mari et femme. Nadia affirme quelle est devenue entièrement hétéro, grâce à moi, à cette longue et inconditionnelle amitié devenue amour tout court. Je ne cache pas que des fois, jai un peu peur quand elle parle avec insistance dune des femmes de sa connaissance. Mais elle me jure que son lesbianisme est un vieux souvenir de jeunesse bel et bien enterré, et que ce serait trop idiot de gâcher le bonheur complice quelle vit avec «lhétéro qui a réussi à la convertir». Aujourdhui, nous nous préparons à avoir un enfant ». «Dans la rue et à lécole, on mappelle Hakim» Hakima, 22 ans, couturière, célibataire, Meknès «Je suis la benjamine dune famille modeste de huit filles, de père ouvrier dans le bâtiment. Aussi longtemps que je men souvienne, ma mère, couturière, ma toujours traitée comme le garçon quelle et mon père auraient tant voulu avoir après «sept essais». Elle mhabillait toujours en pantalon et refusait que je me laisse pousser les cheveux. Et contrairement à mes surs et à mes cousines, elle me laissait jouer dans la rue au football avec les garçons du quartier et fermait les yeux quand je riais fort ou utilisais des mots vulgaires à la maison. Mon père, paraplégique suite à un accident du travail, nintervenait plus dans mon éducation. A ladolescence, je me suis rendu compte que je préférais définitivement la compagnie des garçons à celle des filles, leurs discussions, leurs jeux, leurs blagues, tout. Eux, que ce soit mes voisins ou mes camarades de classe, me considéraient aussi comme «leur pote Hakim», et jamais comme une fille avec laquelle ils pourraient avoir une relation amoureuse. Ils disaient que je nétais pas du tout féminine, ni dans ma façon dêtre, ni dans mon corps. Je suis en effet bâtie comme un gaillard, jai les épaules et la démarche dun catcheur et presque pas de seins. Une «dakriya» (masculine) comme ils disent. Est-ce parce que je dénie ma féminité pour mériter lamour de ma mère, comme je lai lu dans un magazine ? Est-ce pour cela aussi que je suis attirée par les filles «ultra-féminines», avec des courbes et des rondeurs ? Ou encore que jai repris avec succès latelier de couture traditionnelle de ma mère après le bac? En tout cas, jai beaucoup souffert au début, je me sentais déchirée entre mon côté masculin et mon sexe de naissance et, malgré mes apparences de dure à cuire, je vivais mal le regard des autres sur ma différence, surtout dans la culture populaire et traditionnaliste dans laquelle jai grandi. Aujourdhui, détachée de mon milieu et indépendante financièrement, je pense que je suis en phase dassumer plus sereinement mon lesbianisme, même dans son aspect «viril». Et ce, grâce aussi à ma petite amie, Christine, une Libanaise que jai rencontrée sur Internet. Elle est venue me voir à deux reprises au Maroc et ma envoyé un billet davion pour que je la rejoigne cet été à Beyrouth».