Focus Le mariage ne fait-il plus rêver les Marocains ? Difficile à croire mais c'est du moins ce que confirme une récente étude sociologique du HCP. Retour sur la perception des Marocains, femmes et hommes, de l'institution du mariage, ce qui a changé en quelques années et quelles en sont les raisons et les aboutissements… «Fini le temps des rêves de jeunes filles où le prince charmant arrivait sur son beau cheval et enlève la princesse pour lui offrir une vie pleine d'amour et de prospérité...», nous lance, sceptique, Siham, 31 ans, cadre dans une société d'assurance. Le verbe amer, la jeune femme avoue qu'elle n'arrive pas à trouver chaussures à ses pieds et pas faute de ne pas chercher. « Il n'y a plus d'hommes, que des mâles ! Du moins pas comme ils étaient du temps de nos parents et grands parents !» confirme Siham. Un avis que de nombreuses jeunes femmes marocaines partagent, et qu'elles traduisent en acte en retardant de plus en plus leur âge de mariage. D'après une récente étude sociologique du HCP, l'âge moyen au mariage a énormément reculé entre 1960 et 2010. En cinquante ans, les choses ont bel et bien changé. Les femmes se sont ainsi mariées en moyenne à 26,6 ans en 2010, soit 9,3 ans plus tard qu'en 1960. Le mariage précoce des 15-19 ans, qui concernait 20% des filles en 1982 ne concerne plus que 150 mille représentant 9% de cette tranche d'âges. L'évolution du niveau d'instruction, la durée plus importante des hautes études, l'émancipation des femmes, la forte introduction sur le marché du travail et l'indépendance financière des femmes actives sont autant d'explications pour ce « retard marital ». Pour Maria Bichra, coach de couples, l'émancipation des femmes a élargi le champ des attentes de ces dernières par rapport à une relation et par rapport au mariage. «Pire, les femmes ont commencé, de bonne foi, à prendre trop de place dans le couple en croquant dans l'espace de leurs hommes. Ces derniers de peur de décevoir, acceptent et cumulent les frustrations en cédant à contre cœur leur rôle... », note la spécialiste. A l'instar de leurs compagnes, les hommes ne sont pas plus courageux et hésitent de plus en plus avant de faire le grand saut. « A 35 ans, je ne me sens pas prêt pour le mariage. Je suis en relation amoureuse avec une fille mais je ne crois pas que ça aboutira à quoi que ce soit. J'ai peur de ne pas être à la hauteur de la responsabilité. J'ai l'impression qu'il y a trop de facteurs aléatoires dans l'équation du mariage et je n'ai pas envie de m'y aventurer», partage Nabil, employé dans un centre d'appel à Casablanca. Pour Omar, 30 ans, ingénieur en informatique, les choses ne sont pas plus claires même si avec une situation financière amplement plus confortable. «Les expériences pas très réussies autour de moi ne me donnent nullement envie de passer à l'acte. Des belles histoires d'amour finissent par tomber à l'eau à la première épreuve après le mariage. Je préfère me conserver et éviter les casse têtes d'un mariage foireux», ironise le jeune ingénieur. Des mots qui en disent long sur l'ampleur du malaise dans les rangs des jeunes « mariables » et qui expliquent en partie les chiffres avancés par l'étude du HCP. D'après cette dernière, les hommes marocains convolent en justes noces, en moyenne, à 32 ans contre 22 ans en 1960. Un décalage que le sociologue Khalid Hanefioui explique par plusieurs facteurs économiques, sociaux et psychologiques (voir entretien). D'après le spécialiste, la pauvreté d'une belle partie de la population est un véritable frein pour le mariage d'un bon nombre de jeunes. «Surtout, si l'on considère le coût économique et psychique du Mariage avec ses grandes nécessités tels que l'emploi, le logement, les charges quotidiennes, le niveau de vie de plus en plus cher et le coût de l'éducation des enfants», argumente le sociologue qui décrit une situation socio-économique nullement encourageante pour les jeunes qu'ils soient hommes ou femmes. Une analyse que les chiffres du HCP confirment d'une manière éloquente. Ainsi, en 2010, le célibat à 50 ans a atteint 6,7% parmi les femmes contre 0,9% en 1994 et 5,8% parmi les hommes contre 2,9%. Une sacrée différence qui pose beaucoup d'interrogations quant à cette «évolution» remarquable et surtout contradictoire avec ce que l'étude du HCP confirme plus tard : « Le mariage reste encore largement considéré comme une valeur religieuse et sociale de référence » ! Maria Bichra, love coach, est d'ailleurs du même avis. Elle confirme ce constat avec beaucoup de conviction au détriment des chiffres avancés par le HCP. Forte de son expérience en coaching auprès des couples marocains depuis plus de quatre ans, elle insiste sur la grande importance de l'institution du mariage pour la majorité des Marocains et Marocaines. «Le mariage garde toujours cette place dans l'imaginaire et dans l'esprit des femmes et des hommes. C'est à travers cette institution que chacun réalise son accomplissement émotionnel et personnel. Cette perception erronée du mariage n'est que le résultat de préjugés limitants et négatifs pour la plupart «hérités» et puisés dans de mauvais modèles que ça soit auprès des parents, de la famille ou de l'entourage proche ou lointain», explique la coach. Des idées préconçues qui viennent se rajouter à la multitude de doutes qui malmènent les esprits et sapent la confiance des hommes et des femmes marocains en l'autre et en l'avenir dans ses différentes déclinaisons personnelles, sociales, économiques et politiques. «Je ne croyais plus à cela lorsque j'ai décidé de «contracter» un mariage arrangé dans le seul but de tomber enceinte et d'avoir un enfant. Mon ex mari était partant et nous l'avons fait au bout du compte», raconte Bahija qui se dit satisfaite de ce mariage en CDD. Des choix nouveaux qui illustrent une véritable mutation de mœurs et d'idées dans une société en pleine crise de confiance