Proposées au débat par l'Association Tahadi pour l'égalité et la citoyenneté (ATEC), les violences numériques sexistes contre les mineurs ont été au centre du 2ème séminaire national organisé par l'association. Activistes de société civile, juristes, experts sociologues et psychologues, ont tous analysé un phénomène qui prend de plus d'ampleur tout en piégeant dans ses filets de jeunes victimes. Iceberg « Rien qu'en 2020, l'ATEC a reçu plus de 100 cas de mineurs victimes de violences numérique. C'est énorme mais reste loin des chiffres réels car la loi du silence et le poids de la honte et de l'auto-culpabilisation empêchent un grand nombre de victimes de dénoncer leurs agresseurs » explique Bouchra Abdou, directrice d'ATEC. Un grand nombre qui a explosé pendant le confinement selon le témoignage de Mohamed Kilito, initiateur de la plateforme « Diha f rassek », très active sur instagram. « Notre mouvement a d'ailleurs vu le jour en riposte aux pages et aux comptes ayant la diffamation comme fond de commerce. Notre plateforme est une réponse à ces attaques. On soutient les victimes, les sensibilise aux dangers du net, les oriente vers les associations de protection d'enfance et des droits des femmes pour l'accompagnement et l'aide psychique et juridique », explique Kilito qui décrit « diha f rassek » comme un relais entre les victimes et leurs protecteurs Cyber-attaques Rappelons qu'en juin 2020, des pages et des comptes sur les réseaux sociaux, spécialement Whatsapp et Instagram, ont bombardé les fils d'actualité par des photos et des vidéos à contenu sexuellement explicite. Les protagonistes ? « Des jeunes femmes et des filles dont l'âge de certaines ne dépassent pas les 13 ou 15 ans », décrit l'initiateur de « Diha f rassek ». « Une attitude franchement revancharde dont l'objectif principal est de nuire à l'image de ces filles tout en sapant leur réputation », nous explique alors Bouchra Abdou. ATEC a offert alors les services de son centre d'écoute aux jeunes victimes. « Elles étaient désemparées, se sentaient perdues, isolées, pétrifiées par la peur des éventuelles représailles de la part de leurs familles... elles subissaient ce calvaire en silence », rajoute l'activiste. Derrière cette souffrance, se cachent des coupables anonymes qui créent chaque jour de nouveaux comptes pour attaquer en toute sécurité sans se compromettre. D'après Abdou, ce sont pour la plupart des ex-copains, des ex-amants oisifs, qui pendant le confinement, se sont découvert des occupations sadiques. « En possession de photos et de vidéos intimes de leurs petites amies, échangées auparavant, ou même se servant sur les comptes personnels de leurs victimes, ces agresseurs n'ont pas hésité à les poster sur ces pages aux noms sacrément péjoratifs tels « les putes de l'Agdal ». Pire encore, ils les publient en indiquant même le nom et le numéro téléphone de la victime dans une invitation explicite à l'harcèlement », s'insurge-t-on à ATEC. Loi 103-13 Revenge-Porn, flaming, slut-shaming, doxing et sextorsion... les agresseurs ne manquent pas d'imagination. « Le législateur non plus. La loi 103-13 protège les victimes et prévoit des peines allant de 3 mois à 2 ans de prison avec aggravation si l'agresseur est un proche : un mari, un fiancé ou un parent », rassure Maitre Zahia Ammoumou, avocate. Malgré la présence d'une loi qui ne demande qu'à être activée, beaucoup de mineurs qu'ils soient des filles ou garçons subissent en silence des attaques frontales les plongeant dans la panique et la dépression, comme nous l'affirme Soukaina Zerradi, psychologue clinicienne, opérant auprès des victimes de violence numérique au centre d'écoute de l'ATEC. « Ce qui caractérise la violence numérique c'est son aspect publique. La victime est doublement atteinte. Elle subie l'agression devant des centaines voire de milliers de « spectateurs » si l'agresseur décide à publier les photos ou autres vidéos. C'est une atteinte à son intégrité qui se prolonge dans le temps et dans l'espace », explique la clinicienne. Une agression qui est revécue à répétition et à chaque fois que les photos ou les vidéos sont visionnées par des internautes « voyeuristes ». « Le problème avec la violence numérique c'est son aspect « infini ». Impossible de s'en débarrasser définitivement et c'est la le côté profondément subversif de ce type de violence surtout pour des victimes aussi jeunes et fragiles », regrette Bouchra Abdou. Destruction massive Des propos confirmés par la psychologue qui est en contact direct avec la détresse des victimes et n'en connait que trop l'impact de telles épreuves sur leur santé psychique. « Pour demander de l'aide, pour pouvoir se confier à une personne adulte sans peur d'être jugées, les victimes mineures doivent avant tout surmonter leur peur et c'est une épreuve de taille », nous explique la psychologue. D'après cette dernière, quand les victimes arrivent à l'association, elles ont déjà développé de nombreux symptômes si ce n'est des maladies psychiques. « Dépression, insomnie, isolement, troubles anxieux avec une peur viscérale de l'autre et de sortir en public sont autant de manifestations de la profonde souffrance des victimes. Elles sont hantées par le regard des autres et par ce qu'ils peuvent dire d'elle », explique Soukaine Zerradi. La clinicienne affirme que le rapport à l'autre s'en trouve profondément affecté. Une crise de confiance et une difficulté qui peut devenir maladive à la longue. « Dans certains cas, nous notons l'apparition d'idées noires et des tendances suicidaires. Parfois, les victimes passent carrément à l'acte », regrette la psychologue. Dénoncez ! Abusées, menacées, diffamées... les jeunes victimes ont pourtant la possibilité de riposter en déposant plainte. Il suffit de vaincre sa peur, de se faire accompagner et d'avoir le courage de dénoncer son agresseur. « Si vous êtes victime d'harcèlement, de menace, de chantage ou de violence numérique de n'importe quel type, n'ayez pas peur ! Dénoncez vos agresseurs à la police ! La loi vous protège profitez-en et mettez fin à votre calvaire ! », appelle Zahia Ammoumou. « En plus de vous sauver, votre plainte sauvera d'autres victimes potentielles car elle mettra fin aux agissements de votre agresseurs mais pourrait aussi dissuader les autres agresseurs en donnant l'exemple », conclut l'avocate en marquant l'une des bonnes pratiques clés à adopter face à la violence numérique. Selon une enquête réalisée par ATEC sur la violence numérique, seulement 34% des femmes et des filles marocaines ayant subi des cyber-attaques ont pu briser le silence et dénoncer la violence numérique auprès de la police ou auprès de leurs proches. Tandis que 66% n'en ont jamais parlé à qui que ce soit en préférant affronter seuls leur calvaire. Aussi 87% des femmes victimes de violence numérique ont pensé au suicide, 20% sont passées à l'acte sans succès et une femme s'est donnée effectivement la mort après avoir subi une cyber-attaque.