Ce qui a commencé par de la compassion envers la jeune femme, héroïne de la sextape largement diffusée sur les réseaux sociaux, a finalement pris la forme d'une pétition populaire réclamant sa libération. Par Hayat Kamal Idrissi L'affaire de la jeune femme de Tétouan, baptisée sur la toile par « la fille au voile », n'a pas encore fini de susciter émoi et réactions. Après son arrestation mercredi soir par la police judiciaire de Tétouan et sa présentation au parquet, un véritable mouvement de solidarité s'est organisé sur les réseaux sociaux via une pétition populaire réclamant sa libération.
Libertés individuelles, encore et toujours
« Le code pénal marocain est en profond décalage avec l'évolution et les mutations de la société marocaine. Ces lois favorisent la culture du scandale et facilite la tâche aux personnes mal attentionnées pratiquant le chantage à l'aide de photos et de vidéos privées », dénoncent les pétitionnaires. « Cette jeune femme n'a fait que vivre sa vie, dans un cadre privé et sans causer de mal à qui que ce soit. Il faut plutôt arrêter ceux qui ont essayé de lui faire du chantage et ont diffusé sa vidéo », réclame la pétition. Rappelons que cette nouvelle affaire a éclaté après la diffusion, à grande échelle, d'une vidéo relatant des ébats sexuels entre la jeune femme et son compagnon. Aussitôt identifiée par la police judiciaire, cette dernière a été arrêtée et soumise aux interrogatoires tandis qu'un avis de recherche a été lancé pour arrêter son partenaire. Ce dernier est en effet suspecté d'être derrière la diffusion de la vidéo. L'année dernière, la ville de Tétouan a été encore le théâtre d'une autre affaire, aussi sordide, de diffamation et de traitement pornographique de photos et de données personnelles d'une vingtaine de jeunes femmes Remettant au goût du jour le grand débat à propos des libertés individuelles dans notre pays, l'affaire de la « fille voilée » n'est ni la première ni la dernière affaire du genre... Comme l'affirment d'ailleurs les chiffres effarants d'une enquête menée par le Haut Commissariat au Plan concernant la cyber-violence, datant de 2019. Ainsi elles sont près de 1,5 million de femmes au Maroc à en être des victimes au moyen de courriels électroniques, d'appels téléphoniques, de SMS… avec une prévalence de 14%. Ceci sans compter les 66% des victimes préférant se murer dans leur silence et subir, passivement, les assauts des maîtres chanteurs (Selon une étude de l'ATEC sur la violence numérique). Lois controversées, lois contradictoires
Risquant d'être poursuivie par le fameux article 490 du code pénal, la fille de Tétouan peut écoper d'une peine de prison si toutefois elle est inculpée par ce chef d'accusation. Cet article, objet de l'ire des défenseurs des droits humains et des libertés individuelles, stipule en effet qu'elles sont passibles «d'emprisonnement d'un mois à un an toutes personnes de sexe différent qui, n'étant pas unies par les liens du mariage, ont entre elles des relations sexuelles». Une loi controversée, qui avec l'amplification phénoménale des violences numériques dans notre pays, constitue un véritable frein pour les victimes pour dénoncer leurs agresseurs. « Qui eux savent en profiter largement car conscients de la menace légale pesant sur leurs victimes. Ces dernières deviennent, par la force de l'article 490, des coupables !!! », déplore Lamia Faridi, Avocate au barreau d'Agadir. « Le phénomène de la violence numérique ne cesse de prendre de l'ampleur. Les canaux et les moyens d'attaque diffèrent et les retombées se font de plus en plus lourdes sur la stabilité psychique, socio-économique et sur l'intégrité physique des victimes », nous explique Bouchra Abdou, directrice de l'Association Tahadi pour l'égalité et la citoyenneté (ATEC), initiatrice d'une récente étude sur la violence numérique dans notre pays. D'après l'activiste, la peur de la stigmatisation, la peur des poursuites judiciaires, la culpabilité, la crainte du rejet et des représailles de l'agresseur ou de la famille... sont autant de facteurs qui obligent les victimes de ce type de violence à se réfugier dans le silence. Une situation qui perdure malgré la mise en application de la loi 103-13 relative à la violence contre les femmes. « La loi 103-13, et spécialement l'article 447, est une véritable avancée susceptible de protéger les droits des citoyens touchés par la diffusion de vidéos privées », explique la directrice d'ATEC. Un acquis légal précieux qui n'est toutefois pas mis à profit par les citoyens mais surtout des personnes touchées qui ne sont même pas conscientes de leur « statut de victimes ». « Pour y arriver, il faut avant tout sensibiliser les citoyens à leurs droits et aux possibilités offertes par cette nouvelle loi anti violence contre les femmes mais aussi contre les hommes victimes de diffamation et de violence », conclut l'activiste.