87% des femmes victimes de violence numérique ont pensé au suicide, 20% sont passées à l'acte sans succès et une femme s'est donnée effectivement la mort après avoir subi une cyber-attaque... Ce sont quelques chiffres révélateurs de la dernière étude menée sur la violence numérique dans notre pays. Par Hayat Kamal Idrissi « Le phénomène de la violence numérique ne cesse de prendre de l'ampleur. Les victimes se multiplient parmi toutes les catégories sociales. Les canaux et les moyens d'attaque diffèrent et les retombées se font de plus en plus lourdes sur la stabilité psychique, socio-économique et sur l'intégrité physique des victimes », nous explique d'emblée Bouchra Abdou, directrice de l'Association Tahadi pour l'égalité et la citoyenneté (ATEC), initiatrice de cette nouvelle étude.
Mutisme
Axée sur la violence numérique dans notre pays, cette enquête a été réalisée par ATEC auprès des femmes et des filles marocaines ayant subi des cyber-attaques. Que ce soit à travers ses unités mobiles actives auprès des écoles et autres centres de formation ou au niveau de ces centres d'écoute à Derb Ghallef ou à Hay Hassani à Casablanca, l'association a pu noter « le grand silence qui enveloppe ce genre de violence », déplore la directrice d'ATEC. « La peur de la stigmatisation, l'auto-incrimination, la culpabilité, la crainte du rejet et des représailles de l'agresseur ou de la famille... sont autant de facteurs qui obligent les victimes à se réfugier dans le silence et à ne pas dénoncer leur agresseurs », exlique-t-elle.
Ainsi, d'après les résultats de cette étude, 34% seulement des victimes ont pu briser le silence et dénoncer la violence numérique auprès de la police ou auprès de leurs proches. Tandis que 66% n'en ont jamais parlé à qui que ce soit, en préférant taire l'affaire et affronter seules les assauts de leurs agresseurs. « A cause de ce mutisme, les chiffres du phénomène sont largement biaisés en sous-évaluant sa véritable ampleur », commente Bouchra Abdou. L'ennemi est si proche
Si le niveau intellectuel ou socio-économique n'ont aucune incidence sur la prévalence des victimes, les cyber-agresseurs eux ont une prédilection pour les proches. D'après les chiffres d'ATEC, les pires ennemis des femmes ne sont finalement que les hommes de leur propre entourage. Maris, ex maris, fiancés, ex petits-amis, employeurs, collègues... Ils représentent en effet 60% des agresseurs tandis que les inconnus ne dépassent pas 40%. Actifs sur plusieurs canaux, ces derniers sont toutefois plus virulents sur WhatsApp qui vient en tête avec 43% des attaques, puis sur Facebook qui représente 22%, Instagram avec 17%, puis Messenger avec 14%.
Les ravages
« Ces violences prennent différentes formes. Ca va des menaces au chantage en passant par l'harcèlement sexuel, verbal et moral... L'objectif étant de diminuer psychiquement la victime, la fragiliser au maximum », nous explique la directrice d'ATEC. Une souffrance morale doublée d'un sentiment de vulnérabilité et d'isolement total face à un type nouveau de violence. « Et qui n'est pas moins ravageur. Si ce n'est plus car durable dans le temps et l'effet », explique-t-on dans cette étude.
Ses initiateurs évoquent les graves répercussions sur la vie des victimes. Ainsi 66% sont carrément isolées, 28% sont rejetées socialement et 23 repoussées et mises à l'écart par leurs propres familles. La détérioration de la situation sociale des victimes affecte largement leur stabilité économique : 26% voient leur niveau de vie dégringoler après ces attaques, 18% perdent carrément leur emploi et 12% perdent leur logement. Selon la dernière enquête du Haut Commissariat au plan réalisée en 2019, près de 1,5 million de femmes marocaines sont victimes de violence électronique avec une prévalence de 14%. Ceci au moyen de courriels électroniques, d'appels téléphoniques, de SMS ou via des plateformes de réseaux sociaux. Toujours d'après les chiffres de cette enquête, le risque d'être victime de ce type de violence est plus élevé parmi les citadines ( à 16%), les jeunes femmes âgées de 15 à 19 ans ( 29% ), celles ayant un niveau d'enseignement supérieur ( 25% ), les célibataires ( 30% ) et les élèves et étudiantes ( 34% ).