Des mois après son éclatement en avril dernier, l'affaire de outing (délation) anti-LGBT signée Sofia Taloni continue de faire des victimes. L'artiste Abdelatif Nhaila en paie les frais... Par Hayat Kamal Idrissi
« La dictature des mœurs continue à faire des victimes innocentes comme mon ami l'artiste Abdelatif Nhaila. Victime de outing, il avait porté plainte et s'est retrouvé dans une situation complètement ubuesque ! », déplore le sociologue Mehdi Alioua. « Nous devons le soutenir car en luttant contre cette injustice ce sont les droits humains et les libertés individuelles que nous renforcerons », ajoute-t-il en soutenant le jeune artiste dans sa détresse. Mardi 6 octobre 2020, Nhaila a été condamné à une peine de 4 mois de prison avec sursis auxquels s'ajoute 10000 dirhams d'amende.
Menace et harcèlement
D'après les déclarations du jeune artiste, rapportées par le site stophomophobie.com, ce dernier a été victime de harcèlement et de menace de mort suite à la campagne de dénonciation massive menée contre les LGBTQ+. Initiée depuis la Turquie, cette affaire a fait couler beaucoup d'encre il y a quelques mois. Sofia Taloni, une « influenceuse » marocaine transexuelle, avait d'ailleurs directement ciblé Nhaila dans l'un de ses lives très suivis. L'acteur décide alors de porter plainte auprès du commissariat de la ville de Sidi Kacem dont il est originaire. Le jeune homme sera mis en garde à vue pendant 48 heures, avant d'être accusé de violation de l'état d'urgence sanitaire et d'outrage à un fonctionnaire durant l'exercice de ses fonctions. « Je souhaitais porter plainte pour diffamation contre une page Facebook qui m'avait insulté et menacé de mort. Au lieu de ça, des éléments de la PJ m'ont par la suite informé que j'étais placé en garde à vue sur ordre du parquet et que j'allais être poursuivi », explique-t-il. Mardi 6 octobre, le verdict tombe et l'artiste est condamné à une peine de 4 mois de prison avec sursis, une amende de 10.000 dhs et 1 dirham symbolique à verser au policier plaignant. « Abdellatif sera incarcéré si son amende n'est pas acquittée », regrette Alioua en appelant ses followers FB à soutenir massivement le jeune artiste. Délation homophobe
Rappelons que l'affaire de délation signée Sofia Taloni remonte au début avril 2020. Tout commence par la divulgation de photos et de données personnelles d'homosexuels marocains, publiés sur certaines applications de rencontre dédiées à cette communauté. Identité sexuelle révélée au grand jour, de nombreux membres subissent les conséquences et voient leur vie familiale affectée. Jetant de l'huile sur le feu, l'influenceuse transgenre Sofia Taloni, de son vrai nom Naoufal Moussa, a appelé dans une vidéo publié sur Instagram, à une campagne de délation visant la communauté LGBT au Maroc, « pour mettre fin à cette hypocrisie sociale » qualifie-t-elle alors.
Un appel qui n'est pas tombé dans l'oreille d'un sourd. Avec plus de 500.000 abonnés et des directs avec 100.000 spectateurs en moyenne, cet appel a engendré un large partage de photos d'utilisateurs de ces applications de rencontre sur les différents réseaux sociaux. De l'autre côté, les groupes LGBT ont mené une contre-attaque en lançant une campagne de dénonciation de ces violences, à travers visuels et textes dévoilant également l'identité des porteurs de discours homophobe. Des pages défendant les droits des homosexuels au Maroc ont commencé à recueillir des témoignages de victimes de violence et de harcèlement, afin de leur apporter le soutien psychologique nécessaire. Libertés individuelles
« Suite à la campagne de outing au Maroc, les témoignages sont malheureusement en nombre important, révoltants, effrayants et parfois tragiques. Une centaine de victimes de chantage, de cyber harcèlement, de violences sous toutes ses formes. Un suicide a-t-on appris », commente, révoltée, Btissam Lechgar, activiste du Mouvement MALI. « Mobilisons-nous ! Dénonçons et condamnons les actes incitant à la violence. Révoltons-nous contre l'injustice, contre l'homophobie et l'homophobie d'Etat ! », dénonce -t-elle sur son mur Facebook. Attaque et contre attaque, une bataille dont les plus grandes perdantes sont les libertés individuelles. Rappelons que la loi marocaine incrimine l'homosexualité. L'article 489 du code pénal, sujet de grande controverse, prévoit une peine de prison allant jusqu'à trois ans pour tout acte d'homosexualité.