Personne n'attendait que la récente rencontre entre Barack Obama et le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou à Washington débloque un processus de paix en état de mort clinique. Elle devait plutôt permettre aux deux hommes de mettre cartes sur table et de se jauger mutuellement. Cela a été le cas. Leur court entretien aura montré l'ampleur du fossé entre deux nouvelles administrations : l'une, israélienne, dominée par la droite et les ultranationalistes et qui estime la menace nucléaire iranienne prioritaire; l'autre, américaine, qui veut empêcher le conflit israélo-palestinien de parasiter plus encore ses deux priorités dans la région, l'Iran d'un côté, l'Afghanistan et le Pakistan de l'autre. C'est la raison pour laquelle Barack Obama entend mener de front processus de paix et programme nucléaire iranien. La rencontre du 18 mai a établi que ce ne sera pas facile, les positions israéliennes étant à l'opposé des demandes américaines. Intransigeance et durcissement israéliens Une semaine après cette rencontre, le Premier ministre israélien s'est opposé en conseil des ministres aux deux décisions réclamées, pourtant avec force, par le président américain : geler totalement la colonisation, qui continue à grignoter des terres palestiniennes en Cisjordanie, et se prononcer en faveur de la création d'un Etat palestinien. Plutôt que renouer avec le plan de paix lancé en 2003 par le Quartette (?tats-Unis, UE, ONU et Russie), Netanyahou préfère en effet négocier un «arrangement» avec les Palestiniens - basé sur des investissements économiques et une sorte d'entité palestinienne aux pouvoirs très limités et sans armée. De son côté, son ministre des Affaires étrangères, Avigdor Lieberman, a écarté tout retour d'Israël à ses frontières d'avant la guerre des six jours de 1967. Ce qui exclut de facto la création d'un Etat palestinien avec Jérusalem-Est comme capitale, comme le prévoyait le plan de paix arabe lancé en 2002. Ce double refus israélien s'ajoute à un réel durcissement : Israël Beitenou, le parti de Lieberman, a déposé un projet de loi voulant contraindre les citoyens israéliens, et donc le 1,2 million d'Arabes israéliens, à «jurer loyauté à l'Etat d'Israël en tant qu'Etat juif, sioniste et démocratique, à ses symboles et valeurs et à servir l'Etat», notamment dans le cadre du service militaire. Convaincre les Arabes «modérés» de s'engager Dans un tel contexte, toute la question est de savoir si Barack Obama peut faire changer d'avis ses interlocuteurs israéliens. C'est-à-dire obtenir d'eux le gel puis le démantèlement de la plupart des colonies de Cisjordanie en échange de la reconnaissance officielle d'Israël par tous ses voisins arabes. Pousser à un tel compromis est une nécessité aussi absolue que périlleuse pour le chef de l'exécutif américain. Absolue car ce dernier est convaincu que tous les dossiers - Irak, Iran, Syrie, Liban, Palestine - sont liés entre eux et qu'il faut donc les traiter ensemble. Une Syrie, engagée dans une dynamique de paix, pourrait en effet plus difficilement encourager au radicalisme Hamas et Hezbollah, ses alliés palestinien et libanais. Du coup, l'administration américaine a un besoin urgent d'obtenir un minimum de compromis des Israéliens. A commencer par le gel effectif de la colonisation dans les territoires occupés. C'est la condition sine qua non pour signifier aux pays arabes qu'il y a bien rupture avec la politique calamiteuse de l'administration Bush et que le temps du déséquilibre en faveur d'Israël est révolu. C'est aussi la seule manière d'amener les Etats arabes à s'engager en faveur d'un règlement global du conflit israélo-arabe. L'avertissement de Guantanamo Faute de cela, Barack Obama pourra encore moins convaincre les Arabes «modérés», et notamment ceux du Golfe, à s'engager dans un front contre la République Islamique, eux qui, sans le dire à haute voix, redoutent plus que tout de voir l'Iran chiite s'imposer comme la puissance régionale. Certes, on n'en est pas là pour l'instant, le ton à Washington étant plutôt à la conciliation avec le régime islamique. Mais la question se poserait inévitablement si Téhéran ne répondait pas aux avances américaines après l'élection présidentielle iranienne de juin. Cette nécessité absolue de faire pression sur les Israéliens pour les amener au compromis est aussi des plus périlleuses. Si Barack Obama peut multiplier les petits gestes signifiant à l'Etat hébreu que les règles du jeu ont quelque peu changé, il ne peut se permettre un rapport par trop conflictuel avec ce dernier. Surtout dans une période où il est contesté, y compris dans son propre camp, sur les affaires de terrorisme. On l'a vu notamment avec le récent refus des démocrates du Congrès - qui a suivi celui de la Chambre des représentants - de voter les 80 millions de dollars demandés pour fermer Guantanamo sans un plan précis sur le sort des 240 détenus qui y demeurent encore. Dans ce contexte, tout indique que Barack Obama tente surtout de convaincre les Israéliens que seul un règlement global leur permettra d'espérer le soutien des pays arabes, particulièrement des sunnites qui partagent avec l'Etat hébreu une crainte commune : les visées hégémoniques des Iraniens. Un soutien inattendu Une initiative de paix arabe permettrait-elle par ailleurs de renforcer quelque peu Mahmoud Abbas, le président plus qu'affaibli de l'Autorité palestinienne ? Le chef de l'exécutif américain n'a d'autre choix que de l'espérer. Faute de gouvernement d'unité nationale palestinien, nouer le moindre dialogue avec les islamistes du Hamas reviendrait à priver Mahmoud Abbas du peu de légitimité qui lui reste. Une telle initiative provoquerait en outre un tollé aux Etats-Unis même. Surtout si Hamas continue à refuser de reconnaître Israël. On le voit, pour Obama, la voie qui mène à la relance du processus de paix est étroite. Mais il dispose néanmoins d'un appui inattendu et non négligeable. Plusieurs leaders démocrates américains, qui figurent parmi les fidèles soutiens d'Israël, ont averti Netanyahou qu'il était temps de mettre fin à l'extension des colonies. Et Hillary Clinton elle-même, considérée comme une amie de l'Etat hébreu, a dénoncé publiquement la poursuite de la colonisation et exigé un changement radical de la politique israélienne en la matière.