Pour de nombreux Egyptiens, c'est le pire des scénarios. Pour le second tour des présidentielles, les 16 et 17 juin prochains, ils vont devoir choisir entre Mohammed Morsi, 61 ans, un islamiste, et le général Ahmad Chafik, 70 ans, un «fouloul», comme on appelle en Egypte les anciens du régime d'Hosni Moubarak. Les révolutionnaires de la place Tahrir n'avaient pas imaginé que la démocratie leur jouerait un tel tour : devoir choisir entre la peste et le choléra. Car les deux élus arrivés en tête n'étaient pas les vainqueurs des sondages qui pariaient sur Abdel Moneim Aboul Foutouh, l'islamisme modéré, dissident des Frères musulmans, et Amr Moussa, l'ancien ministre des Affaires étrangères en rupture de ban avec Moubarak. C'était oublier un peu vite que l'Egypte, profondément traditionaliste, ne se laisse pas bousculer aussi facilement par une poignée de jeunes révolutionnaires sympathiques. Personnage peu charismatique et très conservateur, Mohammed Morsi, vainqueur d'une courte tête avec 24,7% des voix, a derrière lui la lourde et efficace machine politique des Frères musulmans. Leurs réseaux caritatifs et les mosquées se sont mis au service du patron de Liberté et Justice, le parti des FM. Il était logique qu'il l'emporte même si les Frères ont perdu de leur aura depuis les législatives de janvier (45% des sièges). Arrivé second dans un mouchoir de poche (23,6% des voix), le général Ahmad Chakik a bénéficié des votes des nostalgiques de l'ancien régime, mais aussi ceux des Egyptiens, riches ou pauvres, qui veulent remettre le pays au travail, relancer le tourisme (plus de 100.000 emplois directs et indirects), et voire disparaître l'insécurité. L'ancien général a aussi bénéficié des votes des chrétiens (10% de la population) auxquels il a promis la paix religieuse. Ils sont inquiets de l'arrivée au pouvoir d'un islamiste. Qui va l'emporter ? Impossible de le prévoir. Ahmad Chafik dispose en théorie d'un réservoir de voix plus grand que son rival islamiste, les libéraux et les laïcs ayant divisé leurs voix entre trois candidats (Amr Moussa et le nassérien Hamdeene Sabbahi). Mais il a de farouches adversaires. Les jeunes révolutionnaires qui ont campé plusieurs semaines sur la place Tahrir et ont affronté les forces de sécurité au péril de leur vie, refusent le retour d'un ancien de Moubarak. Car l'ex-chef d'état-major de l'armée de l'Air fut aussi le dernier, et éphémère, Premier ministre que l'ancien raïs nomma une semaine avant son départ en février 2011. Les partisans du printemps égyptien ne veulent pas d'une révolution qui n'aurait servi à rien. Ils vont s'abstenir de voter ou donneront leur voix à Mohammed Morsi. Quoi qu'il en soit, ce sont eux qui vont faire la différence. Ils vont faire l'élection. Déjà à la surprise générale, ils ont permis qu'un outsider, Hamdeene Sabbahi, nassérien, laïc, prorévolutionnaire soutenu par les intellectuels, arrive sur les talons d'Ahmad Chafik (20,7% des voix). Les deux finalistes n'ont donc qu'une idée en tête : se poser en défenseur du printemps égyptien. Ce qui n'est pas sans saveur alors que les Frères musulmans ont pris le train en marche et qu'Ahmed Chafik était Premier ministre le jour où des dizaines de nervis du pouvoir montés sur des chameaux et des chevaux ont dévasté la place Tahrir et causé plusieurs dizaines de morts. Son éventuelle victoire, même soutenue par les militaires, risque de causer des remous.