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On ne sait jamais ce que le passé nous réserve
Publié dans L'observateur du Maroc le 10 - 05 - 2012

L'actualité est un château hanté. Des fantômes que l'on croyait enterrés ressurgissent et font du raffut à la une. Kadhafi est l'un de ces revenants. Il réapparait dans la dernière ligne droite avant le second tour de l'élection présidentielle en France. Non pour demander des comptes à Nicolas Sarkozy sur l'intervention en Libye dont le bilan, notamment au Sahel, pourrait nourrir d'utiles débats. Mais pour créer un scandale, dénigrer son vainqueur en l'accusant de corruption, obtenir une revanche posthume. Le 1er mai, 50 millions de brins de muguet ont été vendus en France mais c'est bien une odeur de boules puantes qui a envahi la campagne
Tout est parti d'un site internet d'extrême gauche, Médiapart qui a publié la photocopie d'un document censé établir que Tripoli aurait décidé en 2006 de financer la campagne qui permit à Nicolas Sarkozy d'accéder à l'Elysée, en lui versant 50 millions d'euros. Le document peine à convaincre. Il porte la signature de Moussa Koussa, alors patron des Services de renseignements extérieurs. Ce pilier du régime a pris la fuite à temps et coule aujourd'hui une retraite discrète au Qatar. Discrète car ses ennemis restés au pays sont nombreux, notamment ceux qui lui réclament des comptes sur le sang versé.
Moussa Koussa prétend que le document publié est un faux grossier. Le texte fait référence à une réunion à Tripoli avec Béchir Saleh, le Directeur de cabinet de Kadhafi. Qui dément lui aussi. Tout comme Zyad Takieddine, l'intermédiaire libanais dans les relations franco-libyennes. Celui-ci est en délicatesse avec la justice et en garde rancune au pouvoir. Il appelle à voter pour F. Hollande pour « éradiquer un système de corruption à la tête de l'Etat» mais il reconnait cependant n'avoir jamais entendu parler de cette réunion à laquelle il est censé avoir participé… Il se trouvait d'ailleurs à Genève à la date indiquée. Les titres officiels et le style général du courrier ne ressemblent pas à ceux en usage dans la Jamahiriya. Le montant avancé dans le document est extravagant, deux fois et demie le prix total d'une campagne présidentielle. Cela laisse penser à une escroquerie de «haut vol» plutôt qu'à un financement illégal.
Mais comme chacun sait que «le Guide» a arrosé à fonds perdus pendant des décennies groupes terroristes, causes perdues et gouvernants corrompus, l'air de la calomnie sonne juste. Enfin, le timing de cette publication, à une semaine du second tour, rend l'affaire définitivement suspecte. On pouvait s'attendre à pareil montage. Depuis des mois, à Tunis, au Caire, en Afrique, d'anciens Kadhafistes en exil annoncent un scandale qui les vengera de Nicolas Sarkozy. D'anciens apparatchiks proposent aux journalistes, contre paiement, des documents qu'ils jurent authentiques. Ils suivent la voie tracée par Saef Al Islam, lui-même. Dès que les Rafales ont commencé à bombarder l'armée libyenne, le fils de M. Kadhafi avait promis de révéler dans le détail l'aide apportée par le régime de son père au financement de la campagne présidentielle en France.
Il jurait de fournir les preuves, les noms, les numéros de comptes… On allait voir ce qu'on allait voir ! On a attendu, pendant des mois. Les menaces se sont évanouies comme les mirages dans le désert et les Rafales dans le ciel. La révolution a liquidé Kadhafi mais le monde tarde à se libérer des Kadhafistes. Le règne d'Ubu s'est achevé dans les faubourgs de Syrte, pas le chaos qu'il avait institué en système. Et le guide n'a pas apporté tout ses secrets dans sa tombe. Son bras droit, Béchir Saleh qui avait la haute main sur le magot à l'étranger vit entre Paris et le Niger où il a même acheté un passeport diplomatique. Armé de cette immunité, on l'a vu circuler en Afrique du sud et en Tunisie. Jusqu'au bout, il aura servi de go-between entre Tripoli et Paris.
Au début de l'été encore, alors que la guerre semblait dans l'impasse, il négociait à l'Elysée un éventuel retrait de Kadhafi en échange d'un arrêt des bombardements… Ce qui donne un bel exemple de la schizophrénie des Etats : au même moment, les diplomates du Quai d'Orsay tenaient un discours radical au diapason de l'indignation des militants de l'humanitaire pour dénoncer le régime libyen et promettre la potence à son chef… Après l'immunité réservée au bras gauche, l'impunité du bras droit : pendant des décennies, le plus intime des conseillers de Kadhafi aura été son beau-frère Abdallah Al Senoussi, redoutable et insaisissable chef des services secrets. Il végète désormais en Mauritanie. Il a été arrêté avec un passeport malien à l'aéroport de Nouakchott.
Il arrivait du Maroc où il venait de passer des mois. Il a beau être recherché par la Cour pénale internationale, avoir été condamné par contumace en France, les autorités ont annoncé qu'elles n'envisageaient de l'extrader que vers Tripoli. Sauf qu'il n'y a aucune garantie qu'un accusé puisse être jugé ou même détenu aujourd'hui en Libye… Des milliers de suspects sont aux mains des milices, livrés à l'arbitraire et soumis à la torture. Sans attendre qu'un Etat de droit surgisse du chaos, Abdallah al Senoussi serait sur le départ. On parle du Nicaragua, décidément accueillant aux despérados qui disposent d'un solide viatique. « On ne sait jamais ce que le passé nous réserve ». Ce passé qui ne passe pas et peut vous rattraper au moment le plus inattendu constitue une mine d'or pour les médias et une menace pour les hommes d'Etat. C'est aussi une vérité profonde.
Chacun connait dans sa vie des situations typiques, des crises qui ont tendance à se répéter. Si l'on envisage que le document de Mediapart soit un faux, forgé pour abattre Nicolas Sarkozy, on est frappé de dresser le parallèle avec les pseudos fichiers de l'affaire Clearstream. Il y a cinq ans, Nicolas Sarkozy était aux prises avec ce scandale ébouriffant qui faillit ruiner sa réputation. Il se battit avec indignation. Et mit des années à faire valoir ses droits en justice… Contre Médiapart aussi, il a porté plainte. Et le site a renchéri en se posant en victime comme le fit en son temps Dominique de Villepin. A chaque fois, le parti socialiste aura profité du climat en prétendant s'en remettre à la justice pour connaitre la vérité. Ce qui est habile autant qu'hypocrite. Décidément, le mandat de Nicolas Sarkozy se termine comme il avait commencé !
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