La circulaire n°6640/214, publiée le 20 février 2025 par la douane, redéfinit les règles de régularisation des écarts de densité dans les importations de fuel. En distinguant procédures rétroactives et contrôles prospectifs, elle impose une transparence renforcée aux acteurs pétroliers, tout en consolidant le rôle du LOEM comme arbitre fiscal incontournable. Décryptage des impacts économiques, réglementaires et opérationnels d'une circulaire qui révèle les failles historiques du secteur pétrolier. Le 20 février 2025, l'Administration des douanes et impôts indirects (ADII) a publié la circulaire n°6640/214, visant à résoudre une anomalie persistante dans la comptabilité en matière du fuel liée aux écarts de densité mesurés entre les navires et les bacs de stockage. Ce texte, qui s'appuie sur des circulaires antérieures (n°5460/312 et n°6583/214), introduit des mécanismes de régularisation distincts pour les importations passées et futures. Pour en saisir les enjeux, analysons les implications opérationnelles de la circulaire sur les importateurs de produits pétroliers. La circulaire n°6640/214 instaure une distinction importante entre les importations passées et futures, redéfinissant les obligations des acteurs pétroliers. Pour les importations antérieures au 20 février 2025, les sociétés sont tenues de régulariser les excédents de poids via une déclaration fondée sur l'écart de densité mesuré entre leurs bacs de stockage et les résultats du Laboratoire officiel de l'énergie et des mines (LOEM), une procédure exempte de contentieux visant à résorber les stocks historiques. Une approche clémente, bien que rétroactive, qui limite les risques juridiques tout en imposant une transparence accrue sur les données antérieures. En revanche, pour les importations futures, la régularisation s'appuie sur une comparaison systématique des densités analysées par le LOEM, prélevées à la fois sur le navire et dans les bacs, dans la limite du taux d'incertitude contractuel mentionné sur les factures. Tout dépassement de ce seuil déclenchera des poursuites contentieuses, plaçant les importateurs face à une exigence de précision métrologique inédite. Une dualité temporelle qui génère des coûts supplémentaires liés aux prélèvements doubles et à la modernisation des systèmes de mesure, tandis que le risque contentieux force les entreprises à internaliser des investissements dans des équipements haute précision. Comme le souligne un comptable, «cette circulaire impose une comptabilité matière hypergranulaire. Les écarts de densité, auparavant absorbés dans les marges d'erreur, deviennent des variables fiscales critiques», transformant ainsi des variations physiques en enjeux financiers directs. L'équilibre entre régularisation rétroactive et contraintes prospectives illustre la volonté de l'ADII de concilier apurement du passé et prévention des fraudes futures, tout en complexifiant la gestion opérationnelle des importateurs. Le LOEM : arbitre technique et garant de la conformité Avec l'entrée en vigueur de la circulaire n°6640/214, le LOEM, déjà incontournable dans le contrôle qualité des carburants grâce à l'analyse annuelle de 3.200 à 3.500 échantillons, consolide son statut d'arbitre technique. Ses résultats déterminent désormais la base imposable des excédents de fuel, transformant ses conclusions en références fiscales incontestables. Une évolution qui impose une double exigence. D'une part, la réalisation systématique de prélèvements comparatifs entre le navire et les bacs de stockage, nécessitant une synchronisation logistique parfaite et une traçabilité absolue pour éviter toute invalidation des données. D'autre part, le maintien d'un taux de conformité de 98%, comme relevé dans un précédent article publié dans la presse, qui conditionne sa crédibilité face à d'éventuelles contestations juridiques. Le LOEM doit ainsi concilier rigueur scientifique et impératif légal, dans un contexte où chaque écart de densité, même infime, peut avoir des répercussions financières majeures. En effet, si ses équipements sophistiqués et ses procédures standardisées garantissent une objectivité totale, un écart de densité de 0,1% peut générer des milliers de dirhams d'impôts indirects. Ce qui souligne à la fois la précision requise et l'enjeu économique sous-jacent, faisant du LOEM un maillon clé de la chaîne de valeur fiscale et réglementaire aux yeux de chacune des parties. Les directions régionales de l'ADII : pivot opérationnel de la régularisation Avec la circulaire n°6640/214, les directions régionales de l'ADII endossent elles aussi un rôle élargi, passant du simple accompagnement des opérateurs à une supervision active des processus de régularisation. Leur mandat inclut désormais la vérification minutieuse des déclarations rétroactives, où elles doivent croiser les données fournies par les sociétés avec celles certifiées par le LOEM, assurant ainsi l'exactitude des régularisations historiques. En parallèle, elles sont en première ligne pour gérer les contentieux liés aux importations futures non conformes, notamment lorsque les écarts de densité excèdent les taux d'incertitude autorisés. Cependant, ce renforcement des prérogatives régionales soulève un défi majeur : l'harmonisation des pratiques entre les différentes juridictions. En effet, des interprétations divergentes des textes, ou des niveaux de tolérance variables dans l'application des contrôles, pourraient créer des distorsions concurrentielles, défavorisant les opérateurs soumis aux régions les plus strictes. «Pour éviter cet écueil, l'ADII devra imposer des guidelines nationales unifiées et former ses équipes à une application homogène de la circulaire, garantissant ainsi une équité territoriale tout en préservant l'efficacité du dispositif. Cette coordination est d'autant plus cruciale que les contentieux futurs pourraient fragiliser la crédibilité globale du système si les décisions régionales apparaissent incohérentes», souligne un expert du secteur. Sociétés de distribution et stations-service indirectement impactées Si la circulaire n°6640/214 cible prioritairement les importateurs, ses ramifications s'étendent à l'ensemble de la chaîne pétrolière, s'articulant avec d'autres réformes structurantes telles que l'extension du marquage fiscal du gasoil et du supercarburant (circulaire n°6522/210). Depuis le début de l'année 2025, ces carburants doivent intégrer des marqueurs agréés pour garantir leur traçabilité, en particulier lorsqu'ils bénéficient d'exonérations de Taxe intérieure de consommation (TIC) au profit de secteurs stratégiques comme la pêche maritime ou l'avitaillement des navires. Cette double contrainte – régularisation des excédents et marquage – crée un risque de «contamination régulatoire» : une erreur dans la gestion des stocks excédentaires, comme une discordance entre les densités déclarées à l'import et celles mesurées en bac, pourrait compromettre l'intégrité du marquage fiscal, rendant les produits commercialisés frauduleux vis-à-vis de la réglementation et exposant les acteurs à des sanctions. Comme l'explique une source, «le marquage fiscal ajoute une couche de complexité. Si les densités déclarées à l'import ne correspondent pas à celles en bac, toute la chaîne est suspecte». Une interdépendance qui exige une synchronisation parfaite entre les données techniques (densité, volume) et les dispositifs fiscaux (marquage, exonérations), transformant les moindres écarts en leviers potentiels de fraude ou, à l'inverse, en motifs de sanction. Les importateurs et distributeurs doivent donc non seulement maîtriser leurs processus logistiques, mais aussi anticiper les interactions entre ces deux réformes, sous peine de voir un simple excédent de stockage déclencher une cascade de non-conformités réglementaires. Une circulaire qui tombe dans un contexte de baisse des importations Alors que les importations marocaines de produits énergétiques ont reculé de 6,5% en valeur en 2024 (114,043 milliards de dirhams), les gas-oils et fuel-oils conservent une place dominante, représentant 57,015 milliards de dirhams, soit 49,99% – près de 50% – de la facture totale. Cette prépondérance explique en partie l'adoption de la circulaire n°6640/214, qui s'intègre dans une stratégie étatique duale : optimiser la collecte de la TIC et éradiquer les pratiques informelles. En 2023, les 2% d'échantillons non conformes identifiés – bien que minoritaires – ont généré un manque à gagner fiscal non négligeable, lié à des carburants sous-taxés ou échappant au contrôle douanier. Parallèlement, les «stocks fantômes», issus d'excédents non régularisés, alimentaient un circuit informel où ces produits étaient revendus sans acquittement de la TIC, privant l'Etat de recettes cruciales. Rappelons que la TIC représente une part importante des recettes fiscales liées aux carburants. Pour donner une idée des montants que cela représente, jetons un coup d'œil dans le rapport du 2e trimestre de l'année 2024 relatif au suivi des engagements pris par les sociétés de distribution en gros du gasoil et d'essence dans le cadre des accords transactionnels conclus avec le Conseil de la concurrence. Le rapport indique que la TIC représente 73% des recettes fiscales totales générées par l'importation de gasoil et d'essence au titre du 2e trimestre 2024. Plus en détails, on apprend que les recettes fiscales totales (TIC + TVA) liées à l'importation de carburants s'élèvent à 7,19 milliards de dirhams (MMDH) pour le deuxième trimestre 2024, avec une prédominance marquée de la TIC. Celle-ci représente 5,23 MMDH, soit 73% des recettes totales, tandis que la TVA contribue à hauteur de 1,96 MMDH (27%). La répartition par type de carburant révèle une forte concentration sur le gasoil, qui génère 4,29 MMDH de TIC (83% des recettes TIC), contre 0,94 MMDH pour l'essence (17%). L'augmentation des recettes de la TIC (+11% par rapport à 2023) s'explique principalement par une hausse des volumes d'importation (+11,2 %), soulignant l'impact direct de l'activité logistique sur les rentrées fiscales. Par ailleurs, le rapport met en avant le rôle central des neuf sociétés, opérant dans le secteur des hydrocarbures, épinglées par le Conseil de la concurrence dans cette dynamique : elles captent 85,4% des recettes fiscales totales (6,14 MMDH), dont 4,47 MMDH proviennent de la TIC, illustrant ainsi leur poids dominant dans le secteur des importations de carburants. La circulaire agit donc comme un levier correctif : en imposant la régularisation des écarts de densité, elle réduit les opportunités de dissimulation de stocks et de sous-déclaration fiscale. Comme l'on peut constater, «cette mesure comble un vide juridique exploité par certains acteurs». Comme le révèlent les chiffres de l'Office des Changes, en 2024, les gas-oils et fuel-oils comptaient pour 50 % des importations énergétiques. Ainsi, chaque dirham récupéré sur ces volumes est stratégique. L'enjeu est d'autant plus pressant que la baisse globale des importations (-7,954 milliards de dirhams entre 2023 et 2024) pourrait masquer une pression accrue sur les marges des opérateurs, tentés de compenser par des optimisations agressives. En ciblant à la fois la qualité des carburants et l'exactitude des déclarations, l'ADII renforce ainsi son maillage fiscal, dans un secteur où chaque variation de densité peut se traduire par des gains ou des pertes substantiels pour les finances publiques. Moins de pannes mécaniques et stabilisation des prix : les impacts collatéraux Dans un contexte marqué par des scandales récurrents de carburants non conformes ayant endommagé des véhicules, – comme la presse en a fait écho il y a quelque temps -, la circulaire n°6640/214 contribue indirectement à sécuriser la chaîne d'approvisionnement en renforçant les contrôles en amont. En exigeant des analyses comparatives de densité entre navires et bacs, elle réduit les risques de dilution ou de contamination des produits lors du stockage ou du transport, garantissant ainsi une qualité conforme aux normes jusqu'aux stations-service. Une traçabilité accrue qui contribue à rétablir la confiance des consommateurs tout en limitant les coûts cachés liés aux pannes mécaniques, souvent supportés par les automobilistes. Parallèlement, en éliminant les pratiques frauduleuses (vente de stocks fantômes, surfacturation des volumes), la circulaire participe à une stabilisation des prix. Une meilleure visibilité sur les quantités réelles disponibles et une taxation plus juste réduisent les manipulations spéculatives, évitant les pics de prix artificiels. Ainsi, chaque acteur de la chaîne – des importateurs aux distributeurs – est incité à aligner ses pratiques sur des standards transparents, créant un environnement économique plus prévisible. Cette double dynamique, qualitative et financière, illustre comment une mesure technique apparemment sectorielle peut générer des bénéfices systémiques pour l'ensemble du marché énergétique marocain. Une opportunité de modernisation dans le secteur La circulaire n°6640/214 cristallise une évolution réglementaire majeure pour le secteur pétrolier marocain. En alignant les pratiques comptables sur les réalités physiques des produits, elle renforce la transparence, mais complexifie la gestion des importateurs. Dans un contexte de baisse des importations énergétiques (-7,954 milliards de dirhams entre 2023 et 2024) et de durcissement des normes (marquage fiscal, LOEM), cette réforme illustre la quête d'équilibre entre contrôle étatique et compétitivité économique. Reste à voir si les acteurs sauront transformer cette contrainte en opportunité de modernisation. Bilal Cherraji / Les Inspirations ECO