Al Adl Wal Ihssane et Annahj Addimocrati veulent faire du Mouvement 20 février le fer de lance de la politique du pire. Qui aurait pu imaginer «se tutoyer», un jour, Cheïkh Yassine et le «camarade» Abdellah Hrif ? A moins d'être surréaliste, l'idée n'arriverait même pas à effleurer l'esprit. Et pourtant, les liens d'Annahj et d'Adl ne font que se renforcer, jour pour jour, depuis ce mémorable 20 février. Voilà, le mot est lâché. Le 20 février, puisque c'est de cela qu'il s'agit, a permis à Annahj (extrême gauche) et à Al Adl (mouvement islamiste radical) d'accaparer l'attention, au point de tirer toute la «couverture» médiatique ou presque vers eux. La récente sortie de Khalid Naciri, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, sur les plateaux de télévision, nationaux autant qu'étrangers, n'a pas surpris le commun des observateurs. Tout le monde savait, on le sentait, que les mouvements indiqués ont surfé sur la vague du 20 février pour nous resservir, sur Facebook ou (pire encore) sur la place publique, autres revendications que celles arborées par la jeunesse marocaine, soit la réforme constitutionnelle et politique. OPA islamiste On est loin de ces vœux somme toute légitimes, loin des slogans communément admis, y compris par le pouvoir, tels «A bas la corruption !», ou encore ces appels compréhensibles au jugement des symboles de ce fléau dont bon nombre continuent, en effet, d'«opérer» impunément. On n'est plus dans la logique des revendications pacifiques, constitutionnellement garanties, et politiquement largement partagées. On se trouve, mine de rien, sur le mode de la rupture, voire l'affrontement et la confrontation avec l'Etat. Les événements du 22 mai, particulièrement au quartier Sbata, à Casablanca, en disent long sur une déviation préoccupante des manifestations de leur idée de départ. Vous comprenez, évidemment, que cette déviation ne porte pas la signature d'une jeunesse dont l'horizon d'attente se résume à une aspiration commune au changement, une répartition équitable des richesses, l'égalité de tous devant la loi … D'ailleurs, nombre de jeunes militants s'étaient empressés, au lendemain des événements malencontreux du 22 mai, de marquer leurs distances vis-à-vis de la mouvance islamiste Al Adl Wal Ihssane et du parti d'extrême gauche Annahj Addimocrati. Saïd Benjebli, l'un des fondateurs du Mouvement, affirment au «Temps» avoir déjà mis en garde contre une probable « manipulation des jeunes par des gauchistes extrémistes qui, au-delà d'Annahj Addimocrati, engloberaient les islamistes radicaux ». Ces deux mouvements sont, en effet, pointés comme responsables de la dérive. Mais il y a plus grave, ces jeunes réalisent, aujourd'hui, que non seulement leur mouvement a été «infiltré» et «manipulé» mais aussi, - et c'est grave-, «approprié» par Annahj Addimocrati et Al Adl Wal Ihssane. L'attaque en règle perpétrée par un leader d'Al Adl contre le Mouvement 20 février, via une vidéo postée sur Facebook, nous édifie sur cette espèce d'OPA lancée par la mouvance d'Abdessalam Yassine et sa stratégie de «détournement» de ce mouvement de jeunesse. Contacté par Le Temps, Mohamed Darif, spécialiste des mouvements islamistes, a mis en garde contre toute forme de fixation sur le seul mouvement d'Al Adl Wal Ihssane, d'autant plus que la «position» de ce dernier était «claire dès le départ». «Nous sommes une partie de ce peuple qui a appelé à cette marche», avait précisé le porte-parole d'Al Adl Wal Ihssane, Fathallah Arsalane, au lendemain de la marche du 20 février, en s'élevant contre «le degré de tension atteint par le pays». Rien d'étonnant, quand on sait que la Jamaâ s'est fait, au départ, un peu «discrète» sur ses intentions. Or, à l'état actuel des choses, nous voilà face à un scénario inattendu. Avec Annahj Addimocrati, ou pire encore la Salafyia Jihadia, Al Adl Wal Ihssane provoque l'Etat à la confrontation. Réagissant à l'idée d'organiser une campagne de propreté, lancée récemment par des jeunes du mouvement 20 février, un leader de la Jamaâ de Cheïkh Yassine a eu cet éclair : «Si nos rues devaient être nettoyées, ce serait bien du sang qui y coulerait». «Un cocktail molotov» Voilà, c'est dit. Restait à s'interroger si la Jamaâ allait joindre l'acte à la parole. Les incidents du 22 mai venaient confirmer cette menace. La sortie publique du ministre Naciri sonnait comme un cri d'alerte sur le danger que devrait représenter ce trio d'enfer : Al Adl Wal Ihssane, Salafyia Jihadia et Annahj Addimocrati. «Un cocktail molotov», alerte un analyste, l'air grave. Mais plus grave encore, cette escalade était intervenue alors que le projet de réforme constitutionnelle venait d'être mis sur les rails. Vous constaterez que l'agitation d'Al Adl était moins intéressée par le désir de changement que par une volonté délibérée de déstabilisation, partagée par les anar' du parti Annahj Addimocrati. Projet qui a jusqu'ici capoté, autant que la fameuse «Qawma» qui ne s'est pas réalisée en 2006, contrairement aux «prévisions» de Cheïkh Yassine. Reste, le mouvement 20 février. Sur ce point, il faut tout de même concéder une petite «victoire» aux disciples de Cheïkh Yassine. Ce mouvement, qui a bénéficié d'un plébiscite généralisé, y compris par les hautes sphères du pouvoir, est victime d'Al Adl et autres militants de la gauche radicale. Banalisé, voire vidé de son essence, il va devoir opérer une «purge» interne pour pouvoir continuer à porter, plus haut et plus loin, une aspiration populaire au changement. La remise en selle de ce mouvement passerait par le tracé d'une ligne de démarcation par rapport à l'opportunisme de mouvements en déphasage avec les préoccupations réelles d'un pays en quête de modernité, de démocratie et de progrès. Mouvements inscrits en porte-à-faux avec l'histoire d'un pays qui a cultivé, au fil des siècles, l'image de creuset de tolérance, de fraternité et de stabilité. M'Hamed Hamrouch Le nihilisme érigé en mode de pensée Rien ne semble trouver grâce aux yeux d'Al Adl Wal Ihssane et d'Annahj Addimocrati, pour ne citer que ces organisations extrémistes. Ni le patient processus de réformes démocratiques, ni les percées encourageantes sur le front social, moins encore les progrès économiques du royaume. Ce «déni» de progrès a un nom : le nihilisme. Et son pendant est le fâcheux «A quoi bon ?», chanté par les sirènes du pessimisme. Or, ces mouvements frondeurs ont-ils une alternative à offrir aux Marocains? Circulez, il n'y a rien à voir. A part, peut-être, cette curieuse «Qawma» de Cheïkh Yassine qui ne s'est pas réalisée et cette nostalgie de la défunte ère marxiste-léniniste. Dire que les deux mouvements restent à des années lumière des réelles préoccupations populaires. Quand à leur négationnisme, il faut ajouter la violence verbale de leurs discours, ou leur «foi» dans la violence tout court, on a de la peine à imaginer qu'ils soient tolérés par les Marocains.