Partout ou presque, le mouvement du 20 février est vicié, envahi par al Adl Wa al Ihssane. Décryptage. En ce dimanche 22 mai, le point de non retour a-t-il été atteint ? Hélas, tout porte à le croire. Le mouvement du 20 février, jadis porte-étendard d'une promesse de démocratisation imminente, s'est manifestement dissous dans une conjugaison d'intérêts qui sont loin, très loin d'être les siens. Auparavant, ce souci de maintenir la pression sur le système, de s'assurer par des sorties dominicales réglées au métronome, que nul ne faillira à sa promesse de changement, a buté contre un obstacle autrement plus obscure. Que s'est-il passé ce 22 mai ? D'abord il y eut le dimanche d'avant. Le 15 mai 2011. Une expédition romanesque. Tout feu tout flamme, nos jeunes ont décidé de “libérer” le bagne de Témara, ce résidu présumé des années de plomb. Les scènes furent terribles. Chargeant ce qui, depuis, ne s'est avéré être qu'un siège vétuste de la DST, ils se sont heurtés à la tension à fleur de peau des forces de l'ordre. Le raout, il faut le dire, ne s'accompagnait d'aucune autorisation officielle. Là, marquons une pause. Faut-il défiler où on veut, quand on veut, dans un déni total du droit de manifester ? Il est des démocraties historiques qui ne l'auraient pas toléré. La nôtre, naissante, a eu le même reflexe. Friction. Les nerfs ont lâché. Il y eut des dégâts collatéraux. Sur les réseaux sociaux, le grand satan makhzenien en prit pour son grade. Les vidéos de 20 fébréristes ensanglantés firent le tour de la Toile. Et puis, toute la semaine durant, le porte-parole du gouvernement, le procureur du roi près de la Cour d'appel de Rabat, le secretaire générale du CNDH (Conseil national des droits de l'Homme), se sont escrimés à expliquer que les relents de Dar El Mokri n'avaient plus de prise sur le royaume de l'époque actuelle. Et revoilà Cheikh Yassine ! Vint ensuite le drame. L'insurrection spectaculaire des bagnards de Salé. Des Salafistes enragés voulurent se faire justice eux-mêmes. Ils prirent en otages 11 matons, démembrèrent murs et installations du centre pénitentiaire, et, pour crier victoire, grimpèrent sur les toits de la prison et défilèrent, victorieux, de la délectation dans leurs regards psychopathiques. Pourquoi cette mutinerie ? Pourquoi maintenant. La libération de 190 détenus dont une majorité de Salafistes aurait-elle servie d'appel d'air pour ceux, malheureux, qui demeurèrent sous les verrous. Puisque l'air est au dédouanement des torts passés, pourquoi ne pas libérer tout le monde finalement ? La liberté sélective se devait d'être générale. A Salé, on crut dur comme fer à la logique. Fadaises. Il arriva donc ce qui arriva. Devions-nous doté les incarcérés post-16 mai 2003 d'un quelconque doute s'agissant de leur culpabilité ? L'exercice est périlleux. Quelques jours plus tard : le 22 mai. De prime abord, une sortie 20 fébrériste classique. Or, ce qu'on a vu dépasse l'entendement. Partout ou presque, le mouvement fut vicié, envahi par al Adl Wa al Ihssane. L'association de Cheikh Yassine, revenue récemment en pseudo-grâce, encensée pour son civisme, son organisation et ses revendications pacifistes. «C'est le second coûteau parfait des jeunes facebookiens», se sont émus de concert les plus niais d'entre nous. Subitement, nous avons été frappés d'un oubli criminel. Il ne s'agissait plus pour cette mouvance de créer une république de Dieu, une théocratie talibane dans laquelle toute commanderie des croyants serait proscrite. Oui, les esprits progressistes ont passé ce raisonnement par pertes et profits. Pis, le parfum du jasmin, tellement frais, paralysa protection civile et gendarmerie, lesquelles, devant l'afflux grandissant des adlistes aux côtés des jeunes, firent mine de n'y rien voir, de n'y rien comprendre. Grave erreur. Le 22 mai, des slogans aux antipodes des doléances sociales du 20 février, furent entonnés. Oui disons le, on demanda la chute du système, on hurla, rageurs, des slogans anti-monarchiste. L'Œuvre n'est aucunement l'apanage des jeunes. Eux, sont tournés vers une réforme sociale laique, oui laique et soucieuse de préserver le socle protecteur de la monarchie alaouite, plusieurs fois centenaire. Les autres, adlistes et aujourd'hui salafistes, luttent pour un tout autre dessein : ouvrir le chapitre médiéval de l'absolutisme fanatique. Que l'on ne s'y trompe pas. Donc, cette journée fut celle de tous les excès. Excès dans le zèle adliste, excès dans la riposte policière. Ce fut le bal de l'emballement négatif. Les quartiers populaires ont été investis. Pour la première fois, on quitta les grande artères pour provoquer, dans la pénombre des ruelles, le petit peuple docile, l'endoctriner aux thèses de la révolte sans cause. Or que vit-on ? A Sbata, tandis que des barbus doués en agitprop tentèrent d'annexer les riverains en hululant des slogans sociaux, on leur rétorqua ceci: «T'es qui pour parler en mon nom ? dégage». Douche froide. Le «dégage» suscite du «dégage» lequel «dégage» provoque davantage de «dégage»… C'est la dégage attitude collective. La boucle est bouclée. Beau gâchis… Il paraît loin le temps, où, soucieux de battre le pavé en paix, les facebookers constituaient des chaînes humaines pour protéger les devantures des magasins. Jadis, ils furent flanqués de la gauche radicale. Annahj, vieux parti révolutionnaire, idéaliste plus qu'idéologue, qui ne s'est pas entièrement sevré des élucubrations léninistes de 1917. Du chiqué. Le PSU de Ait Idder offrit son siège rue d'Agadir et son côté bravache de refuznik. Al Adl, quant à lui, donna du sens au schmilblick, enseignant aux jeunes à marcher au pas, à chanter à l'unisson. Mais au fil des dimanches, les compères de Nadia Yassine firent une OPA sauvage sur le mouvement. Les leaders officieux du 20 février ont beau jurer qu'il n'en est rien, leur dynamique s'est graduellement dissoute dans le giron d'Al Adl. Suffit d'avoir une pair d'yeux derrière les trous pour s'en rendre compte. Petit à petit, leur nombre enfla. Résultat, tout l'ADN des revendications muta. Dimanche dernier, les demandes étaient d'un autre monde, iniques, nihilistes, ultra-radicales. A quoi peut-on imputer ce virage ? Probablement à l'instant même où le 20 février refusa la main tendue de la commission Menouni. Rejeter le jeu démocratique transparent, éviter de proposer des pistes de réformes constitutionnelles, c'était se mettre au ban du système et, partant, se jeter dans la gueule du loup intégriste. Las, c'est-ce qui arriva. Depuis lors, c'est un émiettement insidieux du projet 20 fébrériste auquel on assiste. Passe encore qu'une poignée de business-men sans scrupules s'y soient abreuvés goulument, qu'importe si l'essentiel de l'oligarchie politique y trouva un nouveau discours, une nouvelle jeunesse. Néanmoins, lorsqu'une mouvance malintentionné surfe sur la vague, la conséquence en est, ce 22 mai. Un tournant fondamental dans le rapport état/rue citoyenne. Pour la première fois, les jeunes démocrates étaient en sous-nombre, écrasés par leur alter-égo Adlo-salafistes. Ceci fut déjà quasiment le cas lors du «piquenique» aux abords de la prison de Témara. Ce fut là où, une grande première, une confrontation fut provoquée. L'aile dure islamiste du 20 février cherchait selon toute vraisemblance à titiller les autorités jusqu'à les faire craquer. Les frictions suscitant des affrontements, et les affrontements générant des images. L'idée étant de dupliquer le modèle actuel syrien. Images de répression sauvage se propageant sur le web, condamnation de la communauté internationale, et, in fine, mise à l'index d'un régime devenu «voyou», Assadien. Tel est le but de l'aile intégriste. Le combat à tout prix, les vidéos Youtube, les effusions de sang et si possible, le sacre : un Bouazizi. L'étincelle qui mettra définitivement le feu aux poudres. Fait étonnant. Alors que l'essentiel des partis politiques se fit l'écho du droit qu'avaient les 20 fébréristes de manifester, de demander mille et une choses, présentement, c'est un silence sourd qui émane des quartiers généraux. On ne condamne guère les dispersions musclées des forces de l'ordre. A la vérité, les états-majors des partis ont compris que le souffle initial du 20 février n'est plus. Par compromission et peut-être par ce péché de jeunesse qui fit naguère leur pertinence, les facebookers se sont laissés absorbés par leur antithèse, leur reflet chinois. Bref, la révolution n'est plus celle du click mais de la guérilla urbaine Djihadiste. Beau gâchis… Réda Dalil La Jamaâ promet le feu et le sang Vous l'avez bien lu : le mouvement extrémiste de Cheïkh Yassine, Al Adl Wal Ihssane, promet un «bain de sang» pour le pays. C'est, en tout cas, ce qui ressort d'une vidéo diffusée, mardi 24 mai, sur le site You Tube. L'enregistrement, intitulé «Al Adl Wal Ihssane et le bain de sang», montre l'un des quadras de ce mouvement islamiste interdit s'adressant dans des termes virulents au Mouvement du 20 février. «De quel mouvement de protestation voulez-vous me parler ?», s'indigne le militant d'Al Adl en contestant l'initiative du 20 février d'organiser, dans les prochains jours, une campagne nationale de propreté. «Laissons-nous descendre dans les rues. Nous ne voulons pas de propreté. Nous voulons que ces rues soient submergées de sang», a-t-il dégoupillé, lors d'une rencontre dont le timing et le lieu n'ont pas été déterminés.